Le regard neuf

8 juillet 2016 à 12:46

Les affaires classées, ça n’a rien de nouveau. La ficelle est bien connue, entre particulier dans les séries : d’emblée, ce contexte ajoute une émotion supplémentaire à une intrigue policière classique (genre souvent assez froid). Car puisque l’enquête a déjà été fermée une fois, rien n’est rassurant pour la victime ou ceux qui lui ont survécu, et l’enquête peut ne rien accomplir de plus que remuer le couteau dans les vieilles plaies mal refermées. Justice n’a pas été rendue jadis… peut-être qu’elle ne sera jamais. La réouverture d’une enquête classée, c’est à la fois la promesse qu’il peut y avoir une justice… et le rappel douloureux que celle-ci a déjà échoué par le passé.

Zhen Tan (The Truth Seekers de son titre anglophone, puisque la plupart des séries singapouriennes possèdent deux titres) s’appuie sur cette problématique commune à toutes les fictions s’appuyant sur des affaires classées. Mais elle essaie, aussi, d’apporter quelque chose de neuf.

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Ce quelque chose de neuf se loge par exemple dans la façon dont l’équipe de la série, une agence de détectives qui s’appelle « CCI » (pour Cold Case Investigators), se lance dans une affaire. Dans le premier épisode, c’est ainsi quelqu’un qui vient leur demander de rouvrir un dossier, sans avoir aucune pièce nouvelle à apporter, chose est très rare pour une fiction policière : l’enquête est rouverte sans aucune piste, ni aucun motif. En outre, ce quelqu’un n’est pas n’importe qui, c’est en fait… l’accusé original de la première enquête sur l’affaire, Lan Haifeng, petit ami de la victime.
L’affaire porte en effet sur le meurtre d’une jeune femme dans un parc. À l’époque tout le monde (y compris la police) pensait que c’était Lan Haifeng le coupable ; suite à l’enquête, celui-ci est passé devant les tribunaux et a même fait 8 ans de prison… jusqu’à ce qu’il apparaisse que finalement ce n’était pas lui le meurtrier, ou qu’en tout cas les preuves étaient insuffisantes. Une nuance importante : à sa sortie de prison, il est donc techniquement hors de cause… mais perpétuellement considéré coupable par la société, et notamment les parents de la victime. A la surprise générale, le voilà à venir solliciter CCI dans ce premier épisode. Le geste n’est pas anodin, car celui qui dirige CCI aujourd’hui… c’est précisément Bai Qingxiong, le policier qui conduisait l’enquête jadis et dont le travail avait conduit à la condamnation initiale de Lan Haifeng.

Zhen Tan ne fait pas, pas vraiment, de ce sujet son objet principal. Mais la série emploie cette situation de départ pour montrer aussi le fonctionnement et l’éthique de CCI. Ce qui compte, c’est de n’avoir aucune idée préconçue au moment d’aborder l’enquête. Ne pas présumer de la culpabilité, ne pas présumer des motifs : vraiment, avancer vierge de tout présupposé. Ce n’est pas forcément aisé, mais tenter de suivre plus ou moins cette ligne de conduite permet, au moins, de vraiment explorer toutes les pistes possibles.
Ce principe est si prégnant dans ce premier épisode que Bai Qingxiong va vraiment reprendre l’enquête à zéro, et faire étudier à son équipe, de façon équitable, les trois suspects qui avaient émergé lors de son enquête originale. Cela veut dire, oui, absolument, enquêter sur son propre client, mais aussi accepter que les deux autres suspects doivent être reconsidérés objectivement. D’ailleurs c’est intéressant que la priorité de CCI soit d’enquêter sur les alibis, et non sur des preuves matérielles entourant le meurtre lui-même, se penchant ainsi plus sur les personnages eux-mêmes que sur ce qu’ils ont laissé derrière eux.

Cette profession de foi du personnage central de la série implique aussi un changement dans le déroulement de l’intrigue par rapport aux séries similaires l’ayant précédée : au lieu de tout de suite trouver une autre piste, eh bien… les enquêteurs de CCI piétinent. Ils recommencent de zéro et ils essayent de tout envisager ; ils ne trouvent d’ailleurs pas grand’chose pendant l’essentiel de cet épisode.

Cela est permis par un autre choix radical de Zhen Tan : celui de ne pas boucler ses enquêtes en un épisode.
Bien que de type procédural, la série est en réalité bâtie autour d’une structure par arcs d’une durée de trois épisodes en moyenne. Cela veut dire que contrairement à tant de séries de type « affaires classées », Zhen Tan s’autorise à piétiner. C’est hyper précieux à une époque où la télévision policière procédurale cherche l’efficacité…

Ce qui ne signifie pas pour autant qu’on s’emmerde pendant que les membres de CCI ne trouvent rien de neuf pour faire progresser l’enquête. Car Zhen Tan est aussi, et c’est un choix intéressant (bien que pas spécialement inédit pour une série asiatique reconnaissons-le), une dramédie, qui cherche à mettre l’accent sur les relations entre ses personnages, au sein de l’agence.

Ainsi les deux employés de Bai Qingxiong doivent-ils travailler ensemble en dépit d’énormes différences de caractères, et d’une passion dévorante pour les bisbilles : Huang Yuyang n’est jamais tant heureuse que lorsqu’elle peut envoyer bouler l’immature Hong Junyan. Ils auront l’occasion de s’adonner à leur sport préféré à plusieurs reprises au cours de leur pourtant sérieuse investigation, dans ce qui s’avère être de véritable scènes comiques au milieu d’une enquête de meurtre ! Spoiler alert : un troisième employé devrait rejoindre CCI en cours de saison, ajoutant un peu plus de chaos (et même, semble-t-il, des enjeux amoureux) à la dynamique juvénile de cette petite équipe.
Enfin… je sais pas si on peut parler de spoiler si c’est dans le générique et le matériel promotionnel !

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Quant à Bai Qingxiong, le patron de l’agence, il a aussi droit à des scènes sur sa vie privée : le QG de CCI est en effet logé dans un restaurant japonais tenu par son épouse Atsuki, une immigrante japonaise (enfin… une actrice singapourienne avec un accent pourri et plein de stéréotypes comme fiche de poste) avec laquelle il coule des jours heureux. Un bonheur qui ne semble rendu possible que par le changement qu’il a opéré dans sa vie professionnelle, depuis qu’il a « quitté » la police… j’utilise des guillemets car une scène de ce premier épisode tente à mots couverts de nous faire comprendre que les choses sont légèrement plus complexes. Difficile de cerner à quel point pour le moment.

Zhen Tan est un peu la raison pour laquelle regarder des séries venues d’autres continents est si agréable : même à partir d’ingrédients qu’on a l’impression de connaître absolument par cœur (Cold Case vient évidemment à l’esprit, bien-sûr… mais pas que), on découvre qu’il est possible de créer des variations originales, pourvu d’évoluer dans une industrie qui autorise à sortir du moule. Ce n’est pas que Zhen Tan soit révolutionnaire : trouver un angle et un traitement différent ne devrait pas nécessairement conduire à des innovations radicales, mais au moins nous permettre de rafraîchir notre regard en tant que spectateur. Surtout après plus d’une décennie et demie de séries curieusement calquées sur le même modèle !
C’est un peu comme un trou normand : ce n’est pas ce petit verre qui va vous consumer d’ivresse, mais il suffit à vous faire repartir au quart de tour et ainsi dévorer d’autres séries de plus belle. Une petite affaire non-classée singapourienne, et ça repart !

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Et pour ceux qui manquent cruellement de lecture…

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