La télévision sud-coréenne n’invente peut-être pas de sous-genres télévisuels, mais ça ne signifie pas qu’elle manque totalement d’idées. Mon tacle d’hier étant un peu rude, même de mon point de vue, j’ai décidé aujourd’hui de vous parler de Saimdang, Bichui Ilgi, un drama dont le premier épisode m’a bien plu, non seulement parce qu’il ne s’agit pas d’une série plaçant la romance au centre de son intrigue, mais aussi, voire surtout, parce que son sujet est assez atypique.
Saimdang Shin est une peintre, poétesse, calligraphe et bien plus, ayant vécu pendant la première moitié du 16e siècle. Elle était l’une des rares femmes de son temps à recevoir une éducation artistique aussi complète que celle d’un homme (en partie parce qu’elle n’avait pas de frère), qu’elle a ensuite passée à son fils Yulgok, l’un des plus grands intellectuels de son temps. Saimdang est également, pour la petite histoire, la première et pour l’heure seule femme à figurer sur de la monnaie coréenne, en l’occurrence le billet de 50 000 won.
Mais Saimdang, Bichui Ilgi n’est pas qu’un simple biopic, bien qu’en soi c’eut été déjà pas mal vu que la plupart des biopics de personnalités féminines s’intéressent aux têtes couronnées plutôt qu’aux intellectuelles et/ou artistes. La série se déroule également de nos jours, alors qu’une autre femme travaille sur les oeuvres de Saimdang, en la personne de l’historienne de l’art Ji Yoon Seo.
Deux femmes brillantes pour le prix d’une, il y a vraiment de quoi se réjouir avec cette série ne serait-ce que par principe. Mais pas seulement.
Ji Yoon Seo est une femme dans la quarantaine qui étudie l’art aux côtés d’un professeur particulièrement renommé, le Dr Min. Ce dernier a passé les 3 dernières décennies à se faire connaître pour son expertise à propos de l’artiste Gyeon An, et a plusieurs fois été publié. Ce que le grand public ignore, c’est que, abusant de sa position, il a délégué l’essentiel de son travail de recherche à Ji Yoon Seo, lui faisant miroiter la perspective de lui confier un sujet de thèse permettant à celle-ci de valider son doctorat. Après 5 années passées à exécuter pour lui des tâches dans l’ombre (aussi bien à l’université que dans son propre foyer, où elle a servi la famille entière), Ji Yoon se voit confier par le professeur Min un travail d’expertise de l’oeuvre dite « Keumkangsando », une découverte récente et absolument unique en son genre quant à l’artiste Gyeon An.
Ji Yoon est ravie d’enfin voir le bout de ce long processus, ce qui lui permettrait de décrocher un poste de professeure, enfin. Mais en authentifiant Keumkangsando, elle découvre que quelque chose cloche, et commence à nourrir des doutes quant à son origine. Lorsque ses doutes deviennent publics (dans une video publiée à son insu sur Youtube, qui plus est !), c’est tout le département d’Histoire de l’art qui est éclaboussé par le scandale, dont bien-sûr le si important Min. Or, celui-ci avait promis à Mme Soon, directrice d’une galerie d’art espérant être nommée ministre de la culture, que le buzz autour de Keumkangsando propulserait leurs deux carrières au firmament !
Ulcéré au dernier degré par l’humiliation publique autant que ces questions plus politiques, Min décide de virer Ji Yoon Seo juste avant qu’elle ne passe son doctorat, lui intimant de changer de spécialité et enclenchant une procédure disciplinaire. Évidemment, le moment qu’il a choisi pour ce faire ne pourrait pas tomber plus mal : Ji Yoon l’a accompagné à une conférence en Italie, dans un voyage de la dernière chance pour décrocher ce fichu doctorat, et elle se retrouve donc totalement démunie, en terre étrangère, désavouée par son mentor, sans plus aucun avenir professionnel.
