Hiro Kamon est la femme la plus charmante que vous puissiez rencontrer. Cette célibataire dans la quarantaine est en effet toujours d’une politesse consommée, est passionnée de littérature, et se montre extrêmement calme et invariablement patiente en toutes circonstances ; une combinaison de qualités parfaite pour une bibliothécaire, d’ailleurs. Si vous croisiez Hiro, vous seriez probablement charmés.
Sauf que Hiro Kamon n’est pas vraiment cette personne, en fait. Si vous étiez capables d’entrer dans la tête de Hiro lorsqu’elle vous croise, vous n’entendriez que des jugements tranchés et des critiques méprisantes. La vérité c’est que Hiro aime effectivement les bouquins, mais tout le reste est une façade, un rôle qu’elle joue en public, sa façon de se conformer aux attentes de la société japonaise sans réellement céder un pouce de terrain à quiconque. Hiro Kamon est, derrière son sourire docile, une vieille fille aigrie, jusqu’à la caricature.
Naturellement ça ne va pas durer. En tous cas c’est ce que semble promettre le premier épisode de Gisou no Fuufu.
Un jour qu’elle accueille une classe de maternelle, Hiro tombe nez à nez avec une vieille connaissance : Chouji Himura est allé à l’université avec elle, et ils ont partagé, voilà 25 ans, une nuit torride. Le problème c’est que le lendemain il a entièrement disparu de sa vie, sans lui laisser le moindre message. Et le revoilà aujourd’hui, jovial comme jamais, à faire comme si de rien n’était ! Bien que, fidèle à son habitude, Hiro ne le montre pas, elle est ulcérée par son comportement.
Chouji a pourtant une excellente raison s’il en est : depuis toujours, il avait eu des doutes, mais après cette nuit passée avec l’une des jeunes femmes les plus incroyables qu’il connaisse, et qui l’avait laissé de marbre, il a compris qu’il était gay et a décidé de ne plus vivre caché, ni de lui ni des autres (que cette révélation l’ait empêché de simplement expliquer à Hiro son changement de comportement vis-à-vis d’elle est un peu limite, mais admettons). Un quart de siècle plus tard, il est heureux : il a plaqué son emploi de bureau pour fonder sa propre maternelle, il a une vie sociale épanouie… le seul problème c’est qu’il n’est pas marié. Enfin, ce n’est pas exactement un problème pour lui, mais plutôt pour sa mère, auprès de laquelle il n’a jamais fait son coming out, et qui est mourante d’un cancer. Il veut la rassurer et lui présenter une épouse.
Chouji explique tout cela à Hiro, avec à la clé, une question d’importance : il veut lui demander de l’épouser. Pour de faux, hein. Juste devant sa mère. Je vous laisse deviner la réponse de l’intéressée.
Bien-sûr Gisou no Fuufu n’aurait pas de raison d’être si les choses étaient si simples. Et il s’avère que peu de temps après, l’appartement de Hiro s’effondre sous le poids de ses piles de livres, et qu’elle se retrouve à la rue et endettée (elle doit évidemment dédommager son propriétaire, et apparemment les autres locataires pendant la durée des travaux). Devinez qui peut lui offrir de l’argent et même un toit ? Ouaip : l’ami Chouji. A reculons mais acculée, Hiro va devoir accepter le pacte. Après tout, belle-maman n’a, selon les médecins, que 6 mois à vivre…
Très franchement, Gisou no Fuufu a autant de qualités que de défauts. J’apprécie ses deux personnages centraux, qui se complètent merveilleusement : Hiro est aussi aigrie et misanthrope que Chouji peut être positif et sympathique. La série met plutôt bien en place la duplicité de son héroïne, avec un procédé assez simple : ses véritables pensées apparaissent sous la forme de panneaux copiés sur ceux des films muets ; à l’inverse, Chouji n’a pas de filtre et semble dire ce qu’il pense en permanence. Tout ça fonctionne très bien.
Le ton de ce premier épisode est léger, mais ne s’interdit pas également des moments plus étouffants, par exemple quand Hiro tente d’aller demander de l’argent à sa tante (qui l’a éduquée après la mort de ses parents quand elle avait 3 ans), avant de renoncer devant la toxicité de l’environnement qu’elle avait réussi à fuir ces dernières années.
Tout cela est fort beau et bon, mais toutes ces qualités ont aussi tendance à verser dans l’excès. Le ton comique empêche vraiment de prendre au sérieux les émotions de Chouji (l’acteur est juste un peu trop enthousiaste dans certaines scènes ; cela dit il faut lui reconnaître qu’il arrive à le faire sans pour autant verser dans les clichés de la « folle » si souvent employés dans beaucoup de séries nippones) ou même ses tirades les plus sincères. Quand bien même il a raison, c’est difficile de ne pas se ranger à l’avis de Hiro sur sa façon d’être un peu agaçante. Hiro, quant à elle, devient vite une caricature d’elle-même (ce qui était déjà une caricature). Ce qui la sauve, c’est qu’elle est incarnée par la très charismatique Yuuki Amami, mais elle est écrite de façon très simpliste pour le moment.
