Puisque nous sommes apparemment voués à parler de voyages temporels cette saison, alors parlons-en : qu’est-ce qui fascine tant dans les histoires de retour dans le temps ?
Eh bien, pour commencer, le fait qu’il s’agisse de retour : quelle que soit l’époque qu’elles concernent, ces séries sont bien plus nombreuses à se préoccuper de changer le passé, qu’à s’inquiéter de ce à quoi ressemblera l’avenir. Cette obsession du passé, surtout du passé que l’on change (ou qu’on essaye de changer, selon les cas), est d’autant plus intrigante à mes yeux qu’en ce moment, il me semble que le besoin est grand d’avoir accès à séries qui parlent d’influencer le futur, qui interrogent sur la façon de le faire, qui explorent les motivations de nos engagements à modeler l’avenir. Et si en apparence j’ai l’air de préconiser de regarder des séries politiques plutôt que des séries de voyage dans le temps, c’est parce qu’en réalité je pense à Continuum, seule du genre à prendre cette question à bras le corps tout en ayant recours à la science-fiction.
Mais même sans aller aussi loin, il faut admettre que lorsque les personnages d’une série ont accès au voyage dans le temps par un quelconque outil ou véhicule, eh bien ils ne se disent que très rarement « tiens, je vais aller jeter un œil au 712e siècle, pour voir » ! En-dehors de certaines aventures de Doctor Who (loin d’en constituer la norme d’ailleurs), le voyage dans le temps n’est pas vraiment une occasion de faire preuve de curiosité à l’égard du futur, mais uniquement du passé. On ne s’interrogera donc pas sur les conséquences de nos propres actes, maintenant ; on préfèrera se poser en sauveur d’un passé dont les habitants sont perçus comme faillibles à un égard ou à un autre. Comme c’est pratique de considérer qu’on a les réponses que n’avaient pas nos ancêtres. Comme c’est pratique de se figurer qu’on n’a pas du sauvetage à faire sur notre propre époque !
Donc on en est là : à vouloir aborder le passé en priorité. Passé que normalement on connaît déjà, voyez-vous, mais pas assez, pas en profondeur, pas de l’intérieur, pas au point d’en être acteur en fait. Une entreprise risquée à bien des égards, ne serait-ce que pour ce qu’elle peut représenter, pour les individus tentant pareille expédition, de dangereux physiquement voire émotionnellement (se référer à Send Me pour en absorber toute l’ampleur). Ces retours aux époques précédentes s’effectuent en gardant à l’esprit qu’accéder au passé autrement que par un savoir théorique, c’est posséder le pouvoir de le modifier. Volontairement ou non.
Travelers, à ne pas confondre avec Traveler, brève série avec Matt Bomer (dont je ne sais même pas pourquoi je la mentionne car vous l’aviez oubliée), est à ajouter sur la pile de ces séries-là : les séries qui reviennent dans ce qui a déjà eu lieu, pour le modifier.
Travelers propose quelques variations à partir de cette formule ; en particulier, à l’instar de Continuum, la série met en scène des personnages venus du futur qui veulent changer celui-ci en influant sur le présent (notre présent est leur passé, vous êtes toujours avec moi ?). Ce qui a déjà eu lieu pour les héros ne se lit donc dans aucun livre d’Histoire actuel. Mais le propre de la mission de Travelers n’en évoque pas moins, une fois de plus, cette idée de changement rétroactif. Cette notion de regret à l’échelle humaine, finalement ; un regret contre lequel agir, à tout prix. Un regret à corriger. Mais comment ?
Pas de chance, le premier épisode de Travelers ne nous dira surtout pas comment. Moi par contre, je vais me montrer très bavarde, donc attention au spoiler.
Ce que je trouve de plus rageant dans le premier épisode de Travelers, c’est qu’il n’expliquera même pas pourquoi ce changement doit avoir lieu. Là où Continuum (oui, encore Continuum, parfaitement !) nous décrit le futur dés son premier épisode, même si l’aperçu que nous en avons alors n’est que parcellaire, Travelers en revanche ne nous en raconte rien.
Il faut dire que l’épisode introductif de la série, tout en entier, est moins préoccupé par l’exposé des motivations de ses héros, qu’il n’est dédié à mettre en place un twist. Or, il s’avère que narrativement, n’est pas This is Us qui veut. En fait, une large partie de l’épisode inaugural est déjà derrière nous lorsqu’on apprend enfin cette histoire de retour dans le passé (enfin, dans le présent, qui est leur passé, qui… écoutez, essayez de suivre parce que sinon on va jamais s’en sortir).
Alors que se raconte-t-il d’autre dans ce premier épisode de Travelers ? Eh bien il y a, pour l’essentiel, la mise en place de ce twist de fin d’épisode. Ce dernier est sans aucun doute moins impressionnant que la série ne semble vouloir le penser, mais pose cependant des questions intéressantes.
Je vais maintenant révéler ce twist dans le prochain paragraphe, et ceci est votre dernier avertissement.
Les agents du futur ne sont pas exactement des voyageurs dans le temps « normaux » : en fait, seule leur conscience est capable de faire le trajet depuis leur époque jusqu’à la notre. Le problème c’est qu’une conscience toute seule, ça ne déplace pas les montagnes, et ça change encore moins le cours de l’Histoire ; du coup ces personnages venus du futur ont besoin d’investir un corps, et pour cela ils utilisent leur connaissance des évènements passés pour utiliser l’enveloppe corporelle de quelqu’un ayant décédé, au moment-même de son décès. Il leur suffit alors d’emprunter cette apparence, cette identité, cette existence ; cela sans avoir influé sur la vie des personnes décédées.
L’idée est plutôt intéressante, mais plus que toute autre chose, elle m’a mise face à une difficulté majeure, en m’obligeant à me demander ce qui définit un personnage.
J’explique : les héros de Travelers, nous ne les connaissons que sous une seule apparence dans ce premier épisode, celle qu’ils empruntent. Nous ignorons tout de ce à quoi ils ressemblent, eux. Nous ne savons en fait rien de leur vie passée… enfin, future… enfin… potentiellement future (punaise le mal de crâne), et même leur personnalité est très peu explicitée. Qu’est-ce qui fait d’eux des individus, en somme ? Nous savons, en revanche, qui étaient les gens qu’ils ont remplacé (l’une d’entre elles, une jeune femme déficiente mentale, ouvre le pilote notamment), à quoi ressemblent leur vie, quelles sont leurs préoccupations même. Mais ce ne sont pas ces personnages que Travelers se propose de nous faire suivre, puisqu’ils sont décédés et qu’ils sont désormais remplacés.
Alors à qui Travelers nous propose-t-elle de nous lier ? A des enveloppes corporelles qui sont uniquement investies d’une mission, mais que rien ou très peu ne caractérise comme étant des personnes à part entière ? C’est un vrai défi pour une fiction que de commencer les choses de cette façon, en interdisant le rapport affectif avec les protagonistes, mais en incitant volontiers le spectateur à se lier à leur « couverture ». Et ce défi ne fait que s’accentuer lorsqu’en fin de pilote, le seul personnage qui nous avait été présenté comme faisant exception à cette règle… meurt et est remplacé, à son tour.
Cet aspect m’a posé plus de problèmes qu’il ne le devrait, sûrement. Il semble assez évident que Travelers n’a pas pris en compte cet inconvénient lors de son exposition, partant du principe que le spectateur accepterait totalement ce choix. En fait je veux bien surmonter cet obstacle si Travelers me promet d’explorer un peu les thèmes dramatiques qui se logent sous son étrange décision, mais à ce stade je ne vois pas comment lui faire confiance à ce sujet puisqu’elle a montré n’avoir, justement, que peu d’intérêt envers la psychologie de ses personnages, ou leur motivation. Effectivement, rien n’empêche Travelers d’y accorder de l’attention ultérieurement, mais elle a passé tant de temps à essayer de me bluffer (y compris en plaçant une ou deux fausses pistes), et si peu à s’adresser à moi avec un degré minimum de sincérité, que je ne sais pas trop si j’ai envie de vérifier par moi-même ce qu’elle dit de ses protagonistes par la suite. Au-delà des figures de style et des révélations-choc, encore faut-il avoir quelque chose à dire qui motive le spectateur à revenir.
Et pour en revenir à cette motivation, d’ailleurs, tiens : causons-en. Sur un plan mythologique, j’ai du mal à me satisfaire du peu que je sais de la mission des agents du futur dans Travelers. Pire, j’ai jeté un œil à Wikipedia et découvert que le résumé du 6e épisode est le premier à mentionner ce point pourtant vital à mes yeux ! Je veux croire à une erreur.
Est-ce que j’ai envie de signer pour une série qui n’a envie de me dire ni de quoi elle parle, ni de qui ? Pas certain. Et même si je lui concède quelques bons ingrédients par ailleurs, j’ai vraiment du mal à surmonter les questions difficiles qu’elle me pose… alors qu’elle-même semble si peu disposée à répondre aux miennes.
Envisager qu’il faille changer le présent en ignorant tout du futur, proposer de suivre des personnages dont on ne sait rien et auxquels il est difficile de se lier, n’est pas exactement une promesse enthousiasmante pour une série… quand bien même elle soit en mesure de promettre toutes sortes de paradoxes temporels, des révélations provoquant des céphalées et autres retournements de situation époustouflants. J’ai envie de voir comment Travelers s’apprête à relever ces défis… mais ai très peur de le regretter. Tout le monde n’a pas la chance de pouvoir retourner dans le passé pour corriger cela.
Je sais pas si je suis dans la « mouvance » de ce qu’aime LE sériephile moyen (bien que je doute qu’il n’y en ai qu’une sorte) mais pour ma part, j’ai du mal avec le voyage temporel dans les séries. J’ai plutôt une tendence sur ce qui est contemporain, un show se déroulant de nos jours, des séries plus banales à priori. J’aime bien le format dramédie (comme Nurse Jackie, Tara ou Transparent), le côté « chronique » ne cherchant pas à m’ipressinner à tout prix.
Malgré ça, y’a une série « futuriste » que j’adore, c’est Black Mirror, un vrai bijoux qui joue sur l’intelligence du téléspectateur.