En ces temps troublés pendant lesquels les mauvaises nouvelles nous arrivent par chapelets, il peut être tentant de se réfugier dans de la fiction… comment dire les choses poliment ? Moins exigeante, disons. Le décès de Trixie après des mois de maladie a été, en ce qui me concerne, la raison suffisante pour me replonger dans mon intégrale des Tudors. Entre ses costumes épatants et son personnage central insupportable, j’ai instinctivement trouvé là une série à regarder dans un marathon copieux, mais dans lequel je n’avais pas besoin de m’engager émotionnellement. J’étais trop à bout de nerfs pour cela.
The Tudors, pour ceux qui roupillaient dans le fond à la fois pendant leurs cours d’Histoire ET les fois précédentes où j’en ai parlé, est une série centrée sur Henri VIII, roi d’Angleterre au tout début de la Renaissance. The Tudors est une série restée dans les annales, pour l’essentiel, par sa façon de donner dans une certaine gratuité tout en faisant mine de reconstituer une période historique complexe. C’était bien tenté mais ça prend pas.
Pourtant, lorsque commence The Tudors, il est facile de se prendre au jeu : la série insiste, et de multiples façons, sur l’imminence du schisme religieux qui s’apprête à se produire dans l’Angleterre d’Henri VIII. Les relations du Roi avec son conseiller, le cardinal Wolsey, mais aussi avec d’autres personnalités pieuses tel l’avocat Thomas More, servent ainsi d’illustration à l’évolution de cette intrigue hautement historique, mais traitée par un angle aussi peu factuel que possible. Le crédo de The Tudors en la matière est de tout renvoyer à des intrigues de cour et à des ambitions personnelles, y compris celles du Roi ; ce qui n’est pas nécessairement faux mais manque tout de même de distance et d’épaisseur. C’est pas grave : comme je l’ai dit, je n’étais pas venue à la série pour ça. J’aurais été bien déçue : en dépit des signaux envoyés à de multiples reprises au spectateur sur le sujet, The Tudors fait progresser les choses au ralenti.
La première saison (et d’ailleurs, dans une certaine mesure, la deuxième aussi) sentent le soufre. Ce qui importe vraisemblablement à The Tudors, c’est de faire plaisir à un public peu regardant en truffant ses épisodes de références, dont l’explicitation varie, à la vie sexuelle de ses protagonistes. Vraisemblable ou fantasmée, je ne saurais dire, et n’ai pas absolument envie de me lancer dans des recherches sur le sujet, mais la vie sexuelle dans The Tudors est débridée et dénuée de la plupart des tabous qu’on imagine une société catholique sortant à peine de Moyen-Âge perpétuer. En fait, dans The Tudors, le sexe est presque toujours une question de pouvoir. Jamais d’intimité. C’est bien-sûr vrai pour Anne Boleyn, qui utilise le sexe (ou absence de) comme d’un argument de « vente » pour capter puis conserver et enfin perdre l’attention du Roi, mais cela ne se limite pas à elle, loin de là ; après tout c’est également le sexe qui cause la perte de trois de ses autres épouses, quoique pour des motifs variables.
En dépit de ce prisme très spécifique à travers lequel elle envisage l’utilisation du sexe dans ses intrigues, The Tudors se montre absolument incapable d’offrir un propos sur les implications de ce pouvoir. Le droit de cuissage, explicitement montré dans la série et qui, disons les choses comme elles sont, n’est rien d’autre qu’un viol par abus de pouvoir, est ainsi esthétisé mais ses conséquences passées sous silence. Alors c’est une autre époque, pour sûr ; mais The Tudors, elle, n’a pas été écrite à la Renaissance. Or elle se trouve souvent bien incapable de porter un œil moderne sur les choses qu’elle montre dans ce domaine (elle ne s’en prive pourtant pas dans d’autres), et préfère opter, de façon systématique, pour une idéalisation des interactions sexuelles des uns et des autres, simplement parce qu’on est à la cour d’un grand prince et que les belles femmes se succèdent (l’omniprésence du male gaze a encore de beaux jours devant elle).
The Tudors est parfaitement consciente que c’est là l’un de ses meilleurs appâts, et s’en joue sans retenue.
Pourtant, à force de patience, comme chez bien des séries de Showtime qui persistent à souffrir de leur réputation sur le sujet (… pas forcément à tort dans le cas présent), la série calme son jeu. La dernière saison est quasiment exempte de scènes au lit, en fait.
Il y a une bonne raison à cela : au long de ses 4 saisons, The Tudors affiche une volonté marquée de suivre Henri VIII à plusieurs âges de sa vie, dans un portrait que se veut de toute évidence intime, mais aussi sensible au passage du temps et à l’impact des évènements sur lui.
The Tudors est à son début une série jeune et pleine de passion, obsédée par le sexe… mais à mesure que son roi vieillit, alourdi par les meurtrissures, la série se calme. C’est d’ailleurs un magnifique projet dans son ensemble, probablement la vraie qualité rédemptrice de la série : loin de laisser la série virer au soap, le temps s’effiloche saison après saison et accompagne le développement de son monarque. Assister à la fin de la vie (mais pas au décès, un choix que j’ai trouvé judicieux) du Roi à la fin de la série était brillant, quand bien même Jonathan Rhys Meyers surjoue comme un porc. Mais qu’importe puisque The Tudors est aussi (parfois malgré elle, souvent à dessein) l’histoire d’un Roi excessif, sanguin, inconstant et brutal ; toutes choses qui qualifient parfaitement le registre dans lequel Meyers se place du début à la fin de ces 4 saisons.
