Vous savez la difficulté que ça a longtemps été, et qu’à vrai dire c’est encore, que d’accéder à des séries télévisées de toute la planète ? Certaines régions nous sont encore totalement inaccessibles depuis l’Europe, et quand je parle de régions, je ne veux pas parler de la région du Guangxi en Chine, mais bien de continents entiers, dont l’Amérique du Sud. La curiosité des diffuseurs pour la sphère hispanophone est pour le moment très limitée ; il faut espérer qu’El Marginal viendra changer tout ça dans le courant de l’année. Rien n’est garanti, mais pour peu que la presse française grand public décrète que « la fiction argentine s’éveille » comme elle est en train de le faire pour la fiction belge, il y a de l’espoir.
…Vous savez dans quel domaine ces problèmes ne se présentent pas autant ? Le monde de la VOD, qui a bien compris que les séries de la planète servent à la fois de béquille pour une expansion internationale… et d’appât à téléphages curieux. Or Studio+, qui rappelons-le s’est d’abord implantée en Amérique du Sud avant de débarquer fin 2016 en France, est particulièrement bien placée pour combler une lacune encore criante dans le panorama sériel français.
La seule question qu’il reste à poser… c’est à quoi ressemblent ses séries originales hispanophones ? Avoir un avantage est une chose, l’exploiter en est une autre.
Blanca, qui nous vient de Colombie (en co-production avec la France, certes), offre une piste de réponse. Son héroïne éponyme y mène une vie sans histoire, mais cela ne saurait évidemment durer, comme vont les prouver les 8 minutes de son premiers épisode. La jeune femme, dont on apprend de façon presque subtile qu’elle une championne de natation (et en particulier de plongée), vit jusque là de façon très modeste, mais semble-t-il heureuse avec son petit ami près du parc national d’Uramba, où ils organisent des virées touristiques pour des plongeurs amateurs. Le problème, c’est que l’endroit est, entre autres de par son immensité liquide et sa flore si dense, également le décor d’un trafic bien moins légal.
En fait, non : le vrai problème, c’est que Juan, le compagnon de Blanca, a un passé avec la Justice et donc avec le crime organisé du coin…
Écoutez, je vrais être franche avec vous : je suis d’avis d’ordinaire que la durée d’un épisode, c’est plus ce qu’on en fait que les chiffres au compteur. Parmi mes reviews de séries mobiles (et il commence à y en avoir quelques unes au long de cette soirée thématique !), j’ai vu ces quelques minutes être très bien exploitées, ou au contraire sembler inadéquates.
Certaines séries dites « digitales » (sûrement parce qu’on en lance la lecture d’un seul doigt depuis un portable ; je n’ose imaginer que toute une industrie emploie un faux-ami anglophone) optent pour le format 8 minutes, certaines cherchent ailleurs la durée qui leur sied, et-c’est-par-fait.
Mais Blanca se distingue dans le lot par son refus absolu de créer ce qu’on appelle, et je m’excuse par avance pour le jargon complexe et rébarbatif : un épisode. Je chausse mes lunettes et je vous fais le cours magistral, prenez des notes : un épisode se distingue par le fait qu’il a un début et une fin marquées. C’est la différence entre une série et, mettons, un film diffusé en plusieurs tronçons.
Ici, l’épisode initial de Blanca s’interrompt de façon tellement brutale… que j’ai fini par vérifier si à la base, Blanca était supposé être un film (même mes sources hispanophones sont muettes à ce sujet, le doute subsiste donc). On dirait que ce choix de 8 minutes n’a pas été conscient, mais imposé, et je ne sais pas qui a pris la décision et je m’en fiche, je cherche pas à pointer des coupables du doigt, honnêtement, mais c’est ni fait ni à faire. La grammaire d’une fiction sérielle n’est pas celle-là, et pourtant je suis la première à dire que la fiction mobile a le devoir de trouver ses propres modalités. Mais à un moment il y a quand même des fondamentaux.
Il y a quelque chose qui me met en colère dans Blanca sur un plan formel, précisément parce que dans le fond, je ne sais pas ce que cette série me promet. Enfin, si, bien-sûr : dans les grandes lignes. Il est question de trafic. De narcotrafic, si j’en crois le résumé officiel de la série, mais même ça n’est pas explicité pendant ces 8 premières minutes, et je soupçonne que ce soit non pas intentionnel, mais parce que le couperet est tombé avant que Blanca puisse s’épancher sur le sujet. Quels sont les enjeux ? A quel type de série a-t-on affaire ? Je respecte un épisode qui finit sur un cliffhanger lorsque celui-ci est voulu et donc construit ; beaucoup moins lorsqu’il est dû à une contrainte de temps.
