Ce sont près de 20 millions d’Américains qui vivent dans des trailer parks, ces bidonvilles à peine améliorées où des familles vivent dans des caravanes ou, au mieux, des préfabriqués aménagés pour ressembler vaguement à des zones résidentielles. Malgré cela, comme pour beaucoup de populations marginalisées, leur représentation à la télévision est proche du néant, en particulier dans la fiction (la télé réalité, elle, se régale ponctuellement des clichés associés aux trailer parks, généralement voisins de ceux sur les rednecks). Ce sont 20 millions d’Américains qui ne se voient donc jamais sur leurs propres écrans de télévision. Il faut dire que, par définition, la vie dans un mobile home n’est pas très glamour, et que la télévision, en particulier étasunienne, adooore le glamour. C’est elle qui exclut aussi de la plupart de ses séries l’Amérique rurale, qui constitue un peu plus de 46 millions d’Américains, certains appartenant également à la population des trailer parks d’ailleurs.
On ne fait pas beaucoup de product placement dans des séries où les personnages ne possèdent rien ou si peu, après tout.
Il aura fallu attendre que la chaîne TLC, experte en émissions de télé réalité type BBQ Pitmasters, Alaskan Women Looking for Love, et autres Here comes Honey Boo Boo, bien-sûr, se lance dans l’aventure de la fiction originale. The Redneck Channel (certes à égalité avec A&E et son Duck Dynasty) propose donc désormais une série de Tyler Perry, Too Close to Home, lancée à la fin de l’été… avec pour seule promotion la mini-polémique autour de son cast principal entièrement blanc. Une première pour Perry qui doit sa fortune au fictions et au public afro-américain, et, reconnaissons-le, un choix plutôt osé en pleine vague de « diversité », mais une décision assez sensée considérant l’audience de TLC (c’est la même qui a suivi les aventures des Duggars pendant plusieurs années).
L’idée de génie de Too Close to Home, pour éviter les écueils de la fiction « anti-glamour », est de se dérouler en partie dans un trailer park, justement, mais de ne pas totalement écarter la possibilité de vendre un peu de glamour en s’inspirant aussi de Scandal. Comment ça marche ? Bah… ça ne marche pas très bien, dans le pilote, en fait.
La faute à un épisode qui scinde les deux univers de façon trop radicale, ce dont Too Close to Home n’avait vraiment pas besoin vu l’oscillation énorme qu’elle a à gérer entre ses deux contextes.
Il y a donc, d’une part, Anna Hayes, dite « Annie », une jeune femme qui travaille dans le milieu de la politique à Washington (où d’autre ?). En fait elle a même décroché un poste à la Maison Blanche, excusez du peu, où elle occupe un poste qui lui permet à l’occasion d’approcher le Président.
Le problème est qu’Annie se passerait bien d’un tel privilège. Il s’avère en effet que le Président, un salaud de première, a fait d’elle sa maîtresse et la garde sous son joug en la faisant surveiller H24, et en la harcelant d’appels manipulateurs. Le pilote de Too Close to Home nous montre donc une héroïne victime d’un homme puissant (toute ressemblance avec des faits… etc.), mais ne s’attarde pas vraiment sur cette relation détestable, puisque le point d’orgue est atteint lorsque le Président fait un arrêt cardiaque en plein milieux de leurs ébats. Dans le bureau ovale, sinon ce n’est pas drôle. Et alors que la Première dame est à quelques mètres de là, évidemment. Commence alors la descente aux Enfers d’Annie qui ne peut rien contre la rage dévastatrice de la femme la plus puissante du pays, qui de son propre aveu est plus vicieuse encore que son époux.
Or notre héroïne, en dépit de ce qu’elle a fait croire à son entourage, et notamment à Dax et Valerie les deux amis qu’elle s’est faits à Washington, n’est pas du tout issue de ce milieu aisé et rôdé aux coulisses du pouvoir. Annie Hayes vient en fait d’un trailer park d’Alabama, qu’elle a plaqué (apparemment de façon assez subite) voilà trois ans. Elle a laissé derrière elle un amant éconduit, Brody (le Fabio de notre génération), mais aussi et surtout ses deux sœurs Bonnie et Shelby… et sa fille Rebel.
