Bien des séries américaines se sont penchées sur l’expérience du passage à l’université : ses héros, quittant à la fois le monde du lycée et le giron de leurs parents, apprennent alors à faire de nouvelles expériences qui les prépareront à l’âge adulte. C’est une évolution logique pour des teen dramas d’une certaine longévité, ainsi que le focus de certaines séries exclusivement dédiées à cet univers particulier, à l’instar d’A Different World, de GREEK et plus récemment de Sweet/Vicious. Mais quel que soit leur objet ou leur traitement, ces séries ont jusque là persisté à s’intéresser au parcours des jeunes gens entrant à l’université… pas à la gestion du campus lui-même.
BET a trouvé une excellente façon de mettre à l’antenne une série faisant exception à cette règle télévisuelle tacite, tout en continuant de proposer à ses spectateurs des séries parlant de leurs spécificités. Avec The Quad, la chaîne afro-américaine s’intéresse donc à la vie non pas sur, mais d’un campus universitaire d’une HBCU, c’est-à-dire une « historically black college and university« . L’histoire particulière de ces établissements, créés afin de permettre aux noirs d’accéder à un cursus supérieur quand bien même ils étaient interdits de fréquenter les universités traditionnelles (et donc blanches), est une part extrêmement importante de l’histoire de la progression sociale des noirs après la Guerre civile, puis au moment de la lutte pour les Droits civiques. Mais outre la signification historique, aujourd’hui ces campus sont souvent en pleine crise financière, et donc menacés à plus ou moins court terme d’extinction, et cela offre à The Quad une grande richesse d’intrigues.
Dr Eva Fletcher, l’héroïne principale de The Quad, est donc à ce titre non pas une étudiante, mais la rectrice de la (fictive) Georgia A&M University. Elle est arrivée récemment à ce poste (…convoité par plusieurs hommes du campus qui ne cachent pas tous très élégamment leur déception) et, s’il confère une certaine aura et une dose de pouvoir, lui réserve de bien difficiles surprises sur un plan financier. En outre, elle est arrivée là après une disgrâce personnelle et professionnelle à son ancien poste, après avoir été surprises à tromper son mari avec l’un de ses élèves dans son établissement précédent. Cela lui vaut d’être en pleine séparation, et de vivre avec sa fille unique, Sydney, pas franchement ravie par la situation, en dépit du fait que la position de sa mère lui garantisse une éducation gratuite à Georgia A&M.
Voilà donc Eva Fletcher qui est contrainte de jongler avec les difficultés, et qui commence à réaliser que derrière le prestige de son poste, se cache en fait quelque chose qui ressemble à un arrêt de mort professionnel : elle arrive à un moment où l’université est si difficile à sauver financièrement, qu’elle sera tenue pour responsable de la disparition de cette institution. Dans le pilote, terrifiée, Eva décide de puiser dans ses propres ressources financières pour payer la facture d’eau courante du campus, par exemple, afin de palier à une coupure inopinée touchant l’intégralité de l’infrastructure de son microcosme universitaire.
Cet angle-là, The Quad le réussit, disons-le tout net. Cette exposition ne se fait pas sans quelques maladresses de style (c’est en réalité un problème qui touche tout le pilote et je vais y revenir au prochain paragraphe), mais sur le fond, on perçoit très bien les différentes couches sédimentaires dans lesquelles Dr Eva Fletcher s’est enlisée, à tous les niveau. Et comme le personnage est porté par Anika Noni Rose (impeccable comme toujours, mais vraiment brillante dans une seule scène), on ne va pas se plaindre.
Le problème est que The Quad tente de faire aussi d’autres choses, potentiellement parce que la série veut prendre à bras-le-corps d’autres sujets importants aux yeux de la communauté afro-américaine, mais abstraits. Je ne peux pas le reprocher à la série tant certaines choses, absentes ou peu traitées dans d’autres séries, ont besoin de trouver leur place dans une fiction ; en revanche, dans le cas présent, ces problématiques donnent une impression de surcharge, et peut-être aurait-il été plus avisé de créer une exposition plus dépouillée avant d’entrer dans ces différents thèmes.
Cela se ressent, d’ailleurs, dans la façon dont s’articulent les scènes de ce premier épisode : la plupart sont très courtes (la plus longue est, paradoxalement, la plus mauvaise à mes yeux car totalement déconnectée du reste de l’intrigue), les personnages vont droit au but sans toujours faire preuve de subtilité ni démontrer leur cheminement de pensée d’une façon qui permette au spectateur de s’impliquer, et il ressort de l’ensemble une impression de brutalité un peu dérangeante qui laisse à penser qu’il y a eu précipitation à un stade de l’écriture. Peut-être que si The Quad voulait tout mettre en place dés la première soirée, il fallait opter pour un premier épisode double, mais là ça fait un peu désordre.
