A cheval donné

19 janvier 2017 à 11:21

Pendant mon adolescence, j’ai mis l’écriture de côté pour un temps, et me suis prise de passion pour le dessin ; en particulier, je voulais me lancer dans la bande-dessinée et le manga. Toujours est-il que j’ai passé des heures appuyée contre la fenêtre de ma chambre, le nez collé sur la vitre, à décalquer des images qui me plaisaient. Ligne après ligne, courbe après courbe, trait après trait.
Mais rien à faire : quelle que soit l’application que je mettais à repasser sur les mêmes lignes, les mêmes courbes, les mêmes traits, ma version était toujours moins réussie que l’originale. Ce n’était pas seulement frustrant sur le moment : cela me donnait aussi perpétuellement l’impression que je n’arriverais jamais à rien faire de correct. Les preuves de mon inaptitude étaient accablantes ; ici un tracé tremblotant (quand dans mon souci de bien faire ma main avait été trop lente et hésitante), là une proportion mal suivie (déformant le résultat faute d’avoir au contraire voulu aller trop vite), causaient plus de déception que de satisfaction. Bien-sûr, le fait que je m’obstine à prendre pour modèle directement des œuvres abouties au lieu de commencer par des projets basiques n’aidait pas. Le choix du procédé lui-même était déjà au cœur de mon problème ! Je pensais apprendre par mimétisme… mais étais sans cesse renvoyée à la comparaison que je m’imposais moi-même, sur mes calques de fortune, avec les dessins que j’admirais et que je voulais émuler.
Au final, c’est en dessinant par moi-même (sur un bureau bien horizontal cette fois !) que j’ai développé mon propre style et mes propres idées. Et mon propre plaisir à dessiner, aussi. Le résultat était moins grossier, car il était mien. Et surtout, plus je m’éloignais de mes modèles, plus paradoxalement j’étais capable de les voir clairement ; de comprendre le concept de perspective, par exemple, ou d’apprendre ce qui constituait un mouvement. En somme au lieu d’apprendre à copier, j’ai appris à analyser, et c’est cela qui a tiré ma modeste production vers le haut.
Parallèlement, mon travail recevait plus de louanges de la part de mon entourage et notamment de mes amis. J’ai continué de dessiner jusqu’à l’orée de mes 20 ans, souvent sollicitée par des camarades de classe pour faire leur portrait ou dessiner des aventures que nous lisions ensemble entre deux cours. Il était si bon d’avoir arrêté de calquer. Quand bien même le résultat n’était pas parfait, loin s’en faut (je n’aurais jamais fait les Beaux-Arts !), il me satisfaisait bien plus. Il était mien, du début à la fin, voilà tout. Je m’étais approprié l’art qui me séduisait, pas juste les images qui me plaisaient.

Sans transition. La semaine dernière pour le lancement de Glacé sur Hem6, je vous parlais de Fortitude… il est donc naturel que ce soir je fasse l’inverse, et vous touche trois mots de Glacé alors que Fortitude démarre sur arte. Je vous assure que quelque part dans cette phrase se trouve un embryon de logique…
Glacé, c’est la série que tout le monde attendait [au tournant] parce que la sixième chaîne n’avait plus proposé de série dramatique en primetime depuis des lustres. C’est aussi la série dont il était clair qu’elle s’inspirait du succès des séries scandinaves (quand bien même pour l’essentiel il ne s’agit « que » d’un succès d’estime), succès dont la fiction européenne, entre autres, ne se lasse pas d’essayer de s’inspirer. Ce qui devait arriver arriva : Glacé révèle que la technique du calque n’aboutit qu’à de la frustration.

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Mais reprenons. Glacé se déroule dans les Pyrénées où le corps décapité d’un cheval est retrouvé en haut d’un pic, à plus de 2000 mètres d’altitude.
Parfaitement : un cheval décapité. Parce que très franchement on avait déjà vu et revu les enfants enlevés (pas encore les embryons kidnappés mais je soutiens qu’on finira par y avoir droit) et les femmes tuées (ou adolescentes, on n’est pas des bêtes), et même quelques hommes adultes sauvagement trucidés (tel qu’encore récemment au début de Jour polaire/Midnattssol). C’est vous dire si on a désespérément besoin de nouvelles victimes.
Mais comme personne n’ira pleurer sur la mort d’une personne âgée, tout ce qu’il reste, c’est le règne animal.

