Les séries se déroulant dans des bidonvilles ne sont pas légion de par le monde ; d’une part parce que ce n’est pas une réalité dans tant de pays que ça, et d’autre part parce que s’il y a bien une chose universelle au monde, c’est la terreur de montrer la misère dans la fiction. S’il y a, quelque part, des auteurs souhaitant parler de ce type d’univers, il n’y a pas beaucoup de producteurs et/ou de chaînes le leur permettant, en tous cas.
Newman Street est une exception à cette triste règle, qui ambitionne de parler des habitants de la fameuse rue Newman, et j’emploie le terme de rue généreusement. Subventionnée par des organismes internationaux comme Johns Hopkins Bloomberg School of Public Health ou United Nations Population Fund, la série a un travail de prévention à opérer, et son contexte sert à se rapprocher de ses spectateurs les plus vulnérables. Mais Newman Street, au-delà de sa mission de santé, pose aussi des questions télévisuelles intéressantes.
C’est à un gigantesque ensemble show qu’on a affaire ici, et le premier épisode en est conscient ; son objet est donc de nous présenter les personnages, de parfois les interconnecter mais de surtout en dévoiler la diversité. Leur seul point commun est de résider au même endroit : Newman Street est un ensemble de petites maisonnettes vétustes, souvent limitées à une seule pièce, et de structure plus fragiles ; le premier épisode accompagne du regard le vendeur qui approvisionne en eau potable les installations de la rue, équipé d’une charrette et de quelques bidons.
Le décor ainsi planté, Newman Street va nous parler d’Andy, le rêveur qui espère un jour vivre de sa musique ; de Kirot, la mère dévouée qui s’inquiète pour en enfant atteint de la malaria ; de Mama Ejiro, la mère de deux enfants qui s’interroge sur ce qu’est devenu sa vie ; de Chongo, le professeur mélomane toujours de bonne humeur… et de tous les personnages qu’ils croisent, même rapidement. Le premier épisode ne donne pas dans le misérabilisme, mais interroge discrètement la répercussion de conditions de vie difficiles sur l’âme de ces protagonistes, sur leurs espoirs. Les personnages n’apparaissent pas nécessairement comme pétris de contradiction, mais en revanche leurs motivations sont profondément humaines et ne se bornent pas à des stéréotypes ; seulement, le principe de Newman Street semble être de les confronter aux réalités de leur quotidien subtilement, mais fermement. Tout enthousiaste et passionné que soit par exemple Andy, il est incapable de vendre le moindre CD (produit à ses frais dans un studio de fortune) ; son refus d’accepter un job alimentaire, même très bien rémunéré comme lui propose un voisin, semble le mettre en fin d’épisode dans une difficile situation par ricochets. Newman Street fait se croiser ces personnages l’air de rien, sans trop jouer sur le côté Six Degrees de la chose mais plutôt en créant de petites interactions anodines, tous ayant en commun de vivre dans des conditions qui, même s’ils ne s’en plaignent pas, les limitent.
Tous ? Non ! Car l’air de rien Newman Street introduit très discrètement quelques personnages aisés. Très en retrait pendant ce premier épisode, ils vont néanmoins servir, à terme, de contrepoint, à l’instar de Victoria, une femme qui élève ses filles tout en travaillant et peut se permettre d’organiser des évènements somptueux, et qui offre déjà une forme de contrepoint à l’expérience de Mama Ejiro…
Le plus intéressant dans Newman Street, de mon point de vue, n’est pas forcément ce que dit la série, mais quels choix elle a fait pour le dire.
Dans un univers télévisuel où c’est bien souvent le glamour qui l’emporte, comment raconter la vie dans un bidonville ? Comment en faire un lieu où se déroulent les intrigues, sans se déconnecter du contexte mais sans faire de celui-ci un élément omniprésent ? Quels choix scénaristiques faire, dans un tel univers, pour que les personnages ne semblent pas pathétiques, mais au contraire multidimensionnels et attachants ? Comment raconter la diversité des expériences vécues dans un endroit que la fiction ne touche presque jamais ?
Beaucoup des choix opérés par Newman Street afin de répondre à ses questions semblent incroyablement simples, et pourtant infiniment futés. Quand bien même les dialogues voire certaines intrigues semblent simplistes, voire inexistants, on sent que l’apparente légèreté du résultat masque en réalité une grande précaution à faire et dire les choses avec doigté. A ne pas mettre la charrue avant les bœufs.
Newman Street refuse le pathos et la facilité, et à ce titre fait des choix scénaristiques qui vont à contre-courant de ce qu’un épisode d’exposition est « supposé » faire. Il y a par exemple plein d’éléments sur les personnages qui sont tus dans ce premier épisode, par soucis de ne pas charger l’épisode d’informations, pour préserver une certaine forme d’authenticité et de fluidité. Il n’est pas tant question de placer des « enjeux » sur la trajectoire de chaque personnage, et la plupart ne font face à aucun élément perturbateur d’aucune sorte (pourtant tous, à terme, d’après mes lectures, ont des intrigues individuelles). Newman Street commence, d’une certaine façon, comme un soap opera sur un milieu pauvre (bien-sûr que ça existe !), en sachant qu’il y aura largement le temps d’entrer dans le détail, et préfère poser une problématique plus générale en établissant son décor et son univers en priorité. Et en même temps, je n’avais pas l’impression de vraiment regarder un soap opera non plus, structurellement ; peut-être parce que cet épisode est composé de vignettes qui paraissent indépendantes les unes des autres, comme si l’aspect feuilletonnant avait été repoussé aussi tard que possible dans l’épisode introductif, et que la visée de Newman Street était quasiment anthologique.
Je ne dis pas que je me passionnerais absolument pour une intégrale des deux saisons de Newman Street (bien qu’elles soient toutes deux disponibles via le site officiel), entre autres parce que la série, en dépit d’une qualité d’image pas dégueulasse, a de GROS problèmes de son que j’ai trouvés parfois difficiles à surmonter. Et parce que dans le fond, si je veux être honnête, les intrigues ne me captivent pas toutes. Mais il faut quand même reconnaître que ça fait toujours du bien de voir comment un format a priori simplissime (des épisodes dramatiques d’une demi-heure) peut être utilisé de façon rafraîchissante, aussi bien au niveau de la structure des épisodes qu’en termes de ton. Rien que pour ça, ça vaut le coup de voyager téléphagiquement.