Un drama historique HBO sur le porno, ça ressemble à quoi ? Inutile d’attendre The Deuce, ça existe déjà ! Ça s’appelle Magnífica 70, et c’est la review du jour.
…Une précision : c’est une série originale de HBO Latin America, et se déroulant dans les années 70 au Brésil. Vous vous doutiez un peu qu’il y aurait une clause en petits caractères, avouez.
Magnífica 70 démarre aux côtés de Vicente, un homme à la vie terriblement frustrante. D’ailleurs ce n’est pas entièrement un hasard s’il travaille au bureau de la censure gouvernemental : son talent pour réprimer toute émotion qui dépasse est exactement ce qui est requis par sa fiche de poste.
En 1973, le Brésil vit en effet sous dictature militaire depuis près d’une décennie ; le pays n’a plus de Constitution, plus de Congrès, et surtout plus de libertés individuelles. Pour s’assurer du contrôle total des médias, le bureau de la censure a été mis en place afin de procéder à des coupes, voire même au bannissement pur et simple, des œuvres artistiques, dont les films. Le bureau de la censure veille non seulement à ce que rien ne vienne critiquer le pouvoir du maréchal Castelo Branco, mais aussi aux bonnes mœurs et au respect des valeurs de l’Eglise.
Chaque jour, dans la petite salle de projection du bureau de la censure, Vicente voit défiler des films plus ou moins subversifs ; armé d’un bouton qui indique au projectionniste les passages problématiques, il peut décider d’une simple pression lorsque la limite a été franchie. Il rédige ensuite un rapport circonstancié sur sa machine à écrire.
La vie professionnelle de Vicente n’est pas captivante, mais il s’exécute avec l’efficacité du petit tâcheron moyen, le visage inexpressif, sans prendre de plaisir ni de déplaisir. Sa vie personnelle est assez similaire : sa femme Isabel et lui tentent de concevoir un enfant et chaque soir, dans le lit conjugal, il s’exécute avec l’efficacité du petit tâcheron moyen, le visage inexpressif, sans prendre de plaisir ni de déplaisir.
C’est alors que survient LE film. Assis scrupuleusement devant l’écran de la petite salle de projection du bureau de la censure, prêt à observer froidement le pornochanchada intitulé A Devassa da Estudante, le doigt sur le bouton, Vicente se trouve soudain confronté à une foule d’émotions. C’en est brutal. Il n’est pas seulement excité par l’actrice principale, la blonde Dora Dumar, qui se dévêt à l’écran de son uniforme d’écolière face à des nonnes ; le film lui donne aussi de très vifs flashbacks d’une autre femme blonde de son passé… L’érotisme à la fois simple et désarmant de l’ensemble de ces images, celles du film et celles de ses souvenirs, l’a pris par surprise ; Vicente se retrouve en quelques secondes à appuyer frénétiquement sur le bouton de censure, puis à rédiger un rapport passionné sur A Devassa da Estudante, dont il préconise l’interdiction pure et simple à sa supérieure la Docteure Sueli. Laquelle abonde dans son sens, et convoque le producteur du film pour lui annoncer la nouvelle.
Il ne s’agit cependant que du début des ennuis pour Vicente. Car lorsque le producteur arrive au bureau de censure, il s’avère qu’il est accompagné par la magnétique Dora Dumar. Et Vicente ressent, outre son trouble initial, une immense culpabilité… que va-t-il faire pour la surmonter ?
Finalement, Vicente débarque dans le bureau du producteur du film A Devassa da Estudante, et propose de tourner une scène complémentaire (des regrets exprimés par l’écolière incarnée par Dora Dumar) qui permettrait au film de passer le cap de la censure… et voilà notre censeur devenu membre de l’industrie du pornochanchada, qu’il a passé des années à détruire.
Au bout d’une heure, il apparaît clairement que Magnífica 70 est une immense histoire de désir, qui parvient parfaitement à rendre les émotions de Vicente, violentes, incontrôlables, intimes. A mesure que le premier épisode révèle qui est la blonde que Dora Dumar a évoqué à Vicente dans A Devassa da Estudante, on comprend que la série veut vraiment explorer des choses troubles dans ce domaine, au-delà de la simple « pulsion » sexuelle. Placer cette histoire d’affolement dans le contexte politique de la dictature ne rend que plus riche le propos, d’autant qu’il s’avère que Vicente est le gendre d’un gradé de l’armée.
Filmée comme si elle avait vraiment été tournée avec les moyens et les codes des films des années 70, désarmante de par ses émotions bouillonnant sous la surface impassible de son personnage, prenant d’étonnants chemins de traverse (le second acte de cet épisode introductif est entièrement dédié à explorer la backstory du producteur d’A Devassa da Estudante ; Dora s’avère être un personnage multidimensionnel bien qu’il s’agisse d’un secret bien gardé…), Magnífica 70 coupe le souffle.
L’épisode atteint son point culminant dans la scène où Vicente se retrouve, quasiment à son corps défendant, sur le plateau de tournage de la scène complémentaire qu’il a écrite, face à Dora Dumar prête à tourner la scène qu’il a fantasmée et qui permettra au film qui l’a bouleversé de ne pas disparaître, sauvant ainsi le studio de tournage de pornochanchadas. On sent ce qui va arriver, et pourtant la prévisibilité n’empêche pas de frissonner en réalisant ce qui est en train de se produire pour Vicente. L’extase téléphagique ainsi atteinte bouleverse parce qu’elle arrive comme par surprise, dans une série légèrement surjouée, et menée par un personnage principal presque trop caricatural pour être émouvant. Et en plus je connaissais très bien le sujet de Magnífica 70, donc il n’y avait vraiment aucun mystère ! Mais soudain me voilà suffoquée par une bouffée de griserie et d’excitation comme si c’était le moment que moi-même j’avais attendu.
Ce qui fait que Magnífica 70 fonctionne autant, je crois, c’est aussi le soin que la série met à traiter les pornochanchadas avec une certaine tendresse, mais sans naïveté. C’est une industrie peu reluisante (après tout, le quartier de Sao Paulo où elles sont produites est surnommé Boca do Lixo, « la bouche à ordures« ), financée par l’argent sale, tournée au kilomètre, n’ayant pas grand’chose de commun avec l’art cinématographique tel que la critique aime à l’encenser. Mais Magnífica 70 lui trouve une élégance affectueuse, et en dévoile quelques scènes sans se moquer des moyens ni des facilités du genre. D’ailleurs le sujet seul des pornochanchadas est absolument fascinant (et permet d’intéressantes références sur le cinéma brésilien comme on en voit rarement ailleurs, comme Vicente qui arrive dans les studios de cinéma et assiste au tournage d’une scène d’un film sur Zé do Caixao).
Cela veut aussi dire que Magnífica 70, et c’est assez précieux vu que son sujet est le cinéma érotique, est dépourvue de gratuité. Cela joue dans l’impression que font les quelques scènes de sexe mécanique de Vicente avec Isabel, ou bien-sûr dans l’expression des émois de celui-ci face à Dora.
Cela faisait près de deux ans que je surveillais Magnífica 70, de loin hélas. L’arrivée de la série sur le service de VOD britannique Walter Presents est une véritable bénédiction à mes yeux, la réalisation d’un… fantasme. Cette série prouve que le label HBO n’est pas seulement bien représenté dans le monde : il y est parfois encore mieux représenté qu’aux USA.
Je brûle de savoir si les épisodes suivants de Magnífica 70 seront capables de maintenir l’équilibre étonnant qui est le sien, tout en continuant de surprendre avec ses personnages. Comme Vicente, je suis bien trop excitée par cette perspective pour me poser la question bien longtemps…!