Bien que mes tentatives de me frotter aux séries sur la famille Borgia (The Borgias et Borgia, un jour je trouverai un moyen mnémotechnique pour me souvenir de la différence) commencent à dater, ce que j’en ai retenu, c’était avant tout l’histoire d’une dynastie ambitieuse, ainsi quedes relations entre le pouvoir civil et le pouvoir religieux dans l’Italie du 15e siècle. Sur le papier, I Medici a beaucoup en commun avec ce qu’il me souvient de ces séries.
Pourtant, son traitement fait toute la différence.
C’est que, I Medici commence alors que le patriarche de la famille florentine des Medici décède. En apparence, Giovanni di Medici est mort de la plus sotte des façons (il s’est étouffé avec du raisin), mais en réalité, tout porte à croire qu’il s’agit d’un assassinat (les fruits de son jardin ont été empoisonnés). L’un des hommes les plus influents de la ville a été terrassé par ses ennemis non grâce à une dague dans une ruelle sombre, ou parce que son commerce de banquier a fait faillite, mais suite à l’utilisation d’une méthode vieille comme le monde, insidieuse, subtile, vicieuse. Il laisse derrière lui deux fils : l’aîné Lorenzo et le cadet Cosimo, qui doivent prendre la relève à la tête de la famille, de la banque, de l’empire financier.
Le choix, en réalité, ne se fait pas à la mort de Giovanni, et c’est ce qui se trouve au cœur d’I Medici : la façon dont l’homme a préparé sa succession. Et ce que celle-ci signifie pour ses fils.
En utilisant de nombreux flashbacks qui renvoient le spectateurs 20 ans avant le mort de Giovanni (on n’allait quand même pas cantonner Dustin Hoffman à une scène d’étouffement au grain de raisin !), I Medici décrit ainsi comment l’un des hommes les plus intelligents de son époque, patriarche avisé mais strict, commerçant né humble mais visant les sommets, sélectionne chez ses fils les compétences qui assureront sa postérité.
L’accent est mis, en particulier, sur Cosimo. Jeune homme, il rêvait d’art, d’architecture, d’amour ; durement mais sans aller jusqu’à le brusquer, Giovanni tente de lui donner envie d’avoir d’autres ambitions.
A la faveur du choix d’un nouveau Pape (c’est l’année des Papes sur la télévision italienne…), il force son jeune fils à prendre ses responsabilités, à déployer son intelligence, à revoir ses objectifs. La façon dont le patriarche tente à la fois de guider et de manipuler son éventuel successeur est montrée comme avant tout une forme d’anticipation : Giovanni est un homme essentiellement porté par une vision sur le long, voire très long terme. Il saisit le potentiel de son fils, le juge à l’aune de ce qu’il peut devenir, le traite en homme intelligent pour en tirer le meilleur, le hisser à son niveau de sagesse. Un rapport qui est à l’opposé de celui que dévoile I Medici entre Giovanni et Lorenzo. L’autre fils n’est pas un bon à rien, et au contraire il se montre capable de porter les ambitions de son père. Hélas pour lui, il n’a pas la même intelligence, la même finesse d’esprit, la même inventivité en termes de manipulation. De sorte que finalement, c’est la créativité et le tempérament artistique de Cosimo qui peuvent le mieux servir les intérêts politiques et financiers futurs de la dynastie Medici.
Loin de se limiter à cette nouvelle fable sur Romulus et Remus, I Medici s’intéresse à la façon dont les deux frères vivent ce traitement de leur père ; leur rivalité est pour l’essentiel écartée de l’épisode inaugural au profit de l’étude de la personnalité et surtout l’évolution de chacun. C’est vrai de son vivant (les flashbacks montrent à la fois combien Lorenzo est désireux de bien faire, et combien Cosimo aimerait ne pas avoir à faire le concessions que son père attend de lui), et c’est vrai après sa mort, deux décennies plus tard, lorsqu’effectivement c’est au tour de Cosimo, avec l’appui (à l’occasion amer) de son frère, de tenir la place de chef de famille.
Cela s’avère plutôt assez habile, cette construction. Au-delà des complots, manigances et autres projets orgueilleux des Medici, la série parvient à évoquer des questions assez rares dans une série historique sur des puissants. En détaillant les concessions à faire pour succéder à ce grand homme qu’est Giovanni, I Medici dit des choses assez pointues. Il ne s’agit pas simplement de concessions morales dans l’absolu, ou vis-à-vis de la religion, mais aussi de sacrifices personnels, intimes, qui ramènent à l’identité-même de ces fils. Cosimo doit accepter d’abandonner qui il est, au moins en partie, s’il veut se montrer digne des attentes de son père ; mais il doit aussi, au moins en partie, cultiver la finesse qui fait sa particularité vis-à-vis de son frère Lorenzo. Il ne peut pas simplement tuer cette part de lui-même, quand bien même elle doit être si souvent étouffée, qui lui donne envie d’admirer le beau plutôt que d’imaginer quelque manœuvre politique.
Alors bien-sûr, I Medici n’est pas parfaite ; son premier épisode souffre de plusieurs clichés, par exemple. On y trouve aussi une envie palpable de faire de la télévision relativement grand public sans aller chercher l’excellence artistique (sacrifice également opéré par son personnage central, en un sens), par exemple lors d’un montage musical assez grossier dans ses intentions et son contenu, mais ma foi, suffisamment rythmé pour capter l’attention de ses spectateurs. I Medici tombe aussi dans quelques excès de simplicité, par exemple dans sa façon d’aborder l’homosexualité d’un personnage secondaire, mettons, traitée par-dessus la jambe quant il aurait été intéressant d’entrapercevoir les concessions d’autres personnes sur leur identité et leurs choix, comme dans un miroir renvoyé aux tourments de Cosimo. Il faut aussi mentionner certains dialogues qui piétinent, en particulier parce que la série parvient à donner suffisamment d’informations non-verbales pour qu’on n’ait pas à se taper certaines explicitations.
Mais dans l’ensemble, je trouve I Medici plus… hm, riche, désolée de le dire, que beaucoup d’autres séries historiques similaires, dont Borgia et The Borgia (les Dupondt de la télévision parlant des puissants du 15e siècle !)… et pas que dans le domaine historique, à la réflexion.