Que mes lecteurs les plus alarmés se rassurent : Glacé ne tente en réalité pas vraiment de nous émouvoir quant au sort de son canasson, un crime dont on a l’impression qu’il est sans victime puisqu’il n’y a pas d’enjeu, que même le propriétaire de l’animal ne paraît pas à l’écran, et qu’aucune forme d’attachement à la bestiole ne nous est indiquée (si ce n’est son prix). Même la série n’y croit donc qu’à moitié. On apercevra d’ailleurs à peine la dépouille de l’équine victime dans le premier épisode de la série (la mise au point sera plus nette lorsqu’on retrouvera sa tête, cela dit), puisqu’en réalité elle n’est qu’une excuse. Une prétexte narratif. Un… cheval de Troie.

L’animal est en effet la propriété d’un riche industriel local, et c’est le poids de celui-ci sur les institutions pyrénéennes (vous savez bien qu’il n’y a que le piston qui marche, en France) qui motive la procureure locale à faire appel à un enquêteur de la police judiciaire, en plus de la gendarmerie du coin. Voilà donc, bon gré mal gré, deux professionnels qui se trouvent forcés de coopérer : Martin Servaz de la PJ, et Irène Ziegler la gendarme, bossant sur une enquête portant sur les atrocités (j’ai failli dire : sur la boucherie) commise par quelque tordu envers un animal tout-à-fait anodin par ailleurs. Servaz, en particulier, est peu ravi d’être là, rapport au fait qu’il a cherché à tout prix à éviter la région depuis l’arrestation de Julian Hirtmann, un ancien procureur et l’un de ses amis… dont il s’est avéré qu’il était aussi un tueur. Servaz a lui-même dû arrêter son ami, lequel est désormais interné dans un établissement psychiatrique, dans une aile dédiée aux criminels dangereux. Le simple fait d’être à moins de 10 kilomètres de la cellule de Hirtmann donne à Servaz de sérieuses réserves quant à l’enquête, en plus du manque d’intérêt de celle-ci sur un plan purement criminel.

En bon épisode de pseudo-Nordic Noir, tout en mettant ces ingrédients en place, Glacé se fait une joie de nous rappeler qu’on se les pèle.
Les allusions au froid, à la neige, au fait qu’il fait froid, au fait qu’il y a de la neige, et à la froideur de la neige, sont nombreuses. C’est le cas aussi bien visuellement (et je lui accorde que la série a trouvé quelques plans pas dégueulasses, en particulier juchée au sommet de son téléphérique) qu’au niveau des dialogues (« ah bah il faut vous acheter un manteau plus chaud ! »), voire jusque dans les petites scènes supposément authentiques dépeignant les moindres détails de l’enquête (…l’achat d’un nouveau manteau, I shit you not). Tandis que les spectateurs montent machinalement le chauffage chez eux, Glacé passe son temps à se vanter d’avoir trouvé un coin de France qui ressemble à la Scandinavie où peu de séries se sont déjà aventurées. A plus forte raison pour le filmer sous la neige. La neige froide. Vous l’avez ? Comme si c’était là un motif de fierté en mesure de transcender ses qualités intrinsèques !

La réalité est toute autre : Glacé, comme de trop nombreux thrillers, n’a pas grand’chose à raconter. Au prétexte d’être grand public, on oublie de mettre quelque chose derrière l’enquête. La résolution du mystère (qui ne passionne personne pourtant, pas même ses protagonistes) accapare Glacé toute entière, qui ne semble pas, au vu de ce premier épisode, avoir accordé beaucoup d’attention au fond. Ce qui est un rien gênant…

Oh bien-sûr, Glacé essaye de ne pas faire tourner toutes ses scènes autour de la viande chevaline retrouvée dans les montagnes pyrénéennes, mais uniquement parce que le scénario a besoin d’être aéré. Pas pour dire quoi que ce soit.
Les alternatives à l’enquête de Servaz et Ziegler, on les trouve dans des scènes nous montrant le quotidien d’un troisième personnage central, la psychiatre Diane Berg. Glacé opte alors pour une intrigue supposément parallèle (personne n’est dupe) pour nous réconforter, histoire que nous ne pensions pas qu’on doive tenir 6 épisodes sur un bon sang de cheval.
On devrait être rassurés. Il n’en est rien.

