Ablation totale du patriarcat

13 octobre 2016 à 14:17

L’an dernier (presque jour pour jour !), j’ai eu l’occasion de vous dire tout le bien que je pense des séries médicales asiatiques qui, dans leur grande majorité, sont radicalement différentes des séries occidentales sur le sujet.
Pour ceux qui ont la flemme de relire ce que j’expliquais alors, disons pour résumer que lorsqu’on a une médecine de riches, c’est-à-dire bien financée et de qualité, eh bien il ne sert pas à grand’chose d’essayer de créer du suspense autour de la réussite d’une intervention, ni du pathos sur des problématiques sociales. Alors à la place, on s’attaque au système, et plus précisément, on en dénonce les excès : une médecine de riches n’est pas parfaite, il s’avère qu’elle est, finalement un peu au même titre que le monde politique, soumise à toutes sortes d’abus et de dangers moraux de la part des personnages puissants qui y gravitent. En somme, en Asie, la plupart des séries médicales sont des séries axées sur l’éthique.

Doctor X, actuellement la série médicale la plus populaire du Japon, commence ce soir sa 4e saison ; une longévité exceptionnelle sur les écrans nippons, où la saison unique est la règle plutôt que l’exception.
Or, les exceptions ont une nette tendance à ne pas être des séries médicales : il n’y a eu qu’une seule série de ce genre qui soit plus longue que Doctor X, et c’était Kyuumei Byoutou 24 Ji qui a eu droit à 5 saisons entre 1999 et 2013. Vous l’aurez compris, en revenant pour le 4e automne consécutif (audiences à l’avenant), Doctor X est un phénomène. Alors ok, soit : lançons-nous dans une review de pilote pour comprendre de quoi il y est question.

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Tout le principe de la série repose sur la forme qu’a pris la carrière de son héroïne, Michiko Daimon. Dr Daimon est un électron libre : au lieu d’appartenir au personnel d’un hôpital donné, elle agit plutôt comme une freelance dont les services se louent à prix d’or, à des tarifs négociés par son agent. Cela lui permet d’évoluer hors de la structure de l’hôpital où elle travaille à un instant t, et d’échapper ainsi à la pesanteur de la hiérarchie. C’est inimaginable pour la plupart de ses collègues ! Beaucoup voient d’ailleurs son arrivée d’un mauvais œil.
Mais Dr Daimon n’est pas simplement une indépendante dans l’âme : elle a aussi une notion très arrêtée de ce qu’elle devrait ou ne devrait pas faire lorsqu’elle travaille pour un hôpital. Ainsi elle respecte à la seconde près ses horaires de début et surtout de fin de service ; elle refuse également de prendre part à toute action ne nécessitant pas un diplôme de chirurgie… Cela signifie qu’elle ne participe pas, de fait, à de nombreuses choses courantes dans la vie d’un hôpital ou, à vrai dire, de n’importe quel lieu de travail, comme serrer la main à quelqu’un.

Qu’est-ce qui justifie ce type d’exigences ? Eh bien il s’avère que le Dr Daimon est l’une des meilleures chirurgiennes du pays (même si au juste son CV n’est pas super clair sur la façon dont elle est devenue si douée), capable d’abattre le travail de trois médecins à la fois ! Voilà qui se révèle nécessaire lorsque l’hôpital universitaire « satellite » Teito perd justement trois de ses chirurgiens d’un coup, qui démissionnent le même soir.
Le Pr Torii (qui est pressenti par la hiérarchie de Teito pour devenir prochainement le directeur de l’établissement après le départ du Pr Kubo pour la maison-mère) doit agir rapidement pour endiguer les problèmes qu’apporte ce manque soudain de personnel, et il fait donc appel à Daimon dans l’urgence.

Dans le premier épisode de Doctor X, la moitié des scènes sont consacrées à planter le décor de l’hôpital et de ses multiples règles internes. Elles ne sont, en soi, pas franchement inédites, et reflètent ce qu’on peut voir d’autres univers professionnels dans la fiction japonaise. Y persiste notamment l’idée que les patrons sont infaillibles et que leur parole est l’alpha et l’omega, à plus forte raison dans un hôpital universitaire (quand bien même il ne s’agit que du troisième établissement le plus important du groupe hospitalier Teito). On trouve donc les responsables des différents hôpitaux du groupe en train de se retrouver pour dîner régulièrement, ou des administrateurs en train de faire de la lèche au patron lors des réunions d’équipe, ou la totalité de l’équipe chirurgicale se précipiter pour accueillir le directeur avant la visite quotidienne du service… Vous voyez le genre.
L’autre moitié de l’épisode inaugural de Doctor X est dédiée à la démonstration que notre Dr Daimon détonne dans cette univers. Plusieurs clichés sont employés pour nous la présenter comme une « rebelle » (elle porte des cuissardes !), et pour insister sur le fait que ces histoires de hiérarchie, elle n’en a mais alors rien à péter. Que les collègues, elle n’en a rien à péter non plus. Et que, franchement, même les patients, elle n’en a rien à péter, à la limite.
Ce qui l’intéresse c’est juste l’efficacité. Sauf que, forcément, l’obséquiosité ambiante ne va pas dans le sens de l’efficacité à laquelle Daimon aspire.

