Machinalement, devant les premières minutes de Cardinal, j’ai commencé à faire une liste mentale des articles que je pourrais suggérer sous ma review ; allais-je reparler de Glacé ? L’exercice semblait sensiblement le même… Rappeler d’autres séries moins récentes ayant tenté de surfer sur la vague scandinave sans trop se fouler ? Les exemples ne manquent pas.
Mais, voyez-vous, il y a une raison majeure pour laquelle une review de pilote s’écrit à la fin du visionnage, et non pendant.
Cardinal commence donc, c’est un fait, comme beaucoup de polars similaires : la découverte d’un corps (ici une adolescente autochtone), le début d’une enquête (ici l’enquête porte sur sa mort après des mois d’enquête sur sa disparition), l’introduction d’un personnage d’enquêteur tourmenté (ici parce qu’il avait justement été l’un des seuls à ne pas abandonner le dossier, et évidemment à cause de problèmes personnels), le partenariat avec une enquêtrice peu appréciée (ici uniquement parce qu’elle vient d’arriver), la révélation qu’on aurait affaire à un tueur en série (ici il aurait frappé au moins deux fois), et ainsi de suite.
On coche des cases tout en montrant des plans de cadavre gelé ou de voiture glissant dans l’immensité blanche. Vous m’arrêtez si vous la connaissez déjà.
Et pourtant. Pourtant, petit-à-petit, Cardinal sème des éléments qui interpellent. La première moitié de son épisode introductif met en place des choses qui ne s’avèrent intéressantes que par la suite.
L’exemple le plus parlant à cet égard est celui de la jeune victime, en particulier le fait qu’elle soit amérindienne. L’élément est balancé rapidement, presque discrètement, au début de l’épisode, et passe un peu à l’as dans le reste de la mise en place de l’intrigue. Après pas mal de patience, cela donne pourtant, pendant la seconde moitié de l’épisode, des scènes qui gagnent en force parce que soudain, elles sont chargées de sens. Ainsi, la police d’Algonquin Bay se réunit entièrement dans une église pour présenter ses respects à la mère de la jeune fille… laquelle n’a jamais eu l’intention de s’y présenter et célèbre les funérailles de sa fille de façon traditionnelle, avec ses proches. Ce type d’élément est précieux parce que ce que l’on avait pris pour de la froideur typique pour le genre (très peu de polars s’attardent sur le ressenti des parents, et moins encore sur leurs opinions) dans la réaction de la mère devient soudain une claque portée à la fois à l’hypocrisie des services de police, qui a abandonné les recherches trop tôt, mais aussi aux relations de la police blanche avec la minorité raciale native, rendue d’autant plus cinglante que rien n’est plus différent d’une église remplie d’uniformes qu’une cabane chauffée par un simple feu de bois. Soudain au-delà de la mort, clairement pas accidentelle, de sa jeune victime, Cardinal décrit un univers complexe, des dynamiques faites de nuances raffinées, de complexités qui apparaissent comme de micro-aspérités à mesure que l’on passe les doigts sur sa surface.
Cardinal parvient à faire dans son premier épisode ce que je n’ai pas vu Jour polaire/Midnattssol accomplir en deux épisodes (j’admets bien volontiers n’avoir pas la force d’en regarde plus, mais n’hésitez pas à me détromper quant à la suite de la série franco-suédoise), c’est-à-dire utiliser son aspect ethnique pour dire quelque chose de la condition d’une minorité, plutôt qu’à l’utiliser comme un accessoire. Le fait que Cardinal l’ait fait si subtilement, sans rien laisser paraître pendant la phase d’exposition de son épisode introductif, a sûrement contribué à m’impressionner pendant cette scène, mais pas seulement. Il y a un vrai propos, porté par une vraie émotion, qui plus est.
En outre, la toute fin du pilote abrite un véritable twist, qui rend autrement plus savoureuse l’intrigue de Cardinal sur l’étendue de sa saison. Je ne vous le dévoile pas ici parce qu’on est pas des barbares, mais il apporte quelque chose de réellement neuf à la fois dans le partenariat entre les deux enquêteurs (une dynamique qui là encore, a été mise en place de façon plus fine qu’il n’y parait), et dans le propos de fond de la série. Plutôt courageux quand on sait que seuls 6 épisodes ont été commandés à l’heure actuelle ! J’espère qu’une seconde saison restera possible parce que pour le moment, ne pas renouveler semble criminel…
C’est promis, je ne dis pas ça simplement parce que j’aime voir Karine Vanasse sur mon écran, quoique cela ne gâche vraiment rien. Le fait qu’elle joue (pour la première fois) une Québécoise dans une série anglophone me semble d’ailleurs une opportunité intéressante, d’ailleurs. L’occasion de souligner combien les Québécois forment une minorité linguistique et culturelle au Canada, comme les First Nations ; je me demande si, consciemment ou non, Cardinal va raconter des choses là-dessus. En tous cas, une fiction canadienne est dans une position unique sur cette question, et ce sera intéressant à surveiller.
Non vraiment, ça commençait mal cette affaire, mais ça m’a finalement remplie d’enthousiasme et d’espoir, ce premier épisode. Je suis d’ailleurs convaincue qu’un revisionnage me ferait saisir de nouvelles nuances.
Même quand on récupère les méthodes du Scandinavian noir, il est possible de faire des choses fascinantes ; la preuve. Qu’on se se le dise.