En suivant Henri VIII jusque dans la vieillesse, en acceptant d’énumérer les épouses comme des évènements qui se produisent dans la vie son personnage central et non plus seulement comme des histoires de cœur sexy et/ou romanesques (en particulier après la mort d’Anne Boleyn, en fin de saison 2) , The Tudors dessine aussi l’idée qu’à chaque épouse, à chaque reine, à chaque mariage, à chaque union, correspond une phase différente de la vie de Henri VIII. Ses 6 épouses, bien que pléthoriques, ne sont pas interchangeables ; chacune laisse sa marque sur le Roi et donc sur la Cour voir le pays. Le cas d’Anne Boleyn est évidemment le plus criant, mais il est clair que chacune participe à modeler le prince.
Entre les mains de ces femmes (et je dis « mains » parce que je suis d’une grande retenue naturelle), Henri passe d’un statut de petit garçon capricieux à celui de monarque autoritaire. Dans les faits ça ne change pas toujours quelque chose pour son entourage direct, je vous l’accorde ; mais lorsqu’on prend un peu de recul, on constate que cela apporte des nuances bienvenues au personnages, qu’on ne pouvait décemment pas attendre de la seule interprétation du rôle…
The Tudors parvient, à terme, quand même, un peu malgré elle, à aussi parler de religion. Pas dans le sens où ses personnages se révèlent particulièrement attentifs à leur vie spirituelle, bien-sûr. En fait il est assez difficile de cerner ce en quoi ils croient réellement, parce que The Tudors ne s’en soucie pas vraiment. La série est tellement occupée à s’étendre sur le détail des ambitions personnelles et des connivences d’intérêt, qu’il n’y a pas de place pour ce genre de discours, quand bien même l’histoire de la naissance anglicane est au centre de si nombreuses intrigues et dissensions. Lorsqu’un personnage est profondément catholique, ou au contraire en rupture, ce n’est donc jamais vraiment pour lui-même, mais pour la façon dont cette position va présider à son sort dans le contexte du moment. La religion, et je suppose que c’est d’époque après tout, est surtout un question politique.
Mais cela participe aussi d’une constatation plus large : le cynisme de The Tudors est constant, et il empêche de se lier vraiment à qui que ce soit au long de la série, à quelque égard que ce soit. Foi et amour n’ont pas d’importance. Encore une fois, vous ne me voyez pas me plaindre, j’étais pas là pour verser une larmouchette sur les déboires de Riri Huit ; je constate simplement.
A force de mettre en scène des complots, des alliances (et les inévitables désalliances qui leur font suite), des trahisons, et toutes sortes de mesquineries de toutes sortes, sans même parler du goût prononcé du Roi pour les humiliations de ceux qui l’ont regardé de travers dans un couloir, on finit par ne plus penser que qui que ce soit dans la série a une once de sincérité à offrir. Si cette absence de sincérité fonctionne dans le cadre des intrigues elles-mêmes, en revanche à un niveau émotionnel, il devient strictement impossible de faire preuve de la moindre empathie : puisqu’aucun des sentiments exprimés n’est totalement authentique, pourquoi s’impliquer ? Punaise je l’avais vraiment bien choisi, mon marathon, avec The Tudors. Pile ce qu’il me fallait.
En revanche, dans d’autres circonstances, je sais que j’aurais trouvé tout cela déplaisant, et cela explique qu’en dépit du fait que je possède l’intégrale de la série, c’était la première fois que je la regardais dans son intégralité. Probablement la dernière, mais il ne faut jurer de rien.
The Tudors n’est pas, ne sera jamais, même sous l’emprise de drogues dures (mais il faudrait demander confirmation à Jonathan Rhys Meyers sur ce point), une grande série. Elle dispose de costumes à se damner, et propose quelques moments de bravoure en termes de réalisation, mais globalement, elle s’oublie aussi vite qu’elle se regarde. Enfin, surtout dans mon cas, vu que je l’ai dévorée en un peu plus d’une semaine. Au moins ça m’aura vidé la tête.
Le plus amusant que je retire de cette expérience, c’est le temps que The Tudors m’a fait passer sur Wikipedia et consorts pour vérifier la valeur factuelle de ses éléments historiques (quelque chose qui ne m’est d’ailleurs pas propre : quelques jours plus tard à peine, tout le monde semblait le faire pour The Crown). Peu de séries historiques m’incitent à le faire avec une telle application, et je pense que c’est dû en partie à la méfiance que suscitent les pratiques de The Tudors, ainsi qu’à son cynisme ; reste que ça m’a bien occupée à un moment où j’avais profondément besoin de m’absorber là-dedans plutôt que dans ma peine.
Les choses sont vraiment bien tombées en ce qui me concerne, et le contexte fait que je ne tiens pas rigueur à The Tudors de ses défauts ; d’ailleurs j’ai voulu me lancer dans un second marathon à sa suite dans l’espoir de continuer à rattraper des séries que je n’avais jamais finies, et mes tentatives sur Big Love (bah quoi, ça semblait thématiquement proche, non ?) n’auront pas été couronnées du même succès. Parfois les circonstances jouent vraiment en faveur d’une série, il n’y a pas de doute. C’est ce qui me permet de ne pas tenir rigueur à The Tudors… voire même, désormais, de lui vouer une certaine tendresse quand je la vois attaquée. Finalement il semblerait que je sois incapable de ne pas m’impliquer émotionnellement dans une série…