Justice à la carte postale

1 août 2016 à 17:16

Vous vous êtes déjà fait la réflexion que, parmi la vaste quantité de legal dramas, très peu d’entre eux s’intéressaient au quotidien d’un ou plusieurs juges ? Ne vous méprenez pas : j’adore les avocats à la télévision, en fait vous trouverez difficilement plus fan que moi. Mais le système judiciaire n’est pas qu’avocats (et procureurs), et je suis étonnée que la profession attire si peu les scénaristes qui pourtant, une fois de temps en temps, doivent bien avoir envie d’essayer de trouver un angle nouveau.

L’envie de me pencher sur une fiction tournant autour d’un juge m’est revenue le weekend dernier, après avoir vu la video de la juge Wolf, dans le Kentucky, réagissant à un traitement dégradant d’une jeune femme noire passant devant son banc.
Au-delà de la débectante affaire qu’elle traitait dans cette video, et de sa réaction viscérale qui évidemment fait beaucoup pour la viralité de ladite video, j’ai été frappée par ce que ces longues minutes disaient aussi de son travail pour ce qu’il semble être au quotidien. L’ordinateur placé devant elle (on ne voit quasiment jamais de juge avoir autre chose en main que son marteau dans la plupart des séries imaginées du point de vue de l’avocat), le numéro qu’elle cherche sur son portable personnel avant de le composer sur son téléphone de travail (peut-être parce qu’elle n’officie pas toujours dans la même pièce et que c’est plus simple d’avoir un répertoire personnel que de se fier au matériel dans chaque tribunal), sa façon de parler à ses interlocuteurs professionnels (« how are you today ? », notamment, qui m’a soudain rappelé qu’une juge travaille avec un réseau de professionnels, avec lesquels les relations doivent rester courtoises quoi qu’il arrive), sa conscience aiguisée du regard qui sera porté sur ce qui se dit dans la salle d’audience (entre sa remarque sur le fait que l’affaire va probablement devenir médiatique et la façon qu’elle a de s’interrompre avant de conseiller quelque chose à la prévenue), et ainsi de suite. Tous ces petits détails m’ont d’abord donné envie de passer du temps à regarder plus de videos de la juge Wolf, avant de réaliser qu’on n’était pas obligés de mettre de vrais professionnels, ayant déjà des obligations lourdes, sous le feu des projecteurs… quand la fiction peut essayer d’accomplir un résultat similaire de questionnement sur la pratique quotidienne de la loi.
J’ajoute aussi que je serais très curieuse de savoir qui a édité la video, aussi bien niveau montage (les plans utilisés ont tous la décence de ne pas montrer la prévenue de façon vulnérable, un choix clairement conscient) que son (lorsqu’un nom propre ou un numéro d’affaire est cité, le son est systématiquement coupé). La video elle-même démontre qu’il y a énormément de réflexion et de travail derrière des choses qui nous semblent évidentes, dans le rôle que jouent divers professionnels d’une cour.

Donc j’en étais là de ma réflexion quand j’ai tenté de penser à une série qui mette en avant un ou plusieurs juges. Il y en a quelques unes britanniques, mais étant plus familière du système américain, j’ai préféré opter plutôt pour une série US. Une fois qu’on élimine les comédies (hello Night Court) et/ou les ratages (je ne vous salue pas, Bad Judge), il ne reste plus grand’chose.
Bref me voilà soudain devant le pilote de Judging Amy, un peu par défaut. Mais vous savez quoi ? Maintenant qu’on est là, allons-y.

JudgingAmy-650

Judging Amy se déroule à Hartford dans le Connecticut, où Amy Gray s’est installée récemment dans la maison familiale… ce qui signifie retourner vivre avec sa mère, Maxine McCarthy, une femme assez envahissante. Amy est actuellement en pleine procédure de divorce, et vient de quitter New York avec sa fille de 6 ans Lauren, pour un poste de juge des affaires familiales. Or, Amy n’a jamais été juge : quelques mois plus tôt encore, elle était avocate d’affaire, et c’est quasiment par hasard si elle a accepté d’être présentée aux élections (rappelons qu’aux USA certains juges sont élus). Sa victoire, elle, doit un peu moins au hasard étant donné la popularité de Maxine dans la région de Hartford. Il faut dire que celle-ci a, pendant plusieurs décennies, officié comme assistante sociale pour le comté ; à son arrivée à la cour, Amy découvre rapidement qu’elle vit donc un peu dans l’ombre de son aïeule, appréciée de tous.
L’héroïne de Judging Amy doit donc faire face à des défis à bien des égards, et ce premier épisode va en détailler pas mal, de la question compliquée de son divorce (mal accepté par Maxine, qui est de la vieille école, mais aussi par Lauren qui vit dans un monde où peu d’enfants ont des parents divorcés… attendez, quoi ? Judging Amy ne date que de 1999 pourtant ?!) à la question de la cohabitation entre trois générations. Amy croule sous le poids que représente l’étiquette de « fille de », mais aussi des responsabilités qu’elle supporte désormais quasi-seule en tant que « mère de ».

Et puis, bien-sûr, il y a l’aspect professionnel à proprement parler. J’étais quand même venue pour ça !
Même sans parler de l’influence de Maxine, Amy a du pain sur la planche parce qu’elle a été élue juge… mais rien ne l’y a préparée. Elle officie, qui plus est, dans le domaine des affaires familiales, qui n’a rien de commun avec son précédent domaine de pratique. Et comme en plus elle ne connaît personne à Hartford, à part son jeune frère qui de toute façon ne travaille pas dans le même milieu, elle ne sait pas trop à qui se fier, sur qui se reposer, afin de démarrer dans son nouveau métier.
Les personnages introduits professionnellement sont moins détaillés que dans la sphère privée ; mais on peut déjà noter la mise en place d’une relation intéressante avec l’agent administratif qui la seconde, Bruce. Mais pour l’instant ça s’arrête là. L’idée essentielle du pilote est de toute façon de mettre Amy face à ses hésitations et ses lacunes, pas vraiment de mettre en place grand’chose d’autre. Chaque fois qu’elle demande conseil, elle obtient surtout une liste d’ordres plus ou moins directs, et pas vraiment de recommandations générales.
Mais comme le lui fera remarquer sa mère, il n’existe pas exactement de liste de critères à cocher pour être un bon juge. Ce n’est qu’en donnant toute son attention inconditionnelle aux affaires, en s’implicant personnellement, qu’Amy fera du bon travail ; quelque chose que le premier épisode met en scène comme quelque chose de naturel pour l’héroïne, donc finalement tant mieux. Quels que soient les doutes qu’elle fonde sur sa capacité à siéger, Amy n’a pas d’automatismes et c’est une bonne chose. Judging Amy semble, au moins au stade du premier épisode, traiter le processus juridique comme un milieu où chacun sait précisément tenir sa place, ni plus ni moins, et le fait qu’Amy ignore réellement quelle est sa place lui permet de ne pas rendre une justice automatique et dépersonnalisée.

Et quand bien même un personnage avertit Amy que ce qui est nécessaire n’est pas forcément juste et vice versa, on a un peu l’impression que le dilemme ne touche pas vraiment l’héroïne plus d’une demi-minute, un peu comme si c’était un problème trop abstrait pour la série. Ce à quoi je réponds : pourquoi pas. Toutes les séries légales ne sont pas forcées de se poser des questions torturées comme ça peut être le cas de The Practice sur le système judiciaire dans son ensemble. En se penchant avant tout sur l’humain, en s’arrêtant exclusivement sur les situations rencontrées sans chercher à en tirer de leçon au sens trop large, Judging Amy fait au contraire abstraction du système pour le rapporter à des cas individuels ; il faudra attendre d’avoir dépassé l’exposition pour voir si elle s’aventurera à discuter des avantages et inconvénients d’une telle pratique.
C’est un choix qui reflète une éthique souvent absente de la fiction légale, à bien y réfléchir, où l’on part souvent d’un cas unique pour en réalité dire quelque chose de plus général sur la profession, le système, voire la société entière au sens large. Pas de ça ici ou, du moins, pas dans cet épisode d’exposition.
Je ne sais pas si au juste seule une série sur une juge pouvait adopter un tel angle (là tout de suite je n’ai pas vraiment en tête de série orientée vers les avocats qui le fasse, cependant). En tous cas, que cette particularité s’ajoute à celle du choix d’ignorer les avocats dans l’essentiel de l’intrigue donne un résultat totalement différent de ce qu’on voit d’ordinaire en matière de legal drama.

Quant à la description du quotidien que j’avais envie de voir en lançant le premier épisode de Judging Amy, ma foi, on en a quelques vignettes rapides, notamment par l’entremise de Bruce qui souligne le travail réalisé en parallèle de la prise de décision ; pas d’ordinateur sur le bureau d’Amy, mais le sien et surtout celui de Bruce sont couverts de matériel administratif et de dossiers. A ce stade on ne voit quand même pas grand’chose, il faut bien dire ce qui est, mais la présence du personnage de Bruce (ainsi, d’après mes souvenirs, que l’introduction d’un autre personnage travaillant pour la juge Gray dans des épisodes suivants) confirme que ce devrait être mentionné ultérieurement par la série, et non simplement survolé.

Reste que Judging Amy est quand même plus un drama familial qu’autre chose, si on veut être honnêtes.
En témoignent les scènes dans la cuisine ou la salle à manger des Gray/McCarthy, les nombreuses interactions entre les membres de la famille (Amy a deux frères, l’un étant marié… ça fait de la famille étendue), et même, l’utilisation régulière, pour ponctuer une scène, de photos d’enfance de l’héroïne, présentées en noir et blanc pour mieux souligner l’émotion du moment. Ainsi pour son premier jour au tribunal, la série emploie une photo d’Amy prête à partir pour son premier jour d’école, quand une scène se déroule pendant un repas familial, elle est précédée d’une photo d’Amy enfant endormie ou contrite à une fête de famille, et ainsi de suite. C’est une plutôt jolie idée, qui donne un effet carte postale suranné mais touchant. Cependant, c’est à ce genre de signe qu’on voit combien la série s’éloigne avec ce genre de clichés de l’aspect judiciaire.
Pas très étonnant de la part de Barbara Hall, créatrice de Judging Amy mais aussi du drama religieux Joan of Arcadia, donc plus connue pour sa passion envers l’humain que pour sa verve juridique (elle s’est sûrement renouvelée un peu pour Madam Secretary, mais je ne suis pas la série).
Bref, la quête continue…

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Et pour ceux qui manquent cruellement de lecture…

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