Eleanor Shellstrop a vécu une vie exemplaire et généreuse, elle a libéré des condamnés à mort innocents, elle a toujours été altruiste, et sûrement qu’elle a organisé des collectes de fonds pour subventionner des greffes de moustaches pour des chatons malades, aussi. La voilà donc à sa mort appelée à entrer dans le « bon endroit », le saint du saint que seuls les meilleurs représentants de la race humaine peut approcher après leur décès… par opposition à, vous savez, l’autre lieu où passer l’éternité.
Il y a juste, oh trois fois rien, un petit détail : Eleanor Shellstrop n’a jamais été avocate. En fait, elle n’a pas franchement sa place parmi l’élite de l’humanité, et elle a mené une vie parfaitement égoïste. En bonne nombriliste qu’elle est, Eleanor n’a aucune intention de lâcher sa place au « bon endroit », surtout quand on sait, ou même seulement qu’on devine, à quoi ressemble la vie après la mort pour la plupart des humains ayant commis des fautes de leur vivant (et elle en a effectivement plus que quelques unes à son actif). Ce qu’elle ignore, c’est que la simple présence d’une personne aussi imparfaite qu’elle va avoir de profonds effets sur la quiétude du « bon endroit ».
C’est un peu étrange ce qu’essaie d’accomplir The Good Place dans son premier épisode (double).
La série veut raconter une histoire d’une rédemption pour un personnage bourré de défauts, mais insiste aussi pour se dérouler dans le « bon endroit », un lieu totalement fantaisiste et supposément déjanté, forcément idéal. Les deux ont un peu de mal à cohabiter pour le moment tant l’équilibre est difficilement maintenu ; je n’ose imaginer ce que ça peut donner sur des épisodes d’une vingtaine de minutes.
Ce n’est pas que l’idée de cette rédemption me déplaise. Elle n’est bien-sûr pas nouvelle (des séries comme Samantha Who? ou Save Me me viennent à l’esprit), mais pourquoi pas. Prétendre qu’une série puisse débarquer avec une idée entièrement nouvelle est une douce utopie, de toute façon. Dans ce contexte, à charge pour le personnage d’Eleanor d’essayer de rectifier le tir, non pas en retournant sur Terre pour effacer son ardoise cosmique (on n’est pas dans Drop Dead Diva !) mais plutôt pour mériter une place qui lui a déjà été attribuée. Car elle n’a pas usurpé sa place : elle lui a juste été octroyée par le biais d’une erreur administrative. The Good Place n’a donc pas l’originalité de son côté, mais elle tente de faire ce qu’elle peut pour ne pas être dans la redite totale.
Hélas, au-delà de l’angle sous lequel la série aborde cette problématique de rédemption sur le tard, il y a un gros problème : The Good Place se déroule dans un endroit idyllique où on a un peu l’impression que rien ne peut vraiment se produire. Une impression longtemps confirmée puisqu’il faudra attendre la seconde demi-heure de la série pour que les problèmes dus à la seule présence d’Eleanor se manifestent. Dans l’intervalle ? Dans l’intervalle tout le monde il est beau, tout le monde il est gentil. Les scénaristes ont du mal à mettre en place DES conflits. Même une fois qu’on apprend que la présence d’Eleanor au « bon endroit » est un bouleversement de tout le système, provoquant des catastrophes, on réalise vite qu’il n’existe pas grand’chose pour créer des dynamiques comiques.
Ainsi, Eleanor a découvert qu’au « bon endroit », chaque personne décédée trouvait [enfin] son âme sœur (partant apparemment du principe que ce n’était pas le cas sur terre de son vivant). Pour l’héroïne, cette personne est Chidi, un Nigérian qui va passer l’essentiel de l’épisode à surveiller Eleanor du coin de l’œil en tentant de jouer les bonnes consciences, sans vraiment s’élever contre elle et en finissant l’épisode peut-être un peu plus désabusé qu’au début, mais sans donner le moindre indice qu’il va faire beaucoup plus que grommeler dans les scènes où elle fera des bêtises, et jouer le « magic negro » le reste du temps (il est professeur d’éthique).
Le personnage de Michael est quant à lui d’une bienveillance sans borne. Pour finir, les deux autres personnages présentés comme principaux, voisins d’Eleanor, sont Tahani et Jianyu, qui relèvent à peine qu’elle existe (enfin, je sais pas si c’est le bon terme une fois qu’on est mort, mais vous saisissez l’idée) et interagissent presqu’uniquement entre eux. D’ailleurs puisqu’ils sont parfaits, se mettront-ils jamais en colère, seront-ils un jour blessés, peuvent-ils servir à autre chose que de comparaison avec Eleanor, jusqu’à l’écœurement ?
Alors du coup, The Good Place n’envoie pas de signaux clairs sur ce qu’il faut attendre de la série à l’avenir, ni sur les dynamiques avec l’héroïne. Or, celle-ci est absolument omniprésente !
Le premier épisode de The Good Place met en place un monde fantastique et utopique (ce n’est pas le Paradis, vu que la série insiste lourdement sur son indépendance de toute religion connue sur Terre, mais vous saisissez l’idée), dans lequel il existe toutes sortes de règles auxquelles le spectateur est longuement introduit. Le problème c’est que l’endroit n’est pas investi par la série (trop de changements de décors… et beaucoup de décors conçus en post-prod) et qu’on ne s’intéresse pas vraiment à ce qu’il peut en advenir. En outre, l’égoïsme-même d’Eleanor l’empêche de lier toute relation signifiante avec qui que ce soit au « bon endroit », ce qui n’appelle vraiment pas à se lier aux personnages non plus. Est-on supposés s’inquiéter pour le devenir du « bon endroit » ? Pour l’âme immortelle d’Eleanor ? Pour les conséquences de ses actions sur ceux qui l’entourent ? Apparemment oui mais… plutôt par la force du Saint Esprit.
Et puis, même ce « bon endroit » ne joue pas son rôle. Il est bizarre, mais pas bizarre-drôle. Juste bizarre. Et pourtant, on n’a pas envie de tirer une chaise et s’installer pour l’observer, non plus.
J’ai vu pas mal de gens comparer The Good Place à The Neighbors, mais la différence de ressenti est de mon côté immense : les Zabvroniens ne sont pas juste étranges, ils sont aussi attendrissants, et le quartier pavillonnaire où ils résident est amusant parce qu’il est présenté comme transformé par leur loufoquerie. J’avais quasiment l’impression inverse au « bon endroit ».
Sans parler du fait que The Good Place essaye de rendre un monde fantastique, alors que ses personnages (à l’exception éventuellement de Michael) sont parfaitement raisonnables, et qu’ils se prennent tous au sérieux.
Quelque chose ne va pas dans la première soirée d’existence de The Good Place. Je ne m’y sens pas à l’aise. Je n’y trouve pas grand’chose de drôle. Je n’ai pas d’affection pour des personnages (et moins encore pour tous). Ca ne fonctionne juste pas du tout sur moi. J’en suis la première déçue, pour tout vous dire, et je pense persister en donnant un ou deux épisodes supplémentaires à la série pour me séduire… mais pour le moment, quelque chose n’est pas bon au « bon endroit ».