Tout à l’heure, je m’agaçais une fois de plus de l’état de la fiction pour la jeunesse aux USA. Je sais que c’est cyclique, chez moi, et je me soigne. Mais il faut me comprendre : il y a tant de séries s’adressant au jeune public qui sont bien conçues de par le monde ! Et si l’Australie, le Royaume-Uni ou le Canada proposent de puissants exemples de séries réussies s’adressant aux préados voire aux enfants (et souvent, par extension, à leurs parents ; aux USA je pense que les parents regardant une série Disney/Nickelodeon avec leur progéniture méritent une médaille), ils sont loin d’être les seuls pays méritants en la matière.
Pour vous le prouver, aujourd’hui c’est en Norvège que je vous embarque, pour parler du premier épisode de Thomas P., un thriller pour enfants. Parfaitement, vous m’avez bien lue.
Alors qu’il va sur ses 13 ans, Thomas Pedersen a déjà expérimenté beaucoup de choses. Alors qu’il n’était qu’un bébé, ses parents sont morts dans un accident de voiture, le laissant seul avec sa sœur, Siss ; ils ont plus tard été adoptés. De 5 ans l’aînée de Thomas, Siss est une adolescente qui aujourd’hui est en lutte constante avec elle-même, et multiplie les séjours à l’hôpital psychiatrique parce qu’elle entend des voix ; bien qu’il essaie de l’aider au quotidien, Thomas est obligé d’admettre qu’il est souvent dépassé par les troubles qui animent sa grande sœur.
Fort heureusement, Thomas peut compter sur le soutien inconditionnel de ses parents adoptifs, Lisbeth et Erling, ainsi que sur son meilleur copain, Frederik, avec lequel il partage à la fois son goût en matière de projets farfelus, et tous ses secrets.
Pourtant cette vie déjà compliquée n’a pas encore dévoilé toutes ses surprises. Car les voix que Siss entend sont bien particulières : elle prétend entendre la voix de leur père ! Il est bien évidemment mort 12 ans plus tôt, mais rien à faire, elle n’en démord pas. En fait elle va même confier à son petit frère un double-secret : ce qu’elle entend, c’est la voix de son père qui le réclame lui, Thomas. Elle l’a aussi entendu dicter un numéro de téléphone qu’elle a noté ; elle confie à Thomas la responsabilité d’appeler à ce numéro pour comprendre ce que veut leur père. D’abord incrédule voire effrayé, Thomas décide finalement d’appeler…
Thomas P. est un drama incroyablement puissant, avant d’être une série à suspense. Le premier épisode prend mille précautions pour nous détailler à la fois la situation de son héros, et sa personnalité : Thomas est un enfant intelligent, mais quand même un enfant. Il oscille entre coacher sa sœur pour qu’elle réussisse à parler à un garçon qui lui plaît, et jouer à la baston avec Frederik. Il est torturé par la mort de parents dont il ne se souvient pas, et curieux face à la petite voisine qui vient d’emménager. Le personnage existe, dans ce premier épisode, de multiples façons, et si vous réfléchissez très fort, vous vous apercevrez que c’est assez rare pour un personnage d’enfant à la télévision, à plus forte raison dans une série pour cette tranche d’âge (au cinéma un peu plus, et encore heureux).
Ce portrait de Thomas Pedersen, murmuré à l’oreille du spectateur comme les voix murmurent à Siss, est simplement magnifique. L’écriture en est délicate, sublimée par la réalisation, et formidablement portée par l’acteur central. Lequel omniprésent face à une camera qui sollicite ses émotions les plus fines sans que jamais il ne soit pris à défaut. C’est vraiment appréciable à plein d’égards. Thomas P. ne craint pas vraiment de semer ses spectateurs en route, tout en ne souhaitant pas absolument les prendre par la main pour leur expliquer ce qu’ils doivent ressentir et quand. C’est un drama pour la jeunesse qui traite ses spectateurs comme des adultes, au bout du compte.
C’est la raison majeure pour laquelle, en réalité, l’intrigue de fond de Thomas P. fonctionne comme elle le fait : parce qu’on n’a pas cherché à construire du suspense, mais plutôt un personnage et des enjeux qui lui sont tous personnels. La série n’a pas cherché à donner dans le mystère, elle n’a pas vraiment donné crédit aux voix et a joué la carte du réalisme intime, de la chronique. Lorsque Thomas décide finalement de composer le numéro de téléphone confié par Siss, en toute fin de cet épisode inaugural, on réalise que cette histoire de voix pourrait relever du fantastique… mais elle a aussi la possibilité de ne pas le faire, et c’est en créant un climat comme celui-là que Thomas P. ne joue pas avec la crédulité du spectateur : elle lui est doucement, tendrement acquise. Ce qui compte aux yeux de ceux qui regardent, c’est l’impact sur Thomas, au moins pour le moment. Sur le bouleversement que cela crée chez un petit garçon qui va sur ses 13 ans que d’envisager, peut-être, juste peut-être mais pour la première fois, que son père puisse tenter de le joindre. Thomas P. chuchote à leurs oreilles au lieu de leur hurler dessus de façon surexcitée.
C’est la raison essentielle pour laquelle Thomas P. donne envie qu’on la suive : plus qu’un divertissement, ou des retournements de situation, la série encourage son jeune public à ressentir personnellement les enjeux proposés. C’est presque comme s’il était possible de respecter des spectateurs d’une dizaine d’années.