Trois chiffres, deux séries

16 août 2016 à 12:00

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Pour la suite de notre semaine spéciale dédiée aux flics en uniforme, un rappel nécessaire : s’il est vrai que ce type de séries policières est (toutes proportions gardées) fréquent à la télévision étasunienne, il ne lui est cependant pas exclusif. Aujourd’hui on va donc voyager un peu, et pour cela quoi de mieux que de partir pour le Canada, où deux séries sur des patrouilles vont attirer notre attention : 19-2, la francophone et sa petite sœur l’anglophone. Il était d’ailleurs grandement temps que je leur consacre enfin un article digne de ce nom.

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Le cas 19-2 est assez particulier : il fait partie du très petit comité des succès québécois à avoir trouvé le chemin des écrans anglophones avec une adaptation. Cela ne signifie pas que ça ne se produit jamais (on peut mentionner les tentatives plus ou moins heureuses de Sophie pour Les hauts et les bas de Sophie Paquin, Rumours pour Rumeurs, ou plus récemment This Life pour Nouvelle adresse) mais cela persiste à relever de l’exception. Et c’est au moins aussi rare, si ce n’est plus encore, dans l’autre sens.
Ce n’est pourtant pas comme si le Canada anglophone manquait de séries policières. En fait, c’est même l’inverse ! La fiction policière canadienne est devenue pendant la dernière décennie l’une de ses valeurs sûres à l’exportation, des séries telles que Flashpoint, The Listener, Rookie Blue, ou Motive se taillant une place de choix dans les grilles des principaux networks US, où elles ont souvent réalisé des audiences probantes pendant quelques étés, remplaçant ainsi à peu de frais des rediffs de séries étasuniennes. Un privilège qui, pour des raisons linguistiques évidentes, ne s’est jamais étendu aux séries québécoises.
Si 19-2 a attiré l’œil de la chaîne anglophone Bravo, ce n’est donc pas spécialement parce que le contexte s’y prêtait, mais bel et bien par ses qualités propres. Voyons donc quelles sont ces qualités, avec une review du premier épisode (et juste lui) de Dix Neuf Deux, et ce que les anglophones en ont ensuite fait, avec une review plus bas du premier épisode (et là encore uniquement lui) de Nineteen Two.

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Nicolaï Berrof tente à grand’peine de se remettre d’un incident traumatique : pendant une intervention de routine, son partenaire Harvey et lui ont essuyé des tirs. L’un des deux flics s’est pris une balle en pleine tête… l’autre a dû prendre du temps pour s’en remettre émotionnellement. 19-2 commence le jour précis du retour de Berrof au Poste 19, où il reprend ses fonctions auprès de collègues divisés quant à son cas, entre deux qui compatissent, ceux qui le traitent en paria, son Sergent qui le soutient, et son Commandant qui le traite en bombe à retardement. C’est justement sur instruction de ce dernier que Benoît Chartier, un flic fraîchement arrivé à la police montréalaise (après pas moins de 14 ans d’ancienneté à un poste plus rural de la police nationale), lui est assigné comme nouveau partenaire. Ce qui ne plaît évidemment pas à Berrof.

19-2 reprend pas mal de codes du genre, des codes qui n’auront, à l’issue de cette semaine spéciale, plus aucun secret pour vous : la réunion d’équipe au poste/commissariat/precinct en début de journée, avec distribution de consignes ; l’installation dans la voiture avec mise en place du matériel de patrouille ; déjeuners sur le pouce ; rondes motorisées et intervention sous haute tension ; retour aux vestiaires ; loisirs pour décompresser, souvent en groupe. La totale. En fait, le premier épisode de 19-2 insiste tellement sur ce rythme de vie que le déroulé en est accentué : ici, chaque journée est strictement limitée à cet enchaînement d’évènements, comme s’il ne se produisait qu’une intervention par jour. Sur le fond ça peut paraître simpliste, mais c’est un travail de forme important pour bien imprimer ce rythme chez le spectateur. Le bouclage de chaque journée par un passage aux vestiaires, permettant de mettre l’emphase sur les relations de camaraderie (certes relative vu le statut de Berrof), est montré comme d’autant plus important dans ce contexte que les policiers ne sont pas laissés totalement seuls avec leurs émotions.

Une autre trouvaille de 19-2, c’est son ton de façon plus générale. Il lui serait aisé de mettre l’accent sur l’adrénaline des interventions, ou le niveau élevé de testostérone du métier de flic, mais pas vraiment (on n’échappera aux rapides blagues homophobes ou sexistes, mais d’une façon casual et sur lesquelles la série n’insiste pas dans un sens ni dans l’autre). Sa décision est presque contre-intuitive : les choix musicaux insistent sur la mélancolie, les silences occupent également une place importante, ou à défaut les non-dits. Les quelques scènes d’action sont volontairement filmées pour en limiter l’excitation, avec des ralentis calmes accentuant non pas ce que fait le policier, mais ce qu’il peut potentiellement ressentir à cet instant donné. Les nombreuses interactions au Poste 19 (par opposition à un nombre réduit d’échanges dans la voiture de patrouille, entre partenaires, puisque Berrof et Chartier ne se parlent presque pas) parachèvent l’impression d’une déconstruction des codes de la fiction policière pour mieux la reconstruire ensuite.
En créant cette atmosphère à la fois humaine et intimiste, ce qui compte pour 19-2, c’est de ramener le spectateur sur ce qui se trame au fond des personnages. Bon donc c’est du Podz, hein, ya pas de mystère.

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On aimerait pouvoir dire que la version anglophone de 19-2 apporte autant de soin à son ambiance. Or, s’il s’y déroule peu ou prou la même chose, le ton est bien différent. Les scènes ont tendance à être beaucoup plus dans l’explicite, se reposant beaucoup moins sur les sous-entendus et/ou la compréhension que le spectateur essaye d’obtenir des tenants et aboutissants de la série. Les personnages disent ce qu’ils ont sur le cœur, mais surtout ils le détaillent plus longuement. Les dynamiques entre protagonistes s’en trouvent plus lisibles, c’est un fait, et on pourrait penser que cela joue en faveur de la série… mais étrangement cela lui retire beaucoup de son magnétisme d’origine et de son humanité.

L’exemple le plus criant se loge dans l’intrigue entourant l’intervention de Chartier alors qu’il est seul face à un suspect (il faut noter que la version anglophone conserve quasiment les noms des héros de façon indemne : Nick Barron et Ben Chartier). Dans la version francophone, sur le moment, je n’aurais pas été capable de dire si Benoît avait fait usage de son arme ; dans la version anglophone c’est très clairement le cas, ce qui modifie la façon dont le Poste 19 prend en charge l’enquête interne qui s’en suit. Nineteen Two prend alors la décision de tenir une très longue séquence d’interrogatoire entre Chartier, la détective chargée de l’affaire, et l’enquêteur de la police nationale qui supervise le dossier (absolument pas mentionné dans le premier épisode de Dix Neuf Deux par ailleurs). Cela a pour effet non seulement d’être longuet, ce qui est un problème immédiat, mais surtout de participer de façon plus générale à une ambiance moins dramatique sur l’ambiguïté de l’arrivée de Chartier et des conditions de son partenariat avec Berron, plus traditionnelle autour des problématiques d’enquêtes internes et de responsabilité. Qui a fait quoi, qui a dit quoi, sont des questions qui prennent ici plus de place, sans grand bénéfice pour le spectateur qui a déjà l’impression d’avoir assisté à tout ça des centaines de fois.
On trouve aussi d’autres exemples, certes plus fugaces, dans la façon dont les relations personnelles des héros (les deux étant séparés physiquement et/ou émotionnellement de leur compagne lorsque commence la série) s’articulent. On perd largement en finesse. Probablement parce qu’on a perdu Podz, pardon de me répéter.

Le résultat c’est que, bien que quasiment identiques, les deux 19-2 disent des choses assez différentes de leurs flics. Dans la version originale québécoise, on a affaire avant tout à des humains vulnérables faisant un boulot pas facile, mais tentant de le faire bien. Dans la version adaptée anglophone, on se retrouve avec un cop show traditionnel sans grande ambition, pas raté du tout, bien-sûr ! mais manquant de finesse.
Ce qui est fascinant dans cet exercice de comparaison, c’est de voir que cela se joue à si peu de choses de réussir une série policière sur l’uniforme. Une même action (ou quasiment, dans le cas de Chartier) n’a pas les mêmes conséquences dramatiques selon qu’elle est montrée avec tact (voire pudeur) ou avec une spontanéité moins subtile. C’est sans nul doute un problème que les séries policières à base d’enquêtes de meurtres ou autres ne rencontrent pas au même degré…

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Et pour ceux qui manquent cruellement de lecture…

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