Même lorsque l’épisode propose une scène un peu désarmante de réveillon de Noël dans un hôpital psychiatrique (où, chère Diane, les patients n’apparaissent pas du tout comme touchés par des troubles psychomoteurs mais uniquement psychologiques, on aurait pu espérer que vous au moins fassiez la différence, à défaut que les scénaristes la perçoivent), on reste à la surface des thèmes ainsi abordés. Car il ne s’agit surtout pas de parler de santé mentale, ni, institutionnellement, du traitement de la santé mentale en France. Quant à parler de la façon dont des criminels sont condamnés à des soins, encore moins, ohlà, comme vous y allez ! Non. Mais on a vaguement mentionné la santé mentale et donc du coup, bingo, ça crée une ambiance. On n’a rien à en dire mais on va quand même y passer plusieurs scènes. La crainte de se mouiller dans un sens ou dans l’autre provient des basses températures dans les Pyrénées, je présume (s’agirait pas de choper froid, on vous a dit qu’il faisait froid ?).
De sorte que Glacé poursuit son épisode introductif sans rien faire sinon agiter le chiffon rouge de la dangerosité présumée des malades mentaux parqués dans une institution, au mieux. Ou au pire, on ne sait trop. C’est supposé faire frissonner le spectateur, pas l’interroger sur quoi que ce soit et pas même l’émouvoir. Vous l’aurez compris : bien-sûr, même ces scènes en milieu psychiatrique/carcéral ne sont qu’un prétexte à nous faire craindre l’atroce Hirtmann, à le poser comme une sorte de méchant démoniaque (bien que rien n’indique pour le moment qu’il présente quelque trouble que ce soit, mais si on se met à pinailler quant à l’essence-même du personnage antagoniste de la série, où va-t-on ?). Forcément effrayant, puisqu’interné. Je vous avais prévenus que Glacé n’avait pas réfléchi au fond. Et qu’au bout du compte la série se montre incapable d’envisager que son univers puisse ne pas tourner autour de son intrigue de thriller…
On sent aussi très bien, dés ce premier épisode, que cette pauvre Diane, eh bien ma foi c’est une fausse héroïne ; on la voit trimbaler sa tête de victime en sursis, obsédée par l’idée de rencontrer un jour Hirtmann, absorbée dans la contemplation mélancolique de son fond d’écran d’ordinateur où… mais… est-il possible ? Glacé a-t-elle vraiment décidé d’enfoncer les portes capitonnées ouvertes ?
Il y a de fortes chances, oui.

glace-alt-300Glacé voudrait donc, ligne après ligne, courbe après courbe, trait après trait, reproduire ce que nous avons vu ailleurs… en mieux. Sauf que comme beaucoup de séries faisant l’erreur de vouloir surfer sur la vague scandinave, elle n’a retenu que le superficiel et non l’essentiel.
Prenez l’exemple de la fiction policière danoise : on n’y produit pas des thrillers pour faire thriller, pour river le spectateur devant son écran en attendant que la réponse à la question soit obtenue (la question ici n’étant pas « mais qu’est-ce qu’on s’en fout du canasson ? » en réalité… mais vous le saviez). L’idée est au contraire de créer des séries reposant sur le principe de « double histoire », soit la superposition de l’intrigue centrale et d’un propos plus abstrait sur la société ou la condition humaine. La « double histoire », c’est un concept revendiqué par Ingolf Gabold, directeur de la fiction de DR entre 1999 et 2012 ; un précepte qu’il a suivi religieusement pour toutes les commandes de séries passées par le diffuseur public pendant son mandat. Avec, pour résultat à cette démarche, la prouesse qu’on connaît aujourd’hui : la fiction danoise s’est distinguée hors de ses frontières (et en particulier au-delà de la Scandinavie) pour la première fois de son histoire.
La raison pour laquelle les Forbrydelsen et autres se sont imposées en moins d’une décennie tient précisément dans ce principe de « double histoire » ! La recette a fait ses preuves, donc. Contrairement aux apparences, ce n’est ainsi pas le froid, les gros manteaux et la neige qui ont fait le succès de la fiction nordique, mais bien un principe narratif, mieux : une ambition de joindre le signifiant au signifié. On y part du principe que le suspense n’équivaut pas à la dramaturgie, que le mystère n’est pas porteur d’émotion ou d’idées de façon inhérente, et que le spectateur est capable de s’impliquer dans une fiction complexe, fondée autour de plus d’une problématique à la fois. La formule à laquelle les séries scandinaves, en particulier policières, doivent une grande partie de leur succès, est un véritable manifeste ; il ne doit rien au hasard parce qu’il découle directement d’une volonté de mieux-disant culturel typique d’une chaîne du service public, en particulier dans des pays comme le Danemark où la télévision publique a longtemps été la seule entité capable de proposer de la fiction originale. On ne réplique pas le canevas de ces fictions sans au moins comprendre les motivations derrière leur conception et/ou leur commande ! C’est dire si Hem6 à la base n’avait rien pigé au dessin qu’elle cherchait à copier, le nez collé contre la lucarne.
Toutes choses que Glacé ignore puissamment, parce que le travail n’a pas été fait en amont pour comprendre ce qui constitue, en réalité, la racine du succès de la fiction scandinave, ici si grossièrement décalquée. Il manque à la production de Glacé ainsi qu’à son diffuseur une compréhension de ce qui se joue derrière les parkas et les flocons. Par contre, ça oui, il y a de la neige sur le pic pyrénéen ! Le premier épisode de Glacé peine à mettre en place UNE intrigue : personne même à l’écran ne s’intéresse au fait qu’il y a, littéralement, mort d’un cheval. Alors une seconde intrigue plus abstraite, vous pensez bien…
Au mieux, et vous allez voir que c’est peu, Glacé se réfugie dans le symbolique, notamment avec ses quelques rappels à la religion chrétienne (le cheval a été dépecé pour que la peau de son dos lui donne l’apparence d’un ange, les indices se découvrent au détour d’une croix ou d’un autel, etc.). Or, on ne va pas bien loin en ne faisant le chemin qu’au nom du Père, du Fils et du Saint Poney. Cela pose une ambiance, sans doute possible (à condition de filer la métaphore et ne pas l’abandonner au bout d’une vingtaine de minutes), mais sans éveiller quoi que ce soit auprès du spectateur. Rien qui ne le touche. Rien qui ne lui parle. Rien qui ne l’interroge, mon Dieu, surtout pas.