Dans ce chaos, auquel s’ajoute qui plus est une situation personnelle récemment devenue confuse, par le plus grand des hasards, Ji Yoon se retrouve en possession d’un livre ancien mentionnant Keumkangsando, et la mettant sur la piste de « Siesta di Luna », une demeure toscane où elle va faire une incroyable découverte…
Si ce résumé vous semble copieux et un rien complexe, sachez qu’il ne gratte qu’à peine la surface de la série, d’autant que même le premier épisode (comme c’est si souvent le cas en Corée du Sud) n’a pas encore introduit tous les détails de son intrigue. Il faut en effet s’attendre à ce que les recherches de Ji Yoon deviennent moins théoriques…
C’est, pour être honnête, une large part de ce qui m’a séduit dans ce premier épisode de Saimdang, Bichui Ilgi. Il s’y passe tant de choses, et à tant de niveaux ! Mais au centre de tout se trouve une quête intellectuelle, et c’est plutôt rare à observer. Elles ne sont pas nombreuses, les séries de la planète à faire de la recherche leur objet principal (là tout de suite me viennent en tête Masters of Sex et éventuellement Halt and Catch Fire si on considère l’innovation technologique commerciale comme de la recherche, mais franchement déjà là je tire sur la corde). Ce genre d’enjeu est rare, donc, à plus forte raison s’il ne sert pas de simple prétexte (hello Daomu Biji et autres séries archéologiques), mais bien de colonne vertébrale à l’intrigue. Il entraine des conséquences directes sur de nombreuses dynamiques interpersonnelles, par-dessus le marché.
Saimdang, Bichui Ilgi accomplit cela en décidant (…pour le moment) de n’introduire que ce personnage d’historienne de l’art, d’en faire son héroïne, omniprésente à l’écran. Sa quête intellectuelle devient notre quête intellectuelle, quand bien même elle va devenir plus personnelle par la suite. Elle entraine le spectateur (en l’occurrence une spectatrice française pas spécialement prédisposée à la chose) sur le chemin de nombreuses recherches sur l’art coréen du 16e siècle. Preuve une fois de plus que la curiosité téléphagique mène à tout, y compris à la curiosité en général…
Je me suis donc passionnée pour Saimdang, Bichui Ilgi et son approche particulière du biopic. Que j’y aie également perçu toutes sortes de détails secondaires fascinants n’a certainement pas arrangé les choses.
L’intrigue personnelle de Ji Yoon dans Saimdang, Bichui Ilgi inclut ainsi des airs de Good Wife, quoique probablement involontaires, la production de l’une ayant été finalisée avant la diffusion de l’autre. Bien-sûr, pour le moment, la vocation de cette trame est d’alourdir le pathos de la situation de Ji Yoon après son renvoi par le Pr Min. Après tout, pour une femme mariée dans la quarantaine, il est encore bien souvent considéré en Corée du Sud que l’exercice d’une profession est assez facultatif… le renvoi pourrait n’avoir pas de conséquence, et cette intrigue personnelle est précisément là pour nous indiquer que c’est bien le cas. En outre, sa mission est de nous préparer à de futurs développements, mais il s’avère que ça marche bien.
C’est aussi l’occasion de voir des personnages féminins (sa belle-mère, sa meilleure amie) soutenir Ji Yoon, et donc d’assister à des scènes courtes, mais très attachantes, de connivence entre ces protagonistes. Lorsqu’on voit le plaisir sadique que le Pr Min prend à totalement saborder la carrière de notre héroïne, cette solidarité féminine fait plaisir à voir, et offre un contraste saisissant auquel il est difficile de se soustraire. Dans le cadre d’une série s’apprêtant à parler d’une des plus grandes figures féminines de son temps, non pas en tant qu’épouse et mère (le portrait d’ordinaire fait d’elle), mais en tant qu’artiste aussi, c’est difficile de ne pas apprécier cette approche, et ce qu’elle porte.
Enfin, ce qui ne gâche rien à mes yeux et que je compte savourer aussi longtemps que possible, c’est que Saimdang, Bichui Ilgi ne comporte pas d’intrigue romantique pour le moment. Vous et moi savons que ça ne va pas durer. Laissez-moi en profiter tant que je le peux.
Vous voyez ? Je suis capable de dire du bien d’une série sud-coréenne, parfois ! Je ne promets pas que ça va durer, mais c’est toujours bon à prendre.