Preuve que la série quotidienne n’est pas gravée dans le marbre, la télévision publique québécoise propose depuis le mois de septembre District 31, une série diffusée à raison de 4 épisodes par semaine (on fait relâche le vendredi) et qui prend le relai de 30 vies, un teen drama qui s’est achevé au printemps dernier. Le principe n’est pas ici de faire du soapesque pour faire du soapesque, limite au contraire. Il apparaît en fait assez clairement que pour ICI Radio-Canada, rien ne ressemble moins à une série quotidienne qu’une autre série quotidienne.
Pourquoi ? Parce que District 31 est une série policière.
Ce n’est pas que la série policière quotidienne soit une aberration totale ; d’ailleurs j’ai eu l’occasion d’en mentionner par le passé (Sterne von Berlin) et même d’en reviewer (Red Rock). Mais c’est le degré de soin apporté à la série, son sérieux dans tous les domaines, et la difficile tâche qui est implicitement la sienne de passer après une série policière québécoise du calibre de 19-2, qui suscite l’admiration.
Au demeurant le premier épisode de District 31 est pourtant relativement simple : le commissariat du 31e district a ces dernières années uniquement abrité les services de police en uniforme, chargés de la police de proximité et des patrouilles. Mais la police montréalaise est en train de vivre une gigantesque réorganisation, et les enquêteurs, jusque là réunis dans un bureau centralisé, sont réaffectés dans les commissariats des différents districts ; le district 31 doit donc accueillir ces nouveaux flics en son sein, et s’organiser pour poursuivre ses missions habituelles tout en travaillant désormais sur des enquêtes diverses. Homicides, crime organisé, crimes sexuels, comptent dorénavant parmi les domaines de spécialisation de ces détectives.
Nadine Legrand est clairement l’héroïne de ce premier épisode (elle est incarnée par Magalie Lépine-Blondeau, dont c’est, d’après mes calculs savants, le 712e rôle à la télévision québécoise rien que cette année). En charge des homicides, elle commence ce boulot qu’elle connaît bien dans un nouvel univers ; à sa grande surprise, elle est chaleureusement accueillie par le commandant Chiasson, qui gère le district 31, et qui a bien connu son père (lui-même était flic). Elle a également un partenaire qu’elle connaît de longue date, Patrick Bissonnette, et un nouveau supérieur direct, Laurent Cloutier, qu’elle ne connaît pas.
Après une saine période d’exposition, le premier épisode de District 31 confronte Nadine à sa première affaire dans son nouveau commissariat : la disparition d’un enfant, le petit Théo Gagnon. Une affaire forcément sensible, et qui tombe en plus au moment où Kevin, le compagnon de Nadine, la quitte.
En une demi-heure, il n’y a pas franchement un luxe de temps pour détailler les choses, mais District 31 ne se laisse pas démonter et propose une mise en place efficace, mais qui laisse de la place à des émotions humaines. Nadine Legrand n’est pas du genre à s’apitoyer sur son sort, mais la rupture avec Kevin lui met un coup au moral ; on a l’impression cependant que le plus dur dans l’histoire, c’est d’avoir à gérer une affaire aussi sensible qu’une disparition d’enfant (un cas particulier qu’elle n’a jamais eu à gérer jusque là dans sa carrière, même si elle n’est pas non plus totalement démunie), et c’est plutôt finement rendu, entre autres grâce à une interprétation fine. Mais on n’en attend pas moins d’une des meilleures actrices de la télévision québécoise.
District 31 n’a hélas pas le temps de détailler les autres personnages dans ce premier épisode comme la série a l’opportunité de le faire pour Nadine, mais ce n’est pas grave. On a le temps. Voyez-vous, il est hors de question de chercher à tout boucler en moins d’une demi-heure : District 31 est profondément feuilletonnante. Il est là, son héritage du format soap, quand bien même l’enquête prend tant de place et les relations interpersonnelles si peu. Le temps qu’on n’a pas aujourd’hui, à plus forte raison dans un épisode introductif, ma foi on le prendra demain à la même heure. C’est un avantage certain. Et ce n’est d’ailleurs pas un hasard si cette plongée quotidienne dans le monde de la police, on la doit à un scénariste québécois qui a plutôt habitué le spectateur à des séries hebdomadaires plus sombres que la moyenne, Luc Dionne (Omertà, Blue Moon…). Ça donne envie de penser qu’un format ne définit pas le résultat : un format, c’est ce qu’on en fait. Et quand on sait bien faire…
La formule quotidienne d’ICI Radio-Canada, c’est pourtant bien plus qu’une simple quotidienne tournée à la va-vite dans des décors en carton, comme on pourrait éventuellement le penser. Depuis 30 vies, cela signifie tourner une fiction qui rivaliser, en termes de production value, avec une série hebdomadaire, ce qui implique de tourner de nombreuses scènes sur le terrain et pas juste en studio par exemple. Une petite révolution qui a donné ses lettres de noblesse au genre, faisant de l’access primetime (ICI Radio-Canada y dédie sa case de 19h) non pas un bouche-trou simpliste mais un vrai rendez-vous de fiction ; il faut voir avec quelle difficulté le public québécois a fait son deuil de 30 vies cet été !
Si le travail des policiers de District 31 apparaît comme sensiblement différent de celui des flics de 19-2, ce n’est donc pas parce qu’il a l’air filmé à la va-vite, mais uniquement parce qu’on parle d’un travail de police différent (l’éternelle différence entre le flic en uniforme et l’enquêteur). C’est donc, pour l’essentiel, une différence de fond et non de forme.
Une série comme District 31 se jugera mieux sur la longueur que sur un seul épisode : ça va de soi. Mais il y a de quoi être impressionné par ce que ce premier épisode a dans le ventre. A l’heure où l’on parle de réinvestir dans la fiction quotidienne en France, il ne ferait pas de mal de jeter à un œil à la façon dont s’y prennent ceux qui savent.
Je me suis déjà confronté à la série quoitidienne québecoise avec Tactik et quelques épisodes de 30 vies, le format est original mais pas désagréable. En revenche, sur une série policière, j’ai peur de ce que ça peut donner.
Sinon, j’ai l’intention de me mettre à 19-2 cet hiver, en espérant ne pas être déçu 🙂