Lorsque j’étais adolescente, les rêves me fascinaient. Ma meilleure amie et moi tâchions de mémoriser nos rêves, et en discutions sur le chemin du collègue chaque matin. Généralement ils n’avaient pas beaucoup de sens, d’autant qu’il nous était souvent difficile de nous rappeler des détails, et à plus forte raison parce que certains autres éléments, ma foi, n’étaient pas mentionnés pendant ces analyses matinales. Pendant un temps, nous avons essayé de comprendre nos rêves avec nos propres outils, avant que je ne découvre que ma mère avait dans sa bibliothèque un « dictionnaire des rêves », que j’ai donc chapardé pour que nous discutions du sens de certains rêves avec un peu d’aide (c’était souvent l’aide de Freud, ce qui n’avançait souvent pas beaucoup les petites jeunes filles de 13 ans que nous étions).
L’amie est partie mais le rituel est resté. Quand je le peux (quand les médicaments m’y autorisent, aussi), j’essaie de mémoriser mes rêves ; j’admets bien volontiers consacrer un peu de temps chaque jour à essayer de me rappeler, à me remémorer, ou même à comparer des rêves. Il y en a que j’ai faits voilà des années et auxquels je pense encore de temps à autre. Il y en a quelques uns que j’ai même faits plusieurs fois ! Il y en a aussi qui me servent de panneaux indicateurs sur la propre vie intérieure ; ainsi quand une personne apparaît pour la première fois dans un rêve, je considère que c’est un indice signifiant que cette personne est devenue importante à mes yeux, et pas une simple connaissance, ou, parfois, quand un thème semble récurrent plusieurs nuits de suite alors qu’il était anodin la première nuit, je m’interroge sur cet angle particulier de mon existence. Et ce sans parler des rêves qui ressemblent plus à des films, ceux qui avaient une histoire géniale (j’ai souvent des rêves à base de science-fiction !), un concept à tomber par terre (le rêve qui se rembobine…), ou tout simplement des bizarreries drôles (celui dans lequel je parlais en russe, et c’était du vrai russe, alors que je n’avais plus pratiqué cette langue depuis une décennie !). Et que dire des cauchemars, bien-sûr, qui me sont si familiers…
Je sais bien, aujourd’hui, qu’il est recommandé de garder ses rêves pour soi. Il y a une raison à cela : les rêves des autres ne nous touchent pas comme les nôtres peuvent le faire. En fait, il est communément admis que les rêves des autres sont infiniment moins géniaux que les nôtres. C’est sûrement parce qu’un rêve s’expérimente, mais se raconte mal.
Le thème de Falling Water (qui contrairement à une idée reçue, n’est pas un spin-off de Falling Skies) est à ce titre à double tranchant. Nous sommes tous fascinés par nos rêves. Mais juste nos rêves, pas franchement ceux des autres.
Qui plus est, s’il y a bien UNE chose qui est quasiment impossible à recréer par la fiction, c’est bien le rêve. Alors après, c’est peut-être juste moi, hein, mais les rêves des séries (ou des films, mais qui s’intéresse aux films ici !?) ne ressemblent pas du tout aux miens. Bien souvent les rêves de fiction tentent d’avoir du sens, de mettre en évidence une symbolique, de créer une chronologie claire. La plupart de mes rêves sont trop erratiques pour coller à cette description, et par voie de conséquence j’ai du mal à prendre au sérieux les rêves de fiction. Ces derniers ressemblent trop souvent à des flashbacks ou des fantasy sequences, et pas assez à des manifestations cryptiques du subconscient.
Les rêves de Falling Water cherchent à nous dire que trois personnages partagent un même univers onirique, et pour ce faire, la série ressent le besoin de se vautrer dans tous les travers des rêves de fiction… C’est très décevant que la série n’ait pas essayé de dépasser les poncifs du genre quand c’est son objet principal.
Mais le plus agaçant dans Falling Water, c’est ce qui se passe entre les rêves, dans ce premier épisode. Qu’un rêve soit étrange, difficile à comprendre, et cryptique quant aux protagonistes ou sur le détail des évènements, ça se tolère. Qu’un pilote, quand il décrit la réalité, ait ces travers ? C’est plus difficile à avaler. Je piquais du nez devant cet épisode qui essayait de nous dire des choses sur eux sans nous en dire, qui créait des personnages sans personnalité mais dont il fallait se préoccuper de la vie intime, qui mettait en place des histoires dont on ne comprenait même pas vraiment de quoi elles parlaient.
Ce que je crois ? Falling Water fait un très mauvais travail d’exposition. La série essaye de mettre en place une ambiance plus qu’une intrigue, des énigmes plus que des personnages, et pose à demi-mots toutes sortes de questions auxquelles elle fait aussi très bien sentir qu’elle n’est pas disposée à répondre franchement. Au moins pas dans l’immédiat. Tout cela donne l’impression d’une série qui veut qu’on se passionne pour elle, mais sans vraiment nous dire pourquoi.
C’est le problème avec les rêves : leur déroulement erratique est envoûtant, les images en sont évocatrices et chargées de toutes sortes d’émotions, et dans la fraction de seconde qui suit le réveil, on se trouve émerveillé par leur sens profond… Mais une fois qu’on a ouvert les yeux, qu’on s’est un peu étiré dans le lit et qu’on s’apprête à rabattre la couverture pour se lancer dans une nouvelle journée, les détails se perdent, les images s’effacent. Soudain le rêve semble plus absurde que prodigieux.
Quand quelque chose ne s’apprécie vraiment qu’en dormant, je ne sais pas si c’est si bon qu’une série tente de le copier.