Comme je l’ai dit, je n’ai aucun problème avec les intrigues secondaires, simplement elles gavent ce pilote jusqu’à la glotte. Mais lorsque l’épisode s’ouvre sur l’arrestation de Cedric, un des étudiants de la fac, pour le meurtre d’une de ses camarades, Chantel, il apparaît que de bonnes idées se mettent en place. Le suspect est un jeune homme modeste, une sorte de « coupable parfait », qui a du mal à trouver de l’aide même auprès du père de son camarade de chambrée, pourtant avocat prestigieux. Se met en place un discours très intéressant autour de la reproduction sociale aussi bien des élites (le discours dudit père est glaçant) que des plus modestes (le flashback sur l’anniversaire de Cedric est terrible, et puissant sur un plan symbolique), ce qui est évidemment un sujet parfait pour The Quad. La question de l’avenir de Cedric, si fragile et presque présenté comme une malédiction qui le suivra à vie quoi qu’il arrive, est importante et si peu évoquée dans les séries universitaires. Pour finir, le peu de cas fait de l’enquête elle-même (on n’y voit pas vraiment la police, et certainement pas son travail) termine de démontrer que sur le papier, The Quad a une idée très claire de ce qu’elle veut faire, et ce n’est pas du tout de la diversion : cette histoire de meurtre n’est pas juste un meurtre, c’est un révélateur. Et c’est parfait ! Cette intrigue si riche thématiquement méritait juste un épisode de mise en place à elle seule…
Plus étonnant, il y a des choses secondaires dont je n’ai même pas compris de quoi elles causaient et ce qu’elles venaient faire là. Les scènes dans le « club de gentlemen » ? Apparemment Coby Bell n’est qu’un guest donc je ne suis pas sûre de comprendre pourquoi on a passé tant de temps avec lui et son personnage de connard. Le coup de téléphone du Dr Fletcher à une ancienne connaissance ? Complètement random, et en-dehors de sa valeur d’exposition pure, aucun intérêt surtout dans le contexte de l’intrigue qui se déroule alors.
Pire encore : toute une scène sur les répétitions (quasi-militaires) de l’orchestre de cuivres de la fac ? Non, zéro intérêt dans un pilote. Impensable de passer quasiment 10 minutes sur des personnages dont on ne perçoit même pas qui ils sont si ce n’est qu’ils travaillent avec l’orchestre, surtout si c’est pour ne quasiment en revoir aucun par la suite de l’épisode. Qui sont ces gens et pourquoi suis-je supposée m’intéresser à eux ? Suis-je heureuse de ce qui leur arrive ? The Quad m’a totalement perdue. C’est hyper maladroit et ça plombe totalement cet épisode pourtant pas dénué de choses à raconter par ailleurs. En plus, entre nous soit dit, ça se voyait BEAUCOUP que tout le monde jouait en playback.
Des maladresses et des lourdeurs, donc, j’avais prévenu ; mais un bon fond. Et c’est ça que j’ai envie de garder en tête.
Je trouve vraiment fascinant ce parti pris de parler de l’institution de l’université (ici dans un cadre très spécifique qui plus est, est si peu évoqué dans la fiction si ce n’est dans The Rapist Show et bien-sûr son spin-off A Different World, et quelques autres rares exceptions qui ne me viennent absolument pas à l’esprit), et pas seulement du trip habituel de l’expérience des jeunes adultes. Ils sont ici, clairement, au second plan ; même quand Sydney Fletcher apparaît à l’écran c’est pour souligner quelque chose par rapport à la vie de sa mère, par exemple.
Le fait qu’en outre Georgia A&M soit à prédominance noire permet en outre d’écarter des questions plus classiques autour du racisme des institutions universitaires (je ne doute pas que Dear White People prendra parfaitement le relai et offrira des problématiques complémentaires, comme ça personne n’est lésé) garantit des intrigues absolument inédites. La signification des HBCU ouvre des portes narratives que nulle autre série universitaire n’est en position d’ouvrir, et c’est parfait. Il lui faudra, sans nul doute, fournir quelques efforts de production, et apprendre à prendre son temps. Ce n’est pas grave : un pilote n’a jamais été fait pour atteindre la perfection ; ce qui compte, c’est le potentiel.
Et du potentiel, The Quad en a, à n’en pas douter… comme ses personnages, la série devra trouver comment le réaliser à l’intérieur des limites (notamment budgétaires) qui sont les siennes, mais ce serait terriblement dommage de sacrifier son avenir pour si peu.