Les preuves de l’inaptitude de Glacé sont accablantes, et causent plus de déception que de satisfaction. Au lieu d’apprendre à copier, il est de nombreuses fictions qui feraient bien d’apprendre à analyser. Il leur ferait tant de bien d’arrêter de calquer… Quand bien même le résultat ne serait pas parfait, loin s’en faut, il satisferait bien plus.
Ce ne sont pas les images plaisantes (et froides) qu’il faut s’approprier, mais bien l’art télévisuel lui-même, en observant ses techniques, en comprenant ses mécanismes, en apprenant son histoire (y compris internationale, hé oui), aussi, qui joue un rôle. Mais Glacé, comme plusieurs thrillers s’inspirant superficiellement de la fiction scandinave du moment (en France ou ailleurs), refuse de faire ce travail.
Pas de chance pour Glacé : en matière de fiction, à cheval donné, la critique regarde les dents.

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Et pour ceux qui manquent cruellement de lecture…

3 commentaires

  1. maxwell39 dit :

    Sur le papier, je pourrais aimé Glacé, mais le fait que ça vienne d’M6 (et plus globalement de France) me fait peur. Ca fait combien d’année que la chaine n’a pas produit de série de prime time ?

    • ladyteruki dit :

      Alors une nuance : primetime, si. Les beaux malaises (adaptation de la série québécoise éponyme… on en reparle vite) était diffusée en primetime cet automne. Par contre côté drama, oui, je t’accorde que ça fait des plombes.
      Par contre je ne pense pas qu’il faille généraliser à un pays (et pas nécessairement à une chaîne bien que je comprenne tes réticences). S’il y a bien une chose que j’essaye de démontrer dans ces colonnes, c’est bien que la valeur d’une fiction ne dépend pas de son pays d’origine. Et on a de solides séries en France, quand bien même on a souvent l’impression d’être en crise, il y a de vrais bons projets là-dehors.

  2. maxwell39 dit :

    Ce n’est pas un avis sur les séries françaises, j’en regarde un certain nombre (Ainsi soient-ils, Fais pas ci, Un village français, Templeton, Les Grands, ou plus ancien, Clara Sheller et Les Bleus sur M6 d’ailleurs etc… 🙂 ), sans compter quelques séries canal, elles no’nt pas grand chose à envier à leur homologes étrangères.
    Quand à la chaine, je reconnais mes réticences (pourtant les bleus, c’était bien justement) mais voilà, ça fait telelemnt longtemps qu’M6 ne propose plus rien en prime time (et je ne parle pas des shortcoms qui garde l’antenne durant 2h juste avec des seynettes 🙁 ). Et autant pour moi, j’avais zappé Les beaux malaises.
    Pourtant, je m’étonen moi même de ma réaction, sur les chaines américaine, je suis le premier à m’interreser à une série quelque soit son diffuseur… parce qu’entre CBS à Freeform, en passant par FX, Amazon et Tv Land, y’a un monde ^^
    Curieux de voir ce que tu pense sur les beaux malaises made in quebec… le genre de série qui n’est à priori pas du tout fait pour moi.

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