Too Close to Home passe énormément de temps à nous raconter à quoi ressemble la vie pour la famille Hayes, restée bloquée en Alabama. Cela se fait à grand renfort de clichés, certes, mais de clichés qui jouent dans le sens du pathos et non du ridicule, pour une fois. Et puis après tout Too Close to Home assume d’être un primetime soap. Bonnie est donc coincée dans une vie étriquée où elle doit s’occuper de la fille d’Annie, Rebel, mais aussi du fils de Shelby, Mac ; la troisième sœur Shelby est en effet une junkie en déroute qui (bien-sûr) est régulièrement frappée par son compagnon, et qui ne saurait se montrer responsable plus de 10 minutes d’affilées.
A ce charmant portrait de famille s’ajoute Jolene, la mère d’Annie, Bonnie et Shelby, qui vit dans un trailer voisin qu’elle ne quitte plus (et que l’essentiel du pilote décrit en fait par son odeur… spoiler alert : elle est aussi la seule obèse de la série). Le tableau ne serait pas complet sans JB, le compagnon actuel de Bonnie, un routier au sale caractère qui apparaît comme principalement intéressé par l’argent, et Brody, qui a eu le cœur brisé, est quant à lui le fils du propriétaire du trailer park, une charge qu’il assume pour lui depuis que son père perd la tête et que sa mère est décédée. Les liens de la famille de Brody avec le décor-même de la série donnent au scénario une excuse pour continuer de fréquenter les Hayes, et notamment Bonnie pour laquelle il a récemment développé des sentiments. Vous voyez arriver la catastrophe, j’en suis sûre.
Comme je le disais, Too Close to Home a essayé de fusionner deux mondes radicalement opposés dans une même série, mais au stade du premier épisode, le patchwork apparaît comme grossier. Cela s’atténuera sans nulle doute par la suite, lorsqu’Annie va immanquablement retourner à Happy, Alabama (really ?!) au milieu des siens, confrontant ceux qu’elle a laissés derrière.
Too Close to Home, pas plus que la plupart des séries imaginées par Tyler Perry, ne fait pas dans la subtilité. Les personnages sont des caricatures sans nuance : la victime désignée (bien que la série lui fasse porter une part de responsabilité assez dérangeante), la mère courage qui supporte le monde sur les épaules (et à laquelle rien de bien n’arrive jamais, ou quand ça arrive elle ne se l’autorise pas), la droguée prête à tout pour une dose (ou pour de l’argent si l’univers tient vraiment à lui ajouter une étape supplémentaire), la Première dame manipulatrice et revancharde (probablement rendue amère par les heures nécessaires à l’application de ses 10 paires de faux-cils), et ainsi de suite. Et les personnages masculins s’en tirent à peine mieux. Personne dans Too Close to Home n’a vocation à s’éloigner de sa fiche de personnage initiale, chacun joue son rôle dans la tragédie qui se joue à Washington et à Happy.
Mais après tout ce n’est pas franchement le rôle d’un soap opera, où traditionnellement les rôles sont définis et ne dévient pas de leur course. La seule différence réside dans les clichés choisis, et dans le décor démuni du trailer park. Elle est là, la révolution de Too Close to Home, ce qui veut dire qu’elle est radicale et minime à la fois, bien-sûr. Il n’a, dans le fond, pas de raison essentielle qui justifie qu’un soap opera ne mette en scène que des personnages riches (ça n’a d’ailleurs pas toujours été le cas, ni aux États-Unis ni ailleurs).
Évidemment il ne s’agit pas de la série qui va révolutionner la représentation des classes les plus pauvres à la télévision américaine. Mais elle existe, elle est accessible sur une chaîne que cette cible regarde déjà, et c’est finalement déjà ça. Pour le reste, on vous pardonnera de faire l’impasse.