La semaine dernière, alors que beaucoup d’entre nous étaient partagés entre l’envie de vomir, l’impression d’être abasourdi, et tout simplement la colère, Seb, essayant de faire sens de ce qui n’en avait pas assez, se demandait si on pouvait toujours voir les séries comme « un truc faisant changer les mentalités ». Personnellement je pense que oui. En partie parce que j’ai toujours pensé que oui, et qu’une crise politique ne devrait pas impliquer une crise de foi profonde dans d’autres domaines de la vie. Mais c’est vrai que la semaine passée, il était difficile, entre évènements internationaux, anniversaires nationaux et saloperies perso, d’attraper la bouée de sauvetage qu’offre parfois la fiction.
Et puis ce matin, en proie à une énième panne de sommeil, je me suis levée vers 4h et j’ai décidé de faire un peu de ménage dans mon dossier « pilotes », un dossier qui par la grâce du Dieu de la Téléphagie est perpétuellement en souffrance (j’espère bien que ça ne changera jamais). J’ai lancé une série de MTV dont je ne connaissais que le titre, sans grande attente, sans grand enthousiasme en fait… et j’ai été rappelée à ma foi.
Sweet/Vicious est la troisième série de MTV à débarquer avec des choses uniques à dire, après Underemployed et surtout Faking It, et s’attaque plus que frontalement aux douloureuses questions d’aggressions sexuelles et viols sur les campus universitaires américains. Aucune autre série US ne discute vraiment de ce sujet, si l’on omet quelques épisodes de SVU par-ci par-là. Bien-sûr, comme il s’agit de MTV, c’est fait de façon fun, avec des dialogues plutôt malins, un gros sens du rythme, beaucoup de musique, et pas mal de second degré, mais il ne signifie pas qu’on est dans la superficialité totale pour autant.
Lorsque commence Sweet/Vicious, ses deux héroïnes ne se connaissent pas, et n’ont en réalité pas vraiment de raison de se croiser sur leur vaste campus, tant elles existent dans deux réalités différentes. Jules est une sorority girl propre sur elle, adorable, un rien effacée peut-être, et Ophelia est une geek anticonformiste accumulant les erreurs de jugement et de parcours… Lorsque la seconde découvre le secret de la première, pourtant, elles vont se rapprocher : Jules est en fait une justicière masquée qui attaque des violeurs du campus poursuivant leur scolarité en toute impunité. Le problème est qu’Ophelia le découvre le soir où, en tentant de la défendre, elle tue l’une des victimes de Jules !
Soyons clairs : Sweet/Vicious n’invente pas l’eau chaude dans ce pilote, certainement pas. En fait, après les questions de classe, les crimes sexuels sont la deuxième raison pour laquelle il existe des revenge dramas sur les télévisions de la planète !
Mais ce qui est nouveau, c’est de placer ça dans le contexte parfaitement unique des violences sexuelles sur les campus, un sujet régulièrement d’actualité : Sweet/Vicious critique déjà l’impunité dont bénéficient des élèves masculins protégés par un système mal équipé (et peu désireux) pour appliquer la Justice dans ces affaires ; la récurrence du personnage de la police du campus en est d’ailleurs un excellent rappel. Bien-sûr au stade de l’exposition, Sweet/Vicious ne rentre pas dans le détail, mais en dit suffisamment long de son intention pour qu’il ne subsiste aucun doute sur le cœur de son propos, car comme l’explicitera Jules sur la fin du pilote : « There’s stuff happening out there, and no one is doing anything about it. People are just getting away with awful things ». Comme beaucoup de revenge dramas, c’est la conviction que la société, la loi et/ou les figures d’autorité classiques ne font rien qui permet le passage à l’acte, et c’est bien le problème central de la question des crimes sexuels en milieu universitaire, ces sociétés insulaires où il est possible de décider en interne du sérieux d’une accusation sans jamais avoir recours à un juge. Eh bien, les héroïnes de Sweet/Vicious aussi ont décidé de se passer de juge, et de passer directement à la punition. Hélas, elles n’avaient initialement pas prévu d’appliquer la peine de mort, et les évènements les dépassent.
Bien-sûr, cette aventure ne peut se jouer au grand-jour, et Sweet/Vicious a donc recours à ZE trope le plus populaire de la fiction pour la jeunesse : la double-vie. Pour des raisons différentes, Jules comme Ophelia sont obligées de conserver le secret quant à leur entreprise. C’est pour l’instant beaucoup plus explicité (parce que plus compliqué) pour Jules, qui mène une vie aux apparences parfaites et qui, avant même que les choses ne tournent au vinaigre, a des difficultés à maintenir les apparences. Pour l’instant cet aspect n’est pas des plus passionnants, mais démontre bien comment la série a décidé d’emprunter tous les codes de la fiction préados/ados pour s’assurer que son propos difficile est entendu de la façon la plus large possible, par un public qui n’est pas (encore) nécessairement concerné.
D’autant que la violence s’exprime de façon très graphique, bien que par paliers successifs, dans ce premier épisode. De scènes de baston Buffy-esques à un homicide sanglant, on a vraiment une gamme très large de rapports à la violence, qui tente de ne pas minimiser la gravité des actes… tout en s’offrant en même temps une porte de sortie pour ne pas s’inscrire totalement dans la lignée de Dexter. Le résultat a l’avantage à la fois de provoquer quelques sursauts du spectateur, sans pour autant être dans la gratuité la plus totale.
C’est, pour le moment, le seul domaine dans lequel l’épisode introductif de Sweet/Vicious a le temps de donner dans la nuance… mais c’est bien normal vu sa durée (38 minutes pour l’épisode mis en ligne avant le lancement officiel demain).
Parmi les subtilités qu’il reste à observer dans la série, il y a notamment la façon de dépeindre le viol (pour l’instant décrite ou montrée de façon assez générique), la capacité à sortir des clichés sur la double-vie qui menace d’être découverte, ou encore la profondeur du personnage d’Ophelia, pour l’instant traitée exclusivement en comic relief (ce qui, si cela ne pose que très peu de problèmes de ton, provoque un grave déséquilibre avec la backstory de Jules).
Sweet/Vicious reste, après tout, une série susceptible de tomber dans les mêmes pièges que la plupart des séries de MTV, qui ont souvent le tort d’oser sans oser. L’avenir dira ce qu’elle a dans le ventre, mais l’espace d’environ une demi-heure, ce pilote m’aura en tous cas rappelé que, oui, la fiction a un pouvoir énorme… ce qu’elle en fera, et ce que ses spectateurs en feront, aussi, est une autre affaire.