L’histoire sans faim

15 mars 2017 à 15:23

Il n’y a qu’au Japon, à ma connaissance, qu’on fait des séries à la Kodoku no Gourmet, Hana no Zubora Meshi, Otoko Meshi ou Hokusai to Meshi Sae Areba. Je ne suis même pas sûre de la façon dont on peut les qualifier en termes de genre, pour être honnête, alors disons simplement qu’elles appartiennent à leur propre catégorie, disons… « les séries d’appétit ».
Leur structure est un peu toujours la même, probablement parce que ces séries sont la plupart du temps des adaptations de manga dont la publication favorise certains éléments. On y retrouve de façon infaillible un personnage plutôt solitaire, dont la série suit le monologue intérieur alors qu’il ou elle pense à son estomac. La majeure partie de l’épisode consiste à montrer ce personnage alors que sa faim va croissant, l’apothéose de l’épisode étant consacrée à regarder comment, et surtout par quoi, cette faim est assouvie. C’est le moment où un plat, voire un repas entier, est consommé à l’écran, avec délice et en détaillant les impressions du héros face à pareil régal. Le dialogue intérieur du protagoniste central est en effet au centre de tout, ce qui explique que ces séries se passent fort bien de toute histoire, aussi bien à l’intérieur d’un épisode (ou l’intrigue est minimaliste) qu’au fil d’une saison donnée (il n’existe aucun fil rouge dans ces séries).
Malgré ce que pourrait penser un spectateur, au hasard vous, n’ayant jamais goûté à ces étranges séries d’appétit, ces fictions sont un véritable régal. Leurs qualités sont à trouver précisément dans leur caractère contemplatif, dans la façon dont elles suivent les pensées d’un personnages plutôt que ses actes, et bien-sûr, dans la litanie de plats que ses épisodes présentent. C’est assez terrible à regarder le ventre vide, mais il s’avère que ça fait chaud au cœur.

Et le plus fou c’est que si ces séries pourraient être un genre à part entière, c’est précisément parce qu’elles sont nombreuses à exister sur ce modèle, au fil des années. Kodoku no Gourmet est la plus importante, du fait de sa longévité (sa sixième saison commence le mois prochain, dans un pays où si peu de fictions obtiennent ne serait-ce qu’une seconde saison), mais elle est loin d’être la seule à s’aventurer dans ce registre. Cela, sans vraiment donner l’impression d’une répétition : en dépit de leur structure, ces séries ne pourraient pas être plus différentes.
La raison à cela est simple : puisque c’est le ressenti du personnage qui prime, c’est lui qui change fondamentalement la donne avec son univers personnel, son quotidien, sa culture culinaire, ses préférences. Ainsi le héros de Kodoku no Gourmet est un VRP, l’héroïne de Hana no Zubora Meshi une femme au foyer, celui d’Otoko Meshi un mafieux, et celle de Hokusai to Meshi Sae Areba une jeune étudiante. Quel que soit votre tempérament, il existe une série d’appétit qui vous parle…

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Dans Hokusai to Meshi Sae Areba, la gourmande s’appelle Ayako, dite « Bun ». C’est une jeune étudiante qui adore cuisiner et manger, mais n’a hélas pas les moyens financiers de ses ambitions gastronomiques ; la série ajoute donc à la question de l’appétit celle de l’accessibilité financière : Bun mange bien, mais avec un budget. Rappelons que d’autres héros de séries d’appétit ont aussi un talon d’Achille similaire qui les distingue les uns des autres : Gorou de Kodoku no Gourmet cherche de bons restaurants dans des lieux qui lui sont inconnus ; Hana de Hana no Zubora Meshi est une flemmarde qui a faim mais, faute d’avoir le courage de sortir faire les courses, doit bricoler de quoi se régaler avec ce qu’elle a dans ses placards ; Ryuichi est en planque dans le logement d’un étudiant qui ne sait pas cuisiner… vous voyez le genre. En outre, Bun passe le plus clair de son temps à parler à Hokusai, une peluche avec laquelle elle a une sorte de relation à la Calvin & Hobbes. Elle vit un peu dans son monde, donc…

Fidèle à la structure des séries d’appétit, Hokusai to Meshi Sae Areba suit donc Bun dans une journée parmi tant d’autres, où elle se lève en catastrophe, se prépare un petit déjeuner épatant quand même, sort en pyjama dans la rue… avant de découvrir qu’on est samedi matin, et qu’elle n’a donc pas cours. Insérer un facepalm ici. Décidant d’aller faire les courses, elle se retrouve à flâner dans les rues de Tokyo dans l’espoir de se préparer un repas épatant pour le soir-même, et c’est là que commencent les hostilités. Fantasmant sur l’omelette qu’elle se préparera bientôt, Bun s’achète les ingrédients, un par un, avant de réaliser qu’elle meurt de faim, et que le temps de rentrer PLUS de cuisiner, elle ne mangera pas avant une bonne heure. Il lui faut donc un plan B. Mais quand on a dépensé tout son argent et qu’il reste 67 yen (…55 centimes) pour se trouver un en-cas, ça n’est pas facile…

Hokusai to Meshi Sae Areba tranchera-t-elle avec la structure des séries en son genre, nous privant d’un délicieux happy end ?! Je vous rassure, on finira bien par trouver le moyen de se régaler en fin d’épisode, mais de peu conventionnelle façon.
Comme toutes les séries d’appétit, Hokusai to Meshi Sae Areba ne va pas vous émouvoir profondément, ni vous retourner le cerveau, ni vous proposer quoi que ce soit de révolutionnaire ; mais d’un autre côté, ça n’a jamais été sa mission. C’est plus une chronique charmante destinée à divertir en parlant de bouffe (ce qui, on sera tous d’accord là-dessus, n’est jamais un sujet détestable à aborder), aux côtés d’une étudiante, de son ami imaginaire, et des gens qu’elle rencontre pendant qu’elle cherche comment se caler l’estomac. Admettez que vous avez déjà regardé des séries basées sur des idées bien pires !

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Et pour ceux qui manquent cruellement de lecture…

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