Tout a commencé à l’époque où Sam Beckett dirigeait une expérience de voyage dans le temps. Lors de cette expérience, une horloge cosmique déréglée le fait passer de l’état de physicien… à celui de pilote d’essai. Ce qui aurait pu être amusant s’il avait su piloter. Depuis, il se promène à travers le temps, passant de la peau d’un personnage à un autre en essayant de réparer les erreurs du passé…
Tout le monde connaît Code Quantum. Au moins sur le papier. C’est l’une de ces séries il semble impossible de n’avoir pas été familiarisé si l’on s’intéresse un tant soit peu aux séries. Il n’y a presque pas besoin de l’avoir vue, et je soupçonne que parmi les téléphages de la génération Lost, peu l’ont fait ; mais sa réputation la devance. Pour ceux qui l’ont vue, comme moi, c’est souvent par le biais de ses diffusions sur M6, il y a des lustres… Mais c’était alors, bien souvent pour ces téléphages, une période pendant laquelle la pratique télévisuelle était différente, à plus forte raison étant donné le choix plus restreint de chaînes et de séries. Une époque, aussi, pendant laquelle personne ne faisait de review épisode par épisode. C’était, enfin, une époque pendant laquelle on avait collectivement un recul différent sur la production télévisée : les références et expériences ont depuis évolué. La forme sérielle était autre, la consommation télévisuelle était autre, les téléphages étaient, pour l’essentiel et à quelques rares exceptions près, autres.
Aujourd’hui faire le choix de regarder le premier épisode de Code Quantum est autant un rappel de cette lointaine époque, et le rappel d’une évidence : les temps ont grandement changé.
Ironie du sort, Code Quantum est un voyage dans le temps téléphagique.
La durée du premier épisode met à elle seule devant le fait accompli : près de 90 minutes ! Des pilotes comme ça, on n’en fait plus… ou, quand on en fait, tout le monde se plaint (il suffit de consulter, encore récemment, la jurisprudence Vinyl). Pourtant, cette durée a longtemps été au cœur du lancement de nombreuses séries, et elle a eu ses avantages.
Devant le pilote de Code Quantum, je suis justement fascinée par le fait qu’on sente à peine s’écouler cette heure et demie. Il ne fait aucun doute que le pilote a refusé de limiter son travail à une simple exposition de la série, de ses personnages, de leurs dynamiques, et des mécanismes de son sujet. Au contraire : d’emblée Code Quantum introduit des nuances, travaille son personnage central et étudie les difficultés qu’il rencontre comme les questions qu’il se pose, s’offre le temps de décrire ses émotions… Ce n’est pas simplement que le pilote de Code Quantum nous donne les premiers éléments permettant de comprendre la formule, ce kit de survie que tout pilote est supposé délivrer ; c’est que la série veut déjà en détailler des questions particulières en découlant.
Et, par là, Code Quantum trace les contours de sa philosophie : il n’y a que des cas particuliers. Sam Beckett en rencontrera deux dans ce pilote, qui lui fait vivre deux « leaps » successifs, deux sauts dans le temps que la série n’a pas peur de faire se succéder puisque son temps est moins limité que d’autres pilotes.
L’épisode inaugural de Code Quantum dure 90 minutes, pas parce qu’il y a des longueurs, mais parce qu’il se refuse à bâcler, et c’est une jolie nuance. Outre la mise en place de la série, l’épisode insiste à traiter avec attention sa première intrigue, en interrogeant en profondeur Sam sur ce qu’il ressent pour celui qu’il incarne… mais aussi envers ses proches. Il y a même une belle obstination à explorer de façon répétitive ce que vit la femme de ce total inconnu, à quoi ressemblent leurs vies à l’intérieur de leur époque, de leur contexte particulier.
Plutôt qu’à mettre en place une intrigue en fil rouge au sens où nous avons tendance à l’entendre aujourd’hui (avec des enjeux clairs, des interrogations auxquelles il faudra impérativement répondre, des challenges à relever à plus ou moins long terme), ces 90 minutes servent aussi à s’adresser au spectateur pour lui faire ressentir, profondément, les grands thèmes que la série veut aborder. Des problématiques telles que la mémoire, l’identité, la connaissance des autres, la façon dont se tissent les liens d’affection… précisément des questions qu’on ne peut pas poser sur la table vite fait comme s’il ne s’agissait que de prétextes ! Au contraire, l’action est minoritaire dans Code Quantum, où c’est l’humain tel qu’il est, et pas absolument ce qu’il fait, qui est au centre de l’épisode.
Bien-sûr, il est des choses qui ont vieilli dans Code Quantum, comme on pouvait s’y attendre. C’est même criant. Ses effets visuels, par exemple… mais plus encore : ses effets sonores. Le ton de buddy comedy est également loin des séries sombres qui peuplent pour l’essentiel la télévision de science-fiction moderne (Al est là uniquement pour assurer la fonction de comic relief, se doublant ponctuellement d’une mission d’exposition ; rien de plus).
Ce qui n’a pas pris une ride, c’est la tendresse qui en émane, cette nostalgie d’un passé à la fois idyllique et méconnu, cette envie de découvrir et d’aimer l’autre sincèrement, ce désir de panser de vieilles plaies quoi qu’il en coûte. Alors forcément, Code Quantum a bien besoin de ses 90 minutes pour dire tout cela, et pour nous y amener délicatement, sans nous bousculer. Pour nous aider à déballer lentement la complexité de ces émotions.
Il y a des séries qui méritent de prendre le temps. Pendant mon revisionnage du pilote de Code Quantum, je ne cessais de mesurer le chemin parcouru, et de constater à quel point notre course à l’efficacité, à la concision, à l’exposition propre en trois quarts d’heure, nous fait, parfois, passer à côté de l’essentiel dans un pilote. Il arrive que 90 minutes, eh bien, ce ne soit pas simplement tolérable, mais même souhaitable. On a tendance à oublier qu’une bonne série peut employer tout ce temps à bon escient. On l’oublie parce que de moins bonnes séries ont abusé de ce temps, mais c’est injuste d’avoir une opposition de principe.
Il arrive que 90 minutes, en fait, soit précisément le temps parfait pour (re)tomber amoureux d’une série…