La série SON est entrée dans l’Histoire télévisuelle en devenant la première fiction produite en Turquie à être diffusée en Europe de l’Ouest, plus précisément en Suède. Mais ce fait exceptionnel n’était pas voué à rester une exception. Ce soir, la série turque Paramparça s’engouffre à sa suite : 100 épisodes (il s’agit d’une version remontée : l’original n’en a pour le moment qu’une cinquantaine) qui vont une fois de plus rythmer l’access primetime de la télévision publique suédoise.
Devinez qui va marquer le coup avec une review ? Eh ouaip.
Tout commence lorsque Gülseren Gürpinar, au retour du marché, est percutée par une voiture. Cette femme enceinte, qui pensait accoucher d’un jour à l’autre, est pour le moins exaucée, puisque le travail commence immédiatement. Le couple qui l’a percutée se dépêche de l’emmener à la maternité la plus proche (ils font tout pour qu’elle ne les attaque pas en justice car ils n’ont plus de permis), une cossue clinique privée.
Au même moment, un autre couple arrive à la clinique. Les deux femmes accouchent dans des salles voisines, et ont toutes les deux une petite fille. Sauf que le second couple s’appelle Dilara et Cihan Gürpinar. Vous sentez arriver la suite ? La série n’en fait aucun mystère, je vous rassure : les bracelets des nourrissons se trouvent intervertis dés leur naissance. Plus tard, leurs parents respectifs se réjouissent de l’arrivée de leur fille… ignorant qu’ils ont déjà dans les bras le bébé d’un autre couple.
Quinze années ont passé, et les deux bébés sont devenues des adolescentes dont la vie ne pourrait pas être plus différente.
Hazal Gürpinar a grandi dans une famille fracturée : son père Ozkan est parti, et sa mère Gülseren l’éduque désormais avec l’aide d’une tante. L’ambiance dans la maison est difficile : on a du mal à joindre les deux bouts (le foyer vit sur la pension de la tante et le modeste salaire de vendeuse de Gülseren), l’environnement est mal famé, et cela a de lourdes conséquences sur les rapports entre Gülseren et sa belle-sœur. Les choses ont atteint un tel point qu’elle envisage de quitter la maison de son mari fugueur, pour louer ailleurs même si elle n’en a pas les moyens. Elle ignore que sa belle-sœur, outre le fait qu’elle lui mène une vie infernale, récupère l’argent qu’Ozkan envoie depuis l’Europe et le garde pour elle, privant Gülseren de l’argent nécessaire pour éduquer Hazal dans les meilleures conditions.
Cansu Gürpinar a quant à elle grandi dans une famille cossue, entourée de domestiques. Elle est profondément aimée par son père, et l’objet de toutes les ambitions pour sa mère (ce qui parfois semble porter un poids pour la jeune fille). Cependant, entre Dilara et Cihan, les choses sont beaucoup plus tendues. Même le fils aîné de la famille, Ozan, n’adresse quasiment pas la parole à ses parents, et il est assez clair que si la famille ne parlait pas de Cansu, elle ne parlerait de rien.
Ce statu quo est remis en question lorsque Cansu, après une dispute avec sa mère Dilara, est percutée par une voiture (…c’est quoi le problème avec la conduite dans les séries dramatiques ?!). C’est le moment de vérité.
Même si je sais que ça ne durera pas (j’ai lu trop de spoilers pour ça depuis deux ans), j’apprécie que Paramparça s’intéresse plus aux difficultés des parents qu’à l’échange en lui-même ou à de la romance. Les déboires de Gülseren occupent une grande place dans l’épisode, mais ils dépassent la seule question financière : il y a le harcèlement de la belle-sœur, les problèmes au travail (un client fait des avances à Gülseren pendant une livraison), la solitude. La série a façon dont Cihan et Dilara sont des parents radicalement différents.
On est dans une série dont le point de départ (deux personnes identiques évoluant séparément, qu’il s’agisse d’enfants séparés ou échangés) inclut souvent une dimension sociale, mais le premier épisode de Paramparça joue avec les tropes du genre, en « intervertissant » les personnalités des deux adolescentes : l’adorable petite chose innocente est la gamine qui a grandi dans le luxe, et la pimbêche égoïste est celle qui a pourtant grandi dans la pauvreté. Cela permet non seulement d’éviter certains clichés, mais de parler aussi de différences de statut et de difficultés financières sous un autre angle.
L’emphase de Paramparça est clairement placée sur deux parents en particulier : Gülseren d’une part, et Cihan de l’autre. Leur amour pour leur enfant respectif est établi de façon clair. Ceci est principalement leur histoire, pas celle de jeunes filles ayant eu des opportunités différentes, un destin bouleversé pour des raisons injustes. En choisissant de parler plutôt des parents, Paramparça raconte d’abord ce que ces parents ont fait pour leur fille, qu’ils auraient fait quelle que soit cette fille pourvu de penser qu’elle était la leur. Les opportunités qu’ils ont ainsi essayé de donner. L’affection et l’encouragement qu’ils ont essayer de lui apporter. Ils sont bien souvent les héros ordinaires, invisibles, des histoires d’échanges d’enfants, mais cette fois ils ont une chance de raconter leur parcours, leurs efforts, leurs difficultés. En décrivant toutes ces choses-là, bien que ce soit par leur prisme de leur relation à leur fille respective, Paramparça rappelle finalement que tous parents qu’ils soient, ils sont des personnes. Leur vie est complexe parce qu’ils endossent plusieurs rôles.
