Vous arrivez à le croire, vous, que la semaine thématique Beat Story touche déjà à sa fin ? J’ai l’impression qu’on vient à peine de commencer. Il y aurait encore tant de séries à mentionner, à voir ou à revoir… et en même temps il y en a aussi trop peu. Je n’en ai pas trouvé dans plein d’endroits de la planète, ou alors c’était leur disponibilité qui faisait défaut… Bref arriver au dernier jour, tout cela me frustre un peu.
Pour notre dernière review de série se penchant sur le travail des policiers en uniforme, finissons sur quelque chose d’un peu plus large que le travail de policier, toutefois : essayons de porter notre regard plus loin encore. Pour cela, New York 911 (alias Third Watch) s’est imposée à moi immédiatement ; mais je dois à la vérité de préciser que j’éprouve aussi une affection particulière envers New York 911.
Le point de départ de New York 911 est de non pas se contenter de raconter les patrouilles des officiers de police, mais aussi les interventions des ambulanciers et des pompiers d’un secteur imaginaire de New York pendant le « third watch« , c’est-à-dire la tranche horaire allant du milieu de l’après-midi au milieu de la nuit. Le quotidien des flics qui y figurent est à peu de choses près le même que celui auquel nous avons assisté toute la semaine : embarquement à bord de la voiture de patrouille, circulation dans les rues de la ville, interventions de petite ou grande envergure…
La différence majeure est que les interactions avec les autres services d’urgence sont beaucoup plus mises en avant. Pour comparaison : Southland dont on a parlé vendredi montre des protagonistes appeler des renforts ou des secours médicaux par la radio (un outil sur lequel la série a vraiment mis beaucoup d’importance), mais on les voit très peu coopérer avec ces urgentistes une fois qu’ils sont sur une même scène de crime ou d’intervention. New York 911 fait le choix totalement inverse, celui de minimiser la question de la communication à distance (la plupart du temps dans ce pilote, les services se croisent à un même endroit sans qu’il ne soit établi comment ils ont été informés), mais d’insister sur les contacts humains sur place.
L’un des outils pour ce faire est de placer le commissariat de police et la caserne de pompiers (où se trouvent également les ambulanciers) face à face dans une même rue ; le « fort » ainsi imaginé se surnomme Camelot parce qu’il serait à l’angle de King Boulevard et Arthur Street.
Cette proximité géographique ne fait pas tout, cela dit : New York 911 préfère rappeler à quel point les missions de ces différents corps de métier sont proches plutôt que de les rapprocher sur un plan strictement pratique. Cela ne veut pas dire que les trois entités agissent systématiquement ensemble à chaque fois qu’il se passe quelque chose à New York, mais qu’ils doivent pouvoir compter les uns sur les spécialités des autres. Quelque chose que peu d’autres séries, à l’exception sûrement de Boomtown, ont eu l’idée de faire, et qui de nos jours n’est rendu possible que par des crossovers entre Chicago Fire, PD et Med.
L’autre caractéristique de New York 911 l’importance donnée aux émotions fortes. A la fin des années 90, New York 911 est l’une des toutes premières séries à m’avoir fait l’effet d’un électrochoc, avec son mélange d’adrénaline un peu artificiel mais efficace (les thèmes musicaux de Fat Boy Slim et Crystal Method, omniprésents dans cet épisode, en portent une grande part de responsabilité) et d’émotions à vif plus humaines mais également impressionnantes. Les personnages crient aussi beaucoup, ce qui a tendance à faire vite grimper la tension ; toutefois s’ils crient ce n’est jamais gratuitement, mais bien parce que tant de situations sont lourdes de conséquences, comme ce bébé pendant la scène de l’incendie (très franchement, si ça ne vous fait pas crier, il est temps de prononcer le décès).
C’est ce qui en a fait une des toutes premières séries que j’aie suivies hebdomadairement avec rigueur et fidélité lors de sa diffusion (tardive !) sur France2. Cette tension est addictive sur un plan superficiel, mais crée aussi du lien avec les personnages. J’ai en tête le souvenir extrêmement précis de la première fois que j’ai vu ce pilote, et de la façon dont j’avais le souffle entièrement coupé pendant ses 10 dernières minutes. L’épisode s’est achevé et j’ai enfin recommencé à respirer, même s’il m’a fallu quelques minutes pour m’extraire totalement de ce que je venais de voir. C’était violent mais… dans le bon sens, si on peut dire, le genre de violence qu’on ressent devant l’impact d’une œuvre de fiction et/ou d’art, qui semble aller chercher au plus profond de vous une réaction primale. Cette nuit-là, j’ai su que j’aimerais cette série ; et pendant des années ça a été vrai (c’est quand j’ai eu l’impression que l’équilibre entre les trois professions avait été déstabilisé que j’ai lâché l’affaire).
J’ai revu ce pilote pour les besoins de notre semaine spéciale (vous savez : contrainte et forcée, bien-sûr !), et je me suis dit qu’il serait impossible de revivre la même expérience. Il est extrêmement rare qu’on ressente les mêmes émotions une seconde fois, l’effet de surprise jouant beaucoup dans ces effets coup de poing par-dessus le marché. C’était vrai en partie, car je me suis souvenue de respirer pendant tout le pilote. Mais j’ai ressenti un choc assez similaire tout de même qui m’a laissée sur le carreau en fin d’épisode, légèrement en hyperventilation, et incapable de m’arrêter totalement de pleurer pendant quelques minutes. Je vous accorde que je suis sensible, je vous accorde aussi que la nostalgie de l’expérience passée a pu jouer… mais à mon avis c’est aussi que New York 911 touche à quelque chose de fort sur la dangerosité des interventions présentées.
La scène qui clôt l’épisode inaugural est un mélange de ces deux caractéristiques fortes (la coopération et l’intensité), alors qu’un des urgentistes s’est pris une série de coups de feu en pleine poitrine et que tout le monde attend, aux urgences, à quelques pas du lit autour duquel s’affairent les docteurs, de l’autre côté du rideau de discrétion. Ils sont tous debout ensemble, parce que l’un des leur (pas un ambulancier, pas un pompier, pas un flic, mais l’un des leur tout court) est entre la vie et la mort. L’épisode s’arrête non pas sur les efforts des médecins, mais sur le regard de chacun. Sur cette attente.
Dans le monde de New York 911, il est très explicitement établi dés ce pilote que personne n’est à l’abri, et que c’est probablement pour cela qu’on a besoin de la coopération de trois services d’urgence, de l’esprit de proximité et de camaraderie qui en résulte (ce qui a bien-sûr aussi le don d’exacerber les différends parfois). On ne compte pas seulement sur les autres flics, mais surtout tous ceux qui sont en première ligne dans les affaires de la ville.
Malgré cela les personnages de New York 911 ne se considèrent pas comme des héros appelés à accomplir des miracles (sauf Bosco qui ne rêve que d’adré et certainement pas de basses besognes ; vous noterez que personne ne l’apprécie particulièrement). J’aime particulièrement à cet égard la réplique de Sully, qui a la conversation suivante avec son rookie de partenaire, Davis :
« What’s our job ?
– What ?
– Our job. What are we doing out here ?
– Enforcing the law !
– No : we’re solving problems. We go from job to job, solving problems as quickly as we can, and then we come up, go to another problem« .
C’est un peu ma philosophie aussi lorsqu’il s’agit de séries policières, vous l’aurez compris. Bien-sûr New York 911 pense que ce n’est pas parce qu’on est dans une mission de proximité qu’il faut s’ennuyer, et en rajoute un peu en incorporant des corps de métier qui, à l’instar des pompiers, risquent leur vie à quasiment chaque sortie. Cela n’empêche en rien la série de mettre en place des procédés touchant personnellement le spectateur ; on n’y vient pas que pour le popcorn, et de nombreux épisodes par la suite portent la trace de cette ambition, les plus célèbres se trouvant bien-sûr en début de saison 3. Il y a aussi dans ce souhait de ne jamais négliger l’excitation du moment le potentiel pour des épisodes impressionnants sur un plan formel, comme le prouvera l’épisode tourné en plan-séquence pendant la saison 5…
Dans sa catégorie, New York 911 fait partie des séries solides, vous l’aurez compris. Elle le doit à un savoir-faire certain (il s’agit d’une série de John Wells, déjà showrunner d’une obscure série du nom d’Urgences), à un cast impressionnant (même Eddie Cibrian y est comme tiré vers le haut), un concept polyvalent, une intention sincère et une réalisation énergique. Et parfois, pour tout vous dire, une série policière n’a pas besoin de grand’chose de plus pour être épatante.
Vous la sentez monter, l’envie de vous refaire une intégrale ? Moi oui.
Allez, un dernier fun fact, et on termine cette semaine thématique.