Je ne sais pas pour vous mais, cette histoire de « mode » des séries de voyage dans le temps aux USA, j’en suis un peu revenue. Fort heureusement, les aventures temporelles, ce n’est pas ça qui manque à la télévision ! Je me suis d’ailleurs aperçu que j’en avais déjà testé pas mal : 11.22.63, 12 Monkeys, Being Erica, Code Quantum, Continuum, El Ministerio del Tiempo, Hindsight, JIN, Labyrinth, Les Rescapés, Life on Mars, Mop Girl, Nine, Outlander, Seven Days, Suteki na Sen TAXI, Terra Nova, Timeless, Tru Calling, et maintenant Frequency, sans même parler de Doctor Who… la vache, en fait j’en ai vraiment vu plein ! Et le pire c’est que même dans cette liste j’en oublie sûrement. Mais même après tout ça, il reste encore des séries sur le voyage dans le temps à explorer. C’est ce que j’ai bien l’intention de continuer de faire, puisque cette saison semble à tout prix s’y prêter !
C’est de ma longue, longue, longue liste des séries-à-regarder-un-jour-si-j’ai-le-temps-pun–intended-en-attendant-je-me-la-mets-derrière-l’oreille que j’ai extirpé Signal, une série du câble sud-coréen qui patientait là depuis le début de l’année. Qu’elle ne se plaigne pas, d’autres y attendent depuis bien plus longtemps.
Signal commence en 2000, alors que Hae Young Park, un jeune garçon timide qui vient d’arriver dans une nouvelle école, assiste impuissant au kidnapping d’une camarade de classe par une mystérieuse femme aux chaussures rouges. Traumatisé par une expérience personnelle récente, l’enfant ne trouve pas tout de suite la force d’aller raconter à la police ce qu’il a vu, alors que cela fait de lui le témoin-clé de l’enquête. Or, la police est convaincue, notamment à cause d’une empreinte trouvée sur la lettre de demande de rançon, que le kidnappeur est un homme, et en particulier un jeune étudiant de 21 ans. Un seul enquêteur, Jae Han Lee, tente d’explorer toutes les pistes, au lieu de poursuivre ce suspect à tout prix, mais isolé par sa hiérarchie, il ne semble parvenir à rien. Quelques jours plus tard, Hae Young tente d’aller parler à la police de ce qu’il a vu, mais il est ignoré par tous les flics qu’il croise. De toute façon, il est déjà trop tard : le corps sans vie de la petite fille est retrouvé peu de temps après… et le kidnappeur/tueur s’est évanoui dans la nature.
Mais Signal commence aussi en 2015, alors que Hae Young Park est un jeune profiler travaillant pour la police, et dont la vie entière (même sur son temps libre) tourne justement autour d’investigations et d’enquêtes mettant à profit son sens de la déduction. Obsédé par sa quête de la vérité, mais aussi écœuré par l’attitude de la police (et pour cause), il croise la route d’une détective blasée, Soo Hyun Cha, avec laquelle l’ambiance est vite tendue. Pourtant leur existence va être changée après que Hae Young découvre un étrange talkie-walkie, qui appartenait à Jae Han Lee voilà 15 ans… et qui permet de communiquer avec lui à travers le temps !
Cette opportunité incroyable pourra-t-elle les aider à régler enfin ce dossier, alors en souffrance depuis une décennie et demie, alors qu’approche la date de prescription pour le kidnapping ?
Avant toute chose, il faut absolument que je vous dise : Signal est d’une efficacité bouleversante. J’ai vu quelques séries sud-coréennes au cours de mes aventures téléphagiques, on peut le dire, mais très peu lui arrivent à la cheville, a fortiori dés le premier épisode (un passage toujours délicat dans le cas d’une série bihebdomadaire).
C’est un mélange de plusieurs ingrédients qui rend son épisode inaugural si foudroyant : une introduction essentiellement muette (n’hésitant pas à préférer superposer des images évocatrices plutôt que d’écrire des dialogues d’exposition), une réalisation très dynamique (qui ne va faire que s’affiner à mesure que l’intrigue se développe), et un don pour mettre en place des éléments de thriller policier sans en extirper la valeur dramatique (voire, au contraire, destinés à en souligner la portée émotionnelle).
De nombreux choix sont tout à l’honneur de Signal, des plus magistraux aux plus bénins, qui découlent de ces qualités saisissantes. Ils sont, en outre, très vite payants, et permettent d’accéder dés la première heure de l’épisode à des séquences extrêmement complexes, qu’il est déjà possible de lire sur plusieurs niveaux, et satisfaisant le téléphage aussi bien sur un plan intellectuel qu’émotionnel.
Pour vous donner un exemple, bien que son pitch repose entièrement sur cette communication entre deux époques (au point que son titre lui-même y fasse référence), la série n’autorise des échanges entre 2000 et 2015 qu’une seule fois au cours de l’épisode (à 23h23 exactement, ce qui laisse augurer de limites ultérieures à ce phénomène). Cela permet ensuite aux personnages d’être livrés à eux-mêmes, et de devoir se fier non pas aux informations échangées, mais bel et bien à leurs connaissances et leurs capacités. Or, ce qui pourrait être décevant et transformer la série en une simple série policière comme les autres, dans laquelle les héros obtiendraient juste un coup de pouce du scénario, devient en fait une force ! L’épisode inaugural de Signal parvient à susciter assez d’interrogations, et à obliger les personnages à partir dans suffisamment de conjectures à partir de ce qu’ils savent du passé, pour que finalement le lien entre les deux époques, même s’il ne se fait pas par le truchement du fameux talkie-walkie, reste permanent.
En outre, les personnages ne sont pas totalement des inconnus les uns pour les autres : il va apparaître que la détective Cha connaissait, il y a 15 ans, l’enquêteur Lee, et que ce dernier avait eu de son côté l’occasion de croiser le jeune Hae Young. Ces interconnexions, au lieu d’avoir l’air artificielles comme on pourrait aisément le craindre, rendent au contraire les enjeux vitaux. Résoudre les défis professionnels a soudain une résonance intime.
En fait, tout ce qui pourrait tourner à la facilité dans Signal finit par jouer en sa faveur et lui ajouter de l’épaisseur, étonnamment !
A mesure que l’épisode progresse, on s’aperçoit qu’outre les problématiques personnelles, Signal a aussi à cœur d’aborder des sujets difficiles. Il en est ainsi de l’aigreur de Hae Young envers une police plus intéressée par son image publique que par la Justice. Cette rancœur semble de prime abord faire partie de l’origin story de l’un des personnages de la série, comme pour lui créer une motivation ; mais cela va progressivement bien plus loin : c’est aussi l’argument qui va convaincre la détective Cha à s’intéresser au dossier du kidnapping, quand bien même elle n’aime pas Hae Young. C’est plus tard ce qui va permettre au dossier d’être rouvert à moins 30 heures de la prescription.
Mais c’est, à terme, ce qui rendra une scène si puissante, lorsque le chef de la police va aller voir la mère de la gamine kidnappée (une mère qu’on a vue, tout au long de l’épisode, faire le piquet nuit et jour devant le commissariat depuis 2000, pour obtenir justice), mitraillé par les appareils photo des journalistes qui suivent l’affaire, après avoir quelques minutes plus tôt, dans son bureau douillet, décidé de la conclusion officielle de l’enquête. Soudain Signal ne parle plus vraiment de ce cas, elle parle de toutes les fois où le cirque médiatique a offert un podium à la police, y compris lorsque que cela servait avant tout de propagande sur l’efficacité des services. Soudain Signal nous renvoie dos à dos la douleur de cette mère et l’hypocrisie de ce chef de la police. Soudain Signal nous émeut et nous met en colère avec une scène qui n’est faite que de crépitements de flash.
Lors que, quelques instants plus tard, une autre scène similaire se produit, Signal fait avancer son intrigue, mais elle assène un jugement toujours aussi lourd sur certaines pratiques de la police en tant qu’institution. Hae Young fait alors face aux cameras, et leur hurle tout ce qu’il sait, tout ce qu’il a étudié et conclu pendant des années, tout seul, sans le soutien de la police, sans le soutien des médias, juste parce qu’il avait à cœur de comprendre ce qui s’était passé sous ses yeux voilà 15 ans… dans l’espoir, quelques minutes avant qu’il n’y ait prescription, d’affoler celle qui est la vraie coupable. Il débite alors la vérité telle qu’il l’a déduite, fou de rage et de désespoir, mais aussi animé par le désir de trouver, enfin, la femme qui hante ses souvenirs.
Signal prouve ainsi qu’elle arrive à placer des commentaires plus larges, et bien sentis, tout en trouvant le moyen de donner les impulsions nécessaires à l’enquête qu’elle décrit. C’est à ce genre de scènes passionnantes qu’on reconnaît une série qui a plus d’un tour dans sa manche.
Quand on voit le brio de Signal lorsqu’il s’agit de confronter les questionnements intellectuels aux réactions émotionnelles, on ne doute pas vraiment de son intérêt sur le long terme. D’ailleurs à la fin du premier épisode, même si la détective Cha et Hae Young ont mis la main sur celle qui serait la véritable kidnappeuse/tueuse, l’histoire est loin d’être finie…
Signal promet d’être feuilletonnante, et il lui faudra bien cela pour nous raconter les histoires derrière cette enquête. Par exemple, on brûle d’approfondir la mythologie du talkie-walkie (au moins nous expliquer pourquoi 23h23 ?) ; on peut aussi envisager que les flics de 2015 n’interviennent, à leur tour, dans la vie du flic de 2000… il sera alors déterminant de voir comment les épisodes utiliseront les ressorts temporels sans se laisser piéger par les paradoxes.
Oserai-je dire que j’ai pleinement confiance ? Quand je vois comment ce premier épisode est conçu (et filmé) avec soin et sans jamais reculer devant la difficulté, je n’ai pas vraiment de crainte. J’ai au contraire fini l’épisode avec beaucoup d’excitation, ravie de continuer à découvrir comment Signal allait, encore et encore, me surprendre, m’interroger, m’émouvoir, parfois en même temps.
J’ai beaucoup aimé cette série, même si je dois dire que la fin m’a un petit peu frustrée. En tout cas si le début a autant plu, je ne pense pas que la suite vous décevra.