Au terme du premier épisode, seul l’un de ces parents sait que sa fille est ailleurs… mais ignore où. Le destin a déjà permis non pas aux deux adolescentes, mais à Gülseren et Cihan, de se croiser. J’ai beau savoir ce qui les attend en grande partie, je ressens malgré tout une grande curiosité ; quels parents, mais plus largement quelles personnes, sont-ils ? C’est réellement ce qui conditionnera leur réaction face aux évènements à venir. Ce qui déterminera quel parent il seront pour l’autre adolescente, celle qu’ils n’ont pas vue grandir.
Paramparça est par essence un primetime soap, de la même façon qu’Aşk-ı Memnu dont on parlait récemment. Comme la plupart des primetime soaps de la planète, la série repose sur un ensemble show garantissant de nombreux retournements de situation, des personnages mal intentionnés pour foutre le bazar, des secrets qu’on garde ou qu’on dévoile… bref, du mélodrame. Donc : pas du tout ma tasse de thé. C’est à mon sens plus acceptable dans le cadre de Paramparça qui a choisi un angle de départ inédit, mais ça ne change pas profondément ce que cette série est au bout du compte. Personnellement, à découvrir par curiosité, pourquoi pas ; par contre à regarder régulièrement, pour les raisons énoncées dans la review d’Aşk-ı Memnu, ce serait sans moi.
…Mais évidemment en France la question ne se pose pas, puisque nos diffuseurs ne s’intéressent pas aux séries turques du tout : ni les mélodrames, ni les séries historiques, ni les thrillers… Dans le fond, quels que soient les choix de la télévision publique suédoise en la matière (et ce qu’on en pense individuellement), ils ont au moins le mérite de s’ouvrir à la possibilité qu’une série turque trouve son public. Ils ne renouvelleraient pas l’expérience si ce n’était pas le cas, d’ailleurs. La démarche téléphagique est déjà louable en soi !
(…c’est quoi le problème avec la conduite dans les séries dramatiques ?!)
Une très, très bonne question.
Je suis partie un peu sur une tangente avec cet article par contre, j’espère que tu ne m’en voudras pas. Enfin, j’ai tout bien lu, et c’était intéressant (ce qui, sur ce site, est du même niveau de surprise qu’une voiture percutant quelqu’un dans une série dramatique, on est bien d’accord), mais le soap mélodramatique ne m’attire pas beaucoup, donc j’ai lu tout en sachant que cette série n’était probablement pas faite pour moi. Mais en fait, dès le « 100 épisodes » du début, j’ai eu ce moment de « arf, nope, trop long ». Ce qui est quand même un peu chelou quand j’y pense. Parce que je me lance sans souci dans des séries qui ont 7 saisons de 24 épisodes, ce qui fait quand même 168 épisodes si ma capacité à multiplier des trucs ne me lâche pas, mais dès qu’on me sort « 100 épisodes » ouh là, attention, ça devient long. Alors j’imagine que c’est parce que (1) ces séries de 7 x 24 ne se présentent pas comme « 168 épisodes », mais justement « 7 x 24 », or « 7 » et « 24 » ça n’a rien d’intimidant (2) peut-être, on peut se dire que chaque saison aura au moins un « arc », ce qui promet des mini-conclusions en chemin (?). Mais n’empêche que je me dis que mon aversion à tout ce qui fait plus de 50 épisodes (sans saisons donc… je pense surtout à des dramas, certes, parce que c’est là que j’ai le plus d’expérience, mais ça marche aussi pour les soaps turques, et probablement pour tout le reste) n’est vraiment pas justifiée.
Bref.
Tangente, comme je disais. Et rien de bien intéressant. Mais j’avais envie de laisser un commentaire, pour une fois 😀 ♥
Je parle d’une cinquantaine d’épisodes à ce jour parcequ’il y a déjà eu deux saisons. Les 100 épisodes sont dus à la diffusion suédoise qui a besoin de faire tenir les épisodes dans des créneaux conçus pour durer une heure, ce que la plupart des séries turques ne sont pas (on est dans du 90 minutes environ).
On est d’accord que ça ne change rien au très pertinent problème que tu soulèves.
J’y pensais récemment devant mes hésitations à commencer Hua Qian Gu, mais aussi lors de marathons de comédies (on se laisse facilement tenter par une 2e voire 3e épisode alors qu’on pense parallèlement ne pas avoir de temps pour un drama d’une heure ou plus !). Notre perception du temps est en fait très élastique dans ce domaine. Il y a une charge émotionnelle différente. Je pense que plein de facteurs entrent en compte, l’un d’entre eux pouvant être l’habitude des séries US dont on sait rarement en les commençant en parallèle de leur lancement pour combien de temps on va « devoir » les suivre.