Au stade de son premier épisode, de ces 8 minutes capitales pendant lesquelles elle devrait se présenter à nous et nous donner un aperçu de ce qu’elle veut raconter, histoire, vous savez, qu’on la choisisse et non qu’on se sente forcés de la poursuivre, Blanca n’a pas accompli autant qu’elle le devrait. Autant que toute série le devrait. Elle n’a défini son personnage central que par ses capacités pulmonaires (si bien qu’on ne se dit pas « oh mon Dieu elle va peut-être se noyer » à la fin de l’épisode, ce qui est ajouter l’insulte à l’injure…), elle a mis en place une situation qui a été renversée sans nous dire par quoi elle était remplacée, elle n’a quasiment rien explicité de ses thématiques ou, au moins, de son objectif. C’est une série qui a fait 8 minutes sans nous inviter à jouer notre rôle de spectateur, sans nous inviter à nous lier, sans nous river à notre siège, rien, et c’est rageant.
Bon. Ceci étant posé, maintenant que j’ai évacué ma frustration, reconnaissons une chose : Blanca n’est pas une mauvaise série. Voilà qui vaut la peine d’être précisé, non ?
Rien n’est plus clair à mes yeux que ce point : Blanca est clairement une fiction léchée, pas un truc tourné dans une piscine gonflable à la va-vite pendant un weekend ; croyez-moi certaines séries mobiles tueraient pour avoir les ressources de Blanca. Je ne veux pas saluer le travail du costumier ou de l’opératrice du son, parce que ça sentirait le compliment ambigu, mais il faut quand même reconnaître que la réalisation est engageante, qu’il y a une utilisation intéressante des espaces (l’immensité de l’océan contre l’étroitesse de la cabine du bateau, par exemple), et que sur le plan de l’ambiance, Blanca fait rêver autant qu’elle inquiète.
Je trouve néanmoins très difficile de parler du premier épisode de Blanca en tant que tel, tant l’exposition est succincte et la mise en place des enjeux brutalement écartée.
Il faut sûrement avoir une vue d’ensemble de Blanca pour la juger. Le hic, c’est que l’on sait que le public mobile est, quasiment par définition, très volatile, et qu’à l’heure actuelle le binge watching n’est pas exactement corrélé au recours à la fiction mobile, bien au contraire. Il y a une raison pour laquelle la plupart des épisodes de la fiction digitale sont courts, par exemple ; la question dans le cas de Blanca étant de savoir comment bien gérer ces quelques minutes, de toute évidence.
Les utilisateurs de Studio+ ont-ils ou auront-ils la patience de voir ce que Blanca veut raconter ? S’engageront-ils à voir la suite quand bien même la série a raconté si peu sur elle-même ? Et, dans le cas des utilisateurs français, tenteront-ils l’aventure pour une série étrangère de surcroît ?
Aparté : les sous-titres sur Studio+, c’est le grand luxe, je pourrais épouser cette app juste pour le choix riche de sous-titres et de doublages.
C’est tout le mal que je souhaite à une série qui sans ce cruel problème de structure, aurait du potentiel. Après tout, je n’ai aucune raison de lui vouloir du mal, je me demande juste ce que moi j’ai fait pour être punie par son premier épisode…
Mais après tout, c’est un peu normal. La fiction mobile est encore récente ; ses codes sont à inventer et/ou maîtriser. Il est inévitable, comme c’est le cas absolument chaque fois qu’un nouveau médium émerge, que les séries se raccrochent encore à certains acquis, ici ceux de la télévision traditionnelle par exemple, et aient du mal à s’adapter à leur nouvel écran. Les conséquences vont plus loin que la simple durée des épisodes : c’est toute leur conception qui est à réévaluer.
Vous savez quoi ? L’histoire de la télévision mobile, à terme, devra plus aux maladresses des Blanca qu’aux séries réussissant un sans faute d’entrée de jeu. Et bien que son public soit parfaitement habitué à une certaine idée de la série, la fiction « digitale » a besoin de passer par des tentatives, certaines plus heureuses que d’autres. La fiction sérielle évolue grâce aux erreurs et aux expérimentations, et ça… c’est vrai quel que soit le support.