Tout cela explique pourquoi le premier épisode de Doctor X ne présente qu’un patient : son cas à lui seul permet d’appuyer sur tous ces points douloureux.
L’état du patient en question implique de retirer sa vésicule biliaire, quelque chose que le directeur de l’hôpital, le Pr Kubo, se porte volontaire pour accomplir alors qu’il n’opère que très rarement. Il est si content de promouvoir auprès des jeunes médecins SA méthode de retrait, qu’il a développée lui-même voilà 30 ans ! Tout le monde est ravi, oui-oui, Professeur, montrez-nous comment on découpe un homme pour sortir sa vésicule, c’est brillant… jusqu’à ce que Dr Daimon dont c’est (évidemment ?) le premier jour fasse remarquer que la méthode est vieillotte, que désormais il n’y a plus besoin d’ouvrir les patients, qu’une cœlioscopie aurait d’aussi bons résultats voire meilleurs, permettrait une récupération plus rapide et moins de post-op, pis je vous parle même pas des cicatrices, bref, c’est de la merde la méthode Kubo. Par-dessus le marché elle met aussi en doute la santé du directeur, et exige de sa hiérarchie qu’elle fasse passer au Pr Kubo une IRM pour être tranquille. Naturellement personne ne l’écoute, et surtout pas le Pr Kubo qui est sûr de lui…
…du moins, jusqu’à ce qu’il fasse un malaise dans la salle d’opération, en pleine chirurgie qui d’ailleurs tournait mal. Super, bien joué. Daimon prend la relève au pied levé, finit l’opération, sauve le patient, tout est bien qui finit bien.

Tout ? Non ! Car tout le monde se montre suspicieux parce que, comment a-t-elle su que les choses tourneraient mal ? En l’occurrence il n’y a pas vraiment de mystère, surtout pour le spectateur qui a vraiment été pris par la main et auquel on a bien décrit le processus intellectuel de Dr Daimon par le menu. Elle a simplement appris que le Pr Kubo se gavait de viande rouge régulièrement, et qu’en plus le patient était allergique au latex.
Mais c’est sûr que c’est pas comme ça qu’on se fait des amis le premier jour.

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Dans Doctor X, l’héroïne ne se singularise pas seulement par son comportement « rebelle » ou sa rapidité de déduction/action. Il est aussi très net qu’elle est la seule femme de l’hôpital, et que ce n’est pas anodin.
Alors, non, pardon : elle est la seule femme HORMIS, hormis une anesthésiste, qui d’ailleurs semble en passe d’avoir avec elle une relation intéressante ; il y a aussi Ai l’assistante de Torii, qui est également la maîtresse de celui-ci (et qui est l’image-même de la femme douce, gracieuse, polie…), et l’administratrice servile dont j’ai pas retenu le nom. Reste qu’au bout du compte, aucune autre femme n’a le niveau de diplôme ni les responsabilités professionnelles que Dr Daimon assume… ce qui n’est pas nécessairement la raison pour laquelle elle n’accepte aucune tâche subalterne, mais tend à quand même aller dans ce sens.
Certes, la revendication « féministe » de Michiko Daimon revêt un caractère stéréotypé (elle vient bosser en mini-jupe comme si elle sortait de boîte de nuit quand tous ses collègues sont habillés de façon plus conservatrice, par exemple), et son attitude « rebelle » est une façon simpliste de montrer qu’elle ne se comporte pas comme une femme « normale » (elle n’est pas effacée, ne cherche pas à ménager les sentiments des gens, ne s’intéresse pas à ceux qui l’entourent). Cependant, il n’est pas interdit de penser que si elle ne portait pas sa différence comme un badge d’honneur, cette différence existerait quand même, et serait utilisée contre elle. Les autres médecins de Teito sont si prompts à vouloir qu’elle se taise et rentre dans le rang, qu’il est assez compréhensible qu’elle revendique autant de ne pas le faire. C’est la préservation de son statut de femme indépendante, qui passe par des exigences plus ou moins importantes mais sur lesquelles elle ne bouge pas d’un millimètre, qui lui permet de retourner la dynamique à son avantage et d’exister dans pareil milieu.

Plus encore, tout cela fait de Dr Daimon la seule personne en position de changer le statu quo dans le troisième hôpital du groupe Teito (…et demain, le monde !). Elle ne fait pas partie du boys’ club qui se réunit dans un restaurant de grillades pour parler politique interne, et elle ne fait rien pour y entrer. En fait, elle a l’air bien partie pour l’affaiblir, et c’est tout l’enjeu de Doctor X, d’autant que le Pr Busujima, qui prend la tête de l’hôpital après le malaise du Pr Kubo, engage Daimon à prix d’or mais n’est pas dupe quant au danger qu’elle représente pour son autorité.
A charge pour Dr Daimon, dorénavant, de ruer dans les brancards, si vous me passez l’expression ; elle va secouer l’organisation d’un hôpital engoncé dans ses habitudes, dans le culte du « ça s’est toujours fait comme ça », dans sa hiérarchie imperméable. Pas parce que c’est la mission qu’elle s’est donnée, mais juste parce qu’à un moment les conneries ça va bien, il faudrait voir à penser rationnellement à la meilleure façon de faire de la médecine plutôt qu’à son petit ego de chirurgien. Enfin, ça, c’est ce qu’elle est supposée accomplir… reste à savoir si le secret qu’elle cache ne l’en empêchera pas.

Dans Doctor X, l’héroïne s’apprête donc à mettre de l’ordre dans l’institution hospitalière… et peut-être sauver quelques vies au passage, si cela sert sa démonstration.

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Et pour ceux qui manquent cruellement de lecture…

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