Rien de tout cela n’est gravissime de toute façon, parce que de toute évidence Gisou no Fuufu va consacrer l’essentiel de son énergie à la faire évoluer… mais c’est justement là que le bât blesse : les bons sentiments qui suintent de ce premier épisode pourraient être tolérables si leurs intentions n’apparaissaient pas comme un tantinet prévisibles.
Une fois qu’on a compris ce que veut Chouji (c’est, très franchement, la plus grosse surprise de ce premier épisode… qui intervient dans le premier quart), le reste n’est que littérature, si vous me passez l’expression. On sent bien que la série veut interroger Hiro sur ce qu’elle tient pour acquis : être seule parce qu’elle ne tolère personne dans sa vie. J’apprécie que ce soit là le message, d’ailleurs, plutôt que de considérer que c’est l’amour d’un homme qui va la libérer ; en fait, pour l’instant, la seule personne à avoir une intrigue amoureuse dans la série semble être Chouji.
Mais Gisou no Fuufu ne recule devant aucun outil pour lui forcer la main, faisant s’écrouler son appart, vidant son compte en banque, la mettant face à une adorable petite fille de maternelle, une femme à mobilité réduite, et une vieille femme mourant d’un cancer, tout ça pour la contraindre à modifier sa vision du monde et d’elle-même. ON A COMPRIS. Pas la peine d’y aller à coups de gourdins.
Malgré ces imperfections (la musique qui accompagne la plupart des scènes en est une autre), Gisou no Fuufu se montre néanmoins très attachante. Peut-être parce que j’ai fait un transfert, peut-être parce que Yuuki Amami est une déesse, peut-être parce que je ne suis pas de pierre et que je craque aussi devant une adorable petite fille de maternelle… Ou peut-être parce que la série a pour objectif de questionner les choix de vie qu’on fait qui n’en sont pas ; Hiro n’a pas nécessairement décidé un beau matin de devenir une vieille fille aigrie qui se fond dans la masse pour qu’on ne l’approche surtout pas. Mais à un moment donné, il semblerait qu’elle ait décidé de ne plus lutter contre ce qui lui apparaissait comme un courant contraire ; elle a cessé d’entretenir des relations, et plus encore, elle a cessé de s’entretenir intérieurement, laissant ses émotions négatives prendre systématiquement le dessus. Elle s’est autorisée à totalement s’éteindre, alors que selon Chouji qui l’a connue à la fac, elle était un véritable feu follet il y a 25 ans. Qu’est-il donc arrivé à Hiro Kamon ? Est-elle vraiment en accord avec elle-même quand elle s’enferme dans cette routine isolée de tous ? Chouji ne le croit pas, et que la critique vienne de lui, qui tente de vivre sa vie le plus possible en accord avec lui-même (quelque chose que je ne doute pas que Gisou no Fuufu interrogera aussi vis-à-vis de sa mère) n’a que plus d’impact.
Ouais, ok, j’avoue, j’ai définitivement fait un transfert sur Gisou no Fuufu. Mais même quand elle joue les célibataires misanthropes, j’avoue que je continue d’avoir envie d’être Yuuki Amami ! Blague à part la série a de toute évidence beaucoup de cœur, malgré le reste de ses manquements. Et parfois, dans ce monde cynique où on serait vite tenté de s’isoler plutôt que de devoir composer avec la complexité des autres, ça fait du bien de se mettre devant une telle série, même si c’est simplement à doses homéopathiques.
C’est vrai qu’on sent venir l’histoire à des kilomètres, avec toutes ces « belles personnes » qui viennent entourer de leurs bons sentiments Hiro et son aigreur autant intérieure que vestimentaire… (je me demande encore si c’était vraiment nécessaire de faire boîter la pauvre Shiori) Mais ce que touche Amami-sama se change en or… ok, sauf Kaeru no Oujosama que oui, j’avais vu ! Les personnages ne sont cela dit pas tous comme ça, mais surtout je me demande s’ils ne sont pas tous marginaux, a plus forte raison dans la société nippone ! Une célibataire de 45 ans, des homosexuel(le)s, une handicapée, une petite fille « muette », une tante solitaire et antipathique, un magicien raté, une soeur hystérique qui traîne ses gamins obèses… Mais ce que nous apprennent ces personnages torturés c’est avant tout la tolérance. Car je me suis surpris à penser plus d’une fois que ces personnages n’avaient pas des réactions auxquelles on pourrait s’attendre de la part de japonais. On le voit bien lorsque Chouji décide de faire son coming out auprès des parents. Dans ce drama, on est dans tout sauf dans le conformisme !