Mayuko Tokita est une provinciale arrivée à Tokyo récemment à l’issue de ses études, afin de commencer sa carrière dans le milieu de la mode. Sauf qu’elle n’aime pas particulièrement la mode : ce qui l’obsède, elle, c’est uniquement le tissus. C’est ce qui explique qu’elle a eu un peu de mal à trouver un poste, mais là voilà tout de même recrutée par Emotion, une petite compagnie spécialisée dans la lingerie de luxe confectionnée sur-mesure.
Peu soigneuse de son apparence, un peu naïve, et un peu trop bavarde, Mayuko va y découvrir qu’elle est l’opposée de la patronne, l’élégante Mayumi Nanjou.
Underwear / Atelier est une série de Netflix dont on n’aura pas autant parlé que d’autres séries internationales du service de VOD (le premier terme est le nom original de la série au Japon, le second le titre sous lequel Netflix propose la série dans tous les autres pays), et c’est un tort. Je m’apprête à vous prouver pourquoi dans cette review du premier épisode, mais de la dernière chance, vu que ça fait des mois que j’essaye de poser des mots sur ce qui se passe ici.
La raison de ma confusion elle-même est difficile à exprimer, alors commençons par ceci : Underwear / Atelier est une série japonaise tournée comme mille autres séries japonaises. En fait, en-dehors son format (43 minutes, paramétré pour le public international donc), rien ne la distingue d’un autre dorama créé pour la télévision nippone : l’image est décente mais pas folichonne, le jeu est un degré trop emphatique, les musiques sont chiantes et génériques à la fois, et les clichés abondent en ce qui concerne les personnages. Rien que dans l’opposition entre la jeune femme mal dégrossie et l’élégante mais autoritaire patronne, Underwear / Atelier ne donne pas exactement dans l’inédit (hello Real Clothes).
Non, on est dans le mainstream le plus total, dans l’exacte moyenne de ce qui se produit au kilomètre au Japon, dans la norme plutôt que dans l’exception (…celle dont, je le reconnais, je préfère souvent vous parler). Tout ça alors que si souvent Netflix aime à se targuer de la façon dont la télévision est révolutionnée par ses séries originales. Bon, précisons-le tout de suite, ce n’est pas entièrement étonnant : c’est en réalité Fuji TV qui a développé cette série en in-house à l’origine, comme elle l’aurait fait pour tant d’autres séries de l’une des 4 rentrées télévisuelles de la télévision japonaise…
A ce stade, ceux qui n’ont pas encore déserté cette review ne sont retenus que par leur explorateur internet, qui rame pour cause de surplus d’onglets ouverts ; mais prenez patience.
Car Underwear / Atelier est aussi une série d’une finesse incroyable dans son discours. Le nombre de choses qu’il faut dépasser, a fortiori pour un spectateur peu coutumier des séries japonaises grand public, est élevé, mais ne doit pas vous décourager de lui donner sa chance.
Derrière ses apparences du Diable s’habille en Uniqlo, le dorama ambitionne ainsi de parler de beauté. Pas de la décrire avec des étoiles dans les yeux, mais bien de l’interroger. Oui, au départ, Mayumi Nanjou apparaît comme la personnification du raffinement assuré, et Mayuko Tokita comme une énième jeune femme qui se doit d’être modelée pour répondre aux critères de sa patronne, qui comme par hasard reflètent ceux de la société. Toutefois, au bout de quelques minutes, si on lui en donne la chance, Underwear / Atelier s’aventure dans l’exploration des contradictions autour de la beauté, et en permettant à son héroïne de prendre la parole juste un peu plus souvent et franchement que dans la plupart des autres séries nippones (a fortiori dés le premier épisode), la série atteint un niveau de discours autour de ce que la beauté en particulier féminine est, n’est pas, devrait être, et devrait se garder d’être. Les réponses qui lui sont proposées sont multiples (par sa patronne mais aussi par d’autres employés de l’atelier de lingerie), et pas toutes convaincantes de la même façon, mais au terme de cet épisode inaugural, Mayuko n’a de toute façon pas vraiment changé d’avis. Au contraire, j’aurais envie de dire qu’elle est prise dans encore plus de contradictions que lorsqu’elle a commencé son travail dans son petit complet gris souris.
Qu’est-ce que la beauté ? Pourquoi la beauté est-elle une affaire de femme ? Pourquoi Emotion recherche la beauté ? Comment cette beauté est-elle obtenue et montrée ? Quel est le coût de cette beauté, aussi bien sur un plan créatif à l’atelier, que pour les femmes se trouvant confrontées à la beauté créée par Mayumi Nanjou ? Comment la beauté devient-elle un produit commercial ? Et la fonction, dans tout ça, l’utile peut-il être beau ?
Underwear / Atelier n’a pas le temps, bien-sûr, et surtout pas en seulement trois quarts d’heure (soit une dizaine de minutes de moins que la plupart des autres séries nippones) d’entrer dans le détail de chacune de ces interrogations. En revanche, elle pose ces questions, parfois même très explicitement. Les spectateurs, et en particulier les spectatrices (directement touchées par nombre de ces problématiques), n’ont alors d’autre choix que d’y réfléchir de leur côté, et de trouver leurs propres conclusions. Ou au moins, d’essayer ! Nul doute que toutes sortes de questions supplémentaires viendront rendre les choses plus compliquées encore par la suite.
Plutôt pas mal pour une série qui semble parfois sortir d’une usine de confection de fiction, et qui en fait, s’avère cousue main.
Je ne doute pas vraiment, honnêtement, que les problèmes de forme que pose Underwear / Atelier empêchent des spectateurs occidentaux d’apprécier le fond. C’est, à vrai dire, un problème récurrent en matière de fiction internationale, et que bien des séries de Netflix ont su éviter grâce à un lissage qui a uniformisé le ton de nombre de ces productions « locales », précisément afin de les rendre regardables par tous ses abonnés où qu’ils habitent. Eh bien Underwear / Atelier est l’une des rares séries non-américaines de Netflix à n’être pas du tout passées par cette moulinette. Il est certain qu’en dépit de tout ce qu’elle a d’intéressant à dire, elle continue d’être difficile à aborder pour beaucoup d’amateurs de fiction, surtout s’ils se sont montrés très peu curieux quant aux productions asiatiques avant que les pure players ne se piquent de commander des séries au Japon (c’est donc le cas de Netflix, mais aussi de Hulu avec LAST COP puis Daishou, et d’Amazon avec MAGI ou Baby Step, entre autres). Mais elle en vaut sans nul doute le coup.