Pour faire nos premiers pas aux côtés de flics circulant dans les séries, je me suis dit qu’il nous fallait être accompagnés. S’est donc imposée pour commencer TJ Hooker, la série de 1982 portant le nom d’un flic incarné par William Shatner.
C’est que, en dépit de son nom (pourquoi avoir appelé un personnage « hooker » ? un flic, qui plus est ?!), le héros de la série est un sergent instructeur de l’académie de police de Los Angeles. Pour nous orienter et nous apprendre les bases, on ne devrait pas pouvoir trouver mieux.
Effectivement, TJ Hooker démarre alors que le personnage éponyme accueille quelques dizaines de nouvelles recrues qui ont postulé pour entrer au sein des forces de LCPD ; bien que se déroulant à Los Angeles, la série se refuse prudemment à employer le nom véritable de la police locale et opte donc pour des forces de police fictives. En tous cas on tombe à point nommé : un nouveau programme de recrutement a été mis en place, et c’est Hooker qui assure l’accueil des futurs agents de police.
Le ton est vite donné, Full Metal Jacket avant l’heure : Hooker leur aboie dessus et les avertit qu’il ne tolèrera pas de faiblesse. Son programme devrait au contraire permettre de se débarrasser rapidement des plus faibles recrues.
On va vite s’apercevoir que le programme de TJ Hooker (le personnage comme la série, en fait) se résume à dépeindre un monde profondément violent, avec des flics comme derniers remparts contre ce qui est clairement décrit comme une barbarie ambiante. Oubliez le sourire de la photo de promo : dans TJ Hooker, le personnage éponyme broie du noir.
Le constat dressé par TJ Hooker est alarmiste et anxiogène (si je vous dis que la série a été diffusée en France sur TFHein, vous avez tout compris). Paradoxalement, le discours se montre aussi… plutôt anti-système. A plusieurs reprises le personnage central va se lancer dans de grandes tirades furieuses, mettant en garde ses recrues contre les criminels, mais aussi contre ce qui se passe quant on essaye de les coffrer ; il n’est que mépris envers les juges (il faut entendre le dégoût dans sa voix quand il explique qu’un criminel a été relâché tout ça parce qu’on n’avait pas respecté ses Droits constitutionnels… je paraphrase à peine. Nan mais c’est que des Droits constitutionnels, on n’est pas obligés de les appliquer à tout le monde !) ou sa rage à peine rentrée lorsqu’il annonce à son ex-femme que sa solde a été bloqué par le procureur tant que l’enquête est en cours sur les circonstances dans lesquelles il a fait usage de son arme (s’agirait pas en plus de devoir rendre des comptes). Il explique aussi aux futurs agents de police qu’ils ne sortiront leur arme que pour tuer (« c’est pas les films ici, vous n’allez pas juste neutraliser quelqu’un »… donc en fait il recommande à ses recrues de faire comme lui qui est actuellement semi-suspendu ?). Tout ça en passant son temps à regretter les anciennes méthodes, ainsi que la peine de mort (« j’ai vu le passé, et il fonctionne »). Il forme ses recrues à tirer face à un assaillant armé, leur expliquant que la plupart du temps ils sont droitiers et peu entrainés et que du coup, ils tireront toujours de la même façon ; à un futur officier qui lui demande « et s’ils sont gauchers et bien entrainés », Hooker annonce que face à ce type de criminel, bah… les flics meurent. Il aura aussi cette phrase glaçante : « ce badge est une cible ».
Ah ça rigole moins, hein. Ouais, TJ Hooker est… comment le formuler ? De la vieille école. Voilà, on va dire ça.
Je vous avais promis qu’on allait circuler aux côtés des flics et je vous parle d’un instructeur de l’académie. Mais je vous rassure, les élèves du Sergent Hooker sont rapidement envoyés sur le terrain, notre personnage central pensant qu’il s’agit de la meilleure des écoles. Très vite, les futurs officiers vont quadriller Los Angeles dans une voiture de patrouille avec un officier plus expérimenté, par petits groupes. Il va y avoir des magasins braqués, des courses-poursuites dans les rues de LA, tout le tremblement.
Les premières erreurs vont être commises, certaines dramatiques. Dans TJ Hooker, il n’y a jamais de seconde chance.
Et en même temps, quand on voit l’univers de la série dans laquelle le héros vit (à cheval sur l’anti-héros, quand même), on ne peut que comprendre sa vision du monde défaitiste.
Il faut préciser en effet que les criminels de TJ Hooker sont des méchants. Mais vraiment. Ils sont la racine-même du mal qui ronge la ville, et, en fait, bien souvent, la racine du Mal, avec une majuscule. Ils sont criminels parce qu’ils ont la violence chevillée au corps. Ils commettent des crimes uniquement parce qu’ils veulent nuire. Les deux méchants principaux de ce premier épisode braquent des gens, mais tuent par plaisir, leur violence les faisant jouir même voire surtout quand elle est gratuite. Alors certes, de notre point de vue de spectateur, ils sont caricaturaux et leurs motivations ont l’épaisseur du papier à cigarette qu’ils ont sûrement volé à un vieux pépé dans un parc. Mais mettez-vous à la place du Sergent Hooker une minute, qui vit dans une série où tous les criminels sont comme ça, et où la nuance n’existe pas. Forcément ça ne donne pas envie d’être conciliant.
Le problème de Hooker, c’est que toute sa vie est à l’avenant. Et le premier épisode fait un travail assez admirable pour concilier deux façons de voir son personnage : lorsqu’il est en uniforme, il est présenté comme charismatique, avisé, même si profondément furieux par ce qui se passe sous ses yeux au quotidien. Mais dés lors qu’il est en civil, Hooker boit comme du papier buvard, est désabusé, et même, isolé.
Pourquoi ? Parce qu’il n’a jamais été capable de laisser sa vie professionnelle dans son casier au commissariat. Sauf qu’un jour, sa femme Fran a décidé qu’elle ne pouvait plus supporter tout cela, et elle a demandé le divorce, ainsi que la garde exclusive de leur marmaille. Et du coup elle a aussi gardé la maison. L’aigreur de Hooker face à un monde qui part à la dérive n’a donc vraiment aucune chance de s’améliorer, surtout quand dans ce premier épisode il arrive en retard pour son tour de garde, mettant en retard Fran qui est sur le point de partir à un rendez-vous galant ! Par-dessus le marché, il n’a pas non plus payé la pension alimentaire. On sent qu’il n’en faudrait pas beaucoup pour que Hooker fasse tout péter (et/ou devienne un Men’s Rights Activist). Seule la découverte d’une bouteille de bourbon jamais entamée parvient à le calmer.
Évidemment, ce contexte familial difficile est la conséquence directe du point de vue pessimiste du héros… mais c’est aussi une cause, et le meilleur moyen de continuer de le rendre plus maussade encore. Cela dit, ce pessimisme n’est pas uniquement dû au travail de policier, puisque Hooker est également un vétéran du Vietnam… Cumulard, un peu.
En fait d’introduction au monde des policiers en uniforme, TJ Hooker est directement un saut dans le grand bain. Un grand bain d’eau glacial.
Du temps de sa diffusion, la série se vantait de son caractère sombre, eh bien on est servis ! Certes, elle offre une vision du monde un peu binaire, avec d’un côté les flics et de l’autre… de l’autre, à peu près tout le monde. Mais c’est une série qui se déroule dans un univers où il n’y a pas vraiment le choix. Beaucoup de policiers voient les choses ainsi, et TJ Hooker retranscrit bien cette maladie très professionnelle de ne voir que le négatif et de se figurer que personne d’autre ne comprend ce qui détruit Los Angeles, ni ce qu’il faut faire pour l’en débarrasser. La philosophie de TJ Hooker est que tout est une catastrophe parce qu’on n’écoute pas les policiers qui savent, ceux qui roulent depuis des années, qui ont l’expérience, les méthodes, l’instinct. Très peu de voix discordantes parviennent à se faire entendre sur ce point. Pour le moment seules deux femmes,Fran et une jeune recrue noire, osent contester un peu les choses posées comme des évidences par Hooker. L’intervention de l’élève est intéressante, elle suggère que les méthodes prônées par TJ Hooker, on a vu leurs effets pendant la lutte pour les Droits civiques… cette phrase pleine de sous-entendus, bien que glissée à un autre élève officier noir, sera vite écartée et le personnage n’aura pas d’autre réplique pendant l’épisode. Fran préfèrera quant à elle adopter la posture de la confidente bienveillante voyant que Hooker en a plus besoin que d’une énième confrontation.
Entre les prophéties auto-réalisatrices d’un flic qui pense que tout part en vrille, le constat d’une violence en hausse, et les photographies de la vie de flic (ce qui inclut une très intéressante scène pendant laquelle Hooker discute avec des élèves des raisons pour lesquelles ils sont entrés dans la police), TJ Hooker n’est pas une partie de plaisir. C’était le but : à l’origine, TJ Hooker était une façon pour Aaron Spelling de ressusciter The Rookies, une série se voulant réaliste et qui surfait sur le succès d’Adam-12. Elle a peut-être pris son objectif juste un peu trop au sérieux… mais au moins, maintenant, on a une idée de ce à quoi il faudra nous attendre cette semaine.