Mesdames et Messieurs les membres du jury, considérez je vous prie la pièce à conviction n°712 dans le procès « lady contre la fiction pour la jeunesse étasunienne », intitulée Best Friends Whenever.
A l’origine j’avais jeté un œil à Best Friends Whenever au cours de l’été, parce que j’étais (pour des raisons que tout le monde aura élucidées) en pleine période « voyages dans le temps ». Je trouvais d’ailleurs intéressant qu’une série de Disney s’y essaye quand le voyage dans le temps semble, à la base, à l’opposé de ce qu’une série Disney tente de faire, c’est-à-dire éviter que le spectateur n’ait besoin de réfléchir. Or les paradoxes temporels, pardon hein, mais c’est pas bon pour ce que les spectateurs de Disney ont. Best Friends Whenever décide cependant de tenter, à ma grande surprise (et en même temps, sans surprise), une approche unique en la matière.
Ses deux héroïnes, Cyd et Shelby, sont les deux meilleures amies du monde, une relation qui s’apprête à être renforcée et/ou testée alors que Cyd emménage pour trois ans avec Shelby, pendant que ses archéologues de parents partent faire des fouilles dans un pays étranger sûrement tiré au hasard dans un chapeau. Évidemment les deux jeunes filles sont radicalement différentes, ce qui promet une cohabitation dans la chambre-grenier de Shelby compliquée, mais elles semblent décidées à tout faire pour que ça fonctionne puisque, après tout, elles sont les meilleures amies du monde.
Un matin en se rendant à l’école, elle s’arrêtent dans la caravane qui sert de laboratoire scientifique à leur meilleur ami le supergénie (as you do), et sont un peu par hasard, un peu par maladresse, touchées par un laser extrêmement puissant qui trainait par là (leur pote étant apparemment capable d’inventer toutes sortes de choses, sauf un bouton on/off). Le rayon ne manifestant pas d’effet immédiat, Cyd et Shelby se mettent donc en route pour l’école, où Shelby a échafaudé un plan compliqué pour demander au mec le plus mignon de l’établissement, Cameron, de l’accompagner à un quelconque évènement social. Les choses tournent mal, hélas, et la demande échoue ; lorsque Cyd tente de la réconforter, Shelby exprime alors le regret de s’être levée ce matin-là, et… et les voilà qui se téléportent dans la chambre-grenier de Shelby !
Après 10 secondes d’incrédulité tout-à-fait compréhensibles, les deux amies concluent très logiquement qu’elles sont retournées dans le passé.
Elles tentent tout naturellement de se saisir de l’opportunité pour corriger le cours de la journée, et c’est là que Best Friends Whenever opère ce petit truc surprenant dont je vous parlais. La correction ne fonctionne pas du tout, et par un concours de circonstances, c’est Cyd qui par accident demande à Cameron de sortir avec elle. Alors que Cyd essaye de calmer une Shelby paniquée par ce second échec consécutif, en lui disant que dans le futur elles en riront ensemble… les voilà transportées dans ledit futur !
Ce futur futuriste se déroule… deux ans plus tard, date à laquelle Cyd et Shelby sont en fait fâchées par les évènements de cette fameuse journée. Elles ne se sont plus adressé la parole depuis. Très vite (on n’a qu’une dizaine de minutes pour clore l’épisode après tout), elles réalisent que les causes de leur dispute sont plus profondes, et s’appliquent parfaitement à elles maintenant (Shelby est une control freak et Cyd est trop je m’en foutiste), et elles cessent réellement de s’adresser la parole.
Tout le but du premier épisode de Best Friends Whenever va donc être de régler le problème entre elles. A ma grande surprise, Shelby comme Cyd ne s’intéressent plus du tout à Cameron, notamment. C’est-à-dire que Best Friends Whenever n’utilise pas ses sauts dans le temps pour corriger une erreur initiale et aboutir à une journée parfaite, mais uniquement afin de prendre soin de la relation entre ses deux héroïnes. Leur amitié prime sur toutes les histoires secondaires, y compris les émois amoureux.
Mais le plus fou ? Dans la toute dernière scène de l’épisode, Best Friends Whenever met en place une intrigue plus large qui semble bien décidée à influencer le reste de la série ! Du feuilletonnant dans une série Disney ?! Quelqu’un chez Mickey a perdu le cahier des charges.
Alors pourquoi, Mesdames et Messieurs les membres du jury, vous ai-je avertis en préambule de ma plaidoirie que Best Friends Whenever était une calamité télévisuelle de plus, au lieu de vous la présenter comme porteuse d’espoir pour un genre en grand besoin de renouvellement ?
Tout simplement parce que sur le reste, Best Friends Whenever a tous les défauts d’une série Disney pour préados : les gags sont ridicules et absolument pas originaux, tout le monde surjoue en particulier les rôles secondaires (ça donne des gags grossophobes et, hm, roussophobes, avec les deux petits frères jumeaux de Shelby), il y a des rires enregistrés toutes les 7,12 secondes montre en main… bref c’est abominable à de nombreux égards. Toujours les mêmes. En outre on devine qu’une fois de plus, les héroïnes d’une série Disney vont devoir cacher quelque chose à leur entourage (ici leur capacité à voyager dans le temps), faisant reposer la série pour la énième fois sur le principe d’une double-vie. En-dehors de l’utilisation du voyage dans le temps, rien n’est à porter au crédit de Best Friends Whenever, et encore : cette utilisation du voyage dans le temps n’est qu’un choix qui permet d’éviter les paradoxes temporels sur le long terme, et de minimiser l’investissement financier dans les décors en carton (reconstituer une autre époque, ça coûte une blinde et Disney ne dépensera pas tout son argent durement gagné en produits dérivés dans ce genre de balivernes). Ce ne sont pas de vraies qualités lorsqu’il y a de telles intentions derrière !
Le résultat c’est que là où Best Friends Whenever aurait pu vraiment faire quelque chose d’intéressant, elle se contente du minimum syndical, et poursuit la longue tradition de séries pour la jeunesse produites aux USA qui refusent de traiter ses spectateurs comme des créatures douées d’intelligence. La seule morale de la série (l’amitié prime sur tout) n’est pas franchement un argument qui donne envie de défendre les séries pour les plus jeunes, un genre qui est capable, dans d’autres pays, d’avoir ses lettres de noblesse (je vous renvoie à Nwhere Boys, Harriet’s Army, ou encore même Raising Expectations pour le confirmer). L’une des vraies pistes de progrès serait d’abandonner, une fois de temps en temps, le format du sitcom en multi-camera, mais c’est si rentable ! Le résultat c’est que, encore et toujours, les séries Disney semblent condamnées à trouver un ou deux ingrédients qui les sauvent, et à se planter lamentablement sur absolument tout le reste. Vu que ce n’est guère mieux du côté de Nickelodeon, ya vraiment pas de quoi se vanter de l’ère PeakTV, chère Amérique.