Parmi les séries dont j’ai bien failli ne pas vous parler cette année, avant que je ne décide de faire le ménage dans mes divers brouillons, s’en trouvait une dont il y a peu de chances que quelqu’un d’autre vous entretienne, hélas. Il était donc grand temps que je me donne un coup de pied au train pour finir enfin ma review ! Et pour l’occasion je vous emmène (c’est la première fois dans ces colonnes, le tag est flambant neuf !) au Népal, pour y parler d’une série de « science-fiction politique », comme la décrivent ses producteurs.
En fait, Singha Durbar est tout simplement une série politique imaginant la toute première femme à occuper le rôle de Premier ministre au Népal.
Lancée en novembre 2015, soit à peine deux mois après l’adoption par le Népal d’une nouvelle Constitution (un processus long de plus de 7 ans de discussions entre les partis majeurs du pays), Singha Durbar ambitionne en priorité d’interroger les instances politiques, le processus démocratique, et les problèmes de société actuels tels qu’ils peuvent être résolus au plus haut niveau du pays. La série se saisit du climat unique dans lequel elle naît pour accompagner une transition difficile auprès des citoyens ; ce n’est pas pour rien que l’initiative est financée, entre autres, par l’agence US AID…
Pour son premier épisode, Singha Durbar commence donc, très logiquement, par le début, et nous raconte comment Asha Singh arrive au pouvoir.
Une chose est sûre, ce n’est pas une question d’ambition personnelle. En fait Singha Durbar fait un travail appliqué pour écarter tout doute potentiel à ce sujet, en détaillant les dynamiques à l’intérieur du Sampurna Nepal Party. Cette organisation politique népalaise fictive est présentée comme étant, je cite, « inclusive et démocratique ».
Le parti se retrouve dans une situation unique : en qualité de mouvement politique mineur, il a joué un rôle de médiateur qui lui a valu la confiance des autres politiciens du pays ; c’est grâce au Sampurna Nepal Party que la Constitution a pu enfin aboutir, après tout. Les partis principaux du pays ont donc convenu que ce serait le Sampurna Nepal Party qui obtiendrait le siège de Premier ministre, et que les membres de son gouvernement seraient choisis dans différents partis politiques du pays.
Singha Durbar décrit cette accession au pouvoir comme quasiment accidentelle, et souligne à de nombreuses reprises l’humilité des cadres, en particulier de son leader Monsieur Ramananda. D’ailleurs, la plupart des élus du parti sont dans une volonté en priorité d’engagement pour le pays, plutôt que d’engagement pour eux-mêmes, ce sur quoi la série insiste, là encore, à maintes reprises. Oh, ils sont humains, bien-sûr : parfois, les préférences personnelles se manifestent. Mais chaque fois que c’est le cas dans ce premier épisode, la question de l’ambition est toujours soulevée afin d’être surmontée.
Le meilleur exemple en est justement son chef de parti, M. Ramananda : il s’est engagé toute sa vie dans la politique, s’est élevé au sommet de la hiérarchie d’un parti qui est devenu l’un des artisans principaux de la démocratie népalaise… et alors même qu’il est en passe de devenir Premier ministre, il est victime de terribles problèmes de santé. Il va donc passer plusieurs scènes de l’épisode à s’interroger sur le choix qui s’offre à lui, à un moment capital de sa carrière mais aussi de la vie politique du pays : prendre le poste malgré tout, et travailler pour l’intérêt général comme il l’a toujours souhaité… ou céder la place ? Et dans ce cas, à qui ? Comme seul le chef de parti est, statutairement, habilité à prendre une position comme celle de Premier ministre, la question est même doublement d’importance.
En parallèle de cette prise de décision, le Sampurna Nepal Party décide d’organiser une session de vote, pendant laquelle les cadres décident parmi trois choix pour potentiellement prendre la relève de Ramananda (précisons que ce dernier possède une seule voix, quand bien même il s’avèrera en cours de pilote qu’elle est déterminante en cas d’ex aequo). Là encore Singha Durbar montre bien des politiciens certes engagés dans leur objectif, mais capables de percevoir l’importance d’un processus juste et transparent. La mise en scène du vote est même un peu impressionnante à cet égard, puisque les votes se font à bulletin secret… mais sont remplis devant tout le parti.
Au final c’est donc Asha Singh qui est choisie, par son chef de parti qui se rappelle combien elle a œuvré pour qu’aboutisse la Constitution, mais aussi par ses pairs qui lui font confiance et apprécient ses qualités. Sa victoire est donc, à toutes fins utiles, absolument incontestable. Les déceptions éventuelles des deux autres candidats sont là encore explorées, mais jamais tournées en une lutte de pouvoir interne. Ce. N’est. Pas. Le. Sujet.
La démarche de Singha Durbar est donc claire : il s’agit de proposer un mieux-disant politique, et de le soumettre aux spectateurs comme un objectif vers lequel tendre. Il ne fait pas grand doute que, de par son intrigue centrale mais aussi certaines scènes annexes (…le fils d’Asha est en fauteuil roulant suite à un accident, par exemple), la série se veut pédagogique. Et vous savez quoi, c’est parfaitement raisonnable : beaucoup de séries politiques le sont, du moins celles qui ne vivent pas du cynisme ; à sa façon, A la Maison Blanche l’a été aussi, dans un monde télévisuel où, avant elle, le genre politique n’en avait jamais eu le temps.
Ce choix, ou plutôt ce projet démocratique soyons clairs, se sent jusque dans le rythme-même des scènes, assez bavardes et plutôt lentes, comme pour donner le temps au spectateur de considérer en profondeur ce qui se dit, plutôt que de se laisser emporter par les évènements.
Les questions posées en conclusion de l’épisode laissent imaginer que Singha Durbar fera de même avec d’autres thématiques. A charge pour elle d’essayer de proposer, par le biais d’Asha Singh, une figure de dirigeante à la fois humble et engagée, un idéal de politicien soucieux de faire progresser le Népal avant toute autre chose. Cela ne signifie pas que la vie politique de la Première ministre va être de tout repos et que ses actions ne seront jamais examinées ; en fait, la position-même du Sampurna Nepal Party pose de nombreuses questions (le parti n’est-il pas trop petit ? ne risque-t-il pas de ne devenir qu’un simple pion pour les partis majoritaires ?) qui vont probablement compliquer les choses à cet égard. Mais il est clair que l’objectif de Singha Durbar est de se poser dans un monde politique assaini, où l’on peut prendre les vrais problèmes à bras le corps au lieu de s’étendre sur toutes les façons dont les politiciens peuvent dévoyer le système.
Singha Durbar est si puissamment dédiée à l’exploration des problématiques népalaises, et à leur résolution sur un plan institutionnel, qu’il est difficile d’y voir de la politique politicienne. Tant mieux : en soi, c’est fichtrement rafraîchissant dans un panorama international où une série politique apparaît souvent désabusée quant à ceux qui obtiennent (ou pire, passent leur vie à chercher) le pouvoir. Voilà qui donne vraiment envie de regarder l’intégralité de ses 13 épisodes, pour peut-être retrouver foi en la politique. On a tous besoin d’une Singha Durbar en ce moment…