Dans un concours de la fin de l’Humanité la plus terrifiante, je pense que Day 5 remporte le trophée. Cette websérie américaine, qui a démarré un peu plus tôt ce mois-ci, part pourtant d’une idée devenue banale alors que la fiction se passionne chaque jour un peu plus pour la fin du monde : le sort de quelques survivants isolés, tentant désespérément de survivre. Alors où est l’innovation ? Dans le fait qu’il n’y a ici pas de zombie, pas d’aliens, pas de catastrophe nucléaire, même pas vraiment un virus… mais juste des gens qui s’endorment, et ne se réveillent jamais.
C’est ce que découvre Jake un beau matin, après avoir passé Dieu sait combien d’heures, peut-être même de jours, seul dans son appart à épuiser ses réserves de drogues, et ce n’est que lorsque son briquet le lâche, qu’il finit par mettre le pied dehors et découvrir le monde totalement dénué de tout autre être vivant. Il lui faut quelques temps pour comprendre que les rues ne sont pas vides à cause d’un jour férié… Drogué, mais pas dénué d’âme, Jake se rue donc dans la maison de ses parents et sa petite sœur pour prendre de leurs nouvelles, et prend alors la mesure de ce qui s’est passé. Le monde est à l’arrêt car désormais, la moindre sieste est fatale. Ce n’est que lorsqu’il échoue sur le trottoir, dépassé, qu’il découvre quelqu’un d’autre que le sommeil n’a pas gagné : un jeune garçon du nom de Sam.
Que vont-ils faire à partir de là ? A eux de voir, mais s’ils veulent rester en vie, il va leur falloir ne plus jamais fermer l’œil.
Day 5 est la websérie qui semble fait pour les insomniaques, mais que je déconseille fortement aux anxieux. Progressivement l’épisode met en place cet impératif de ne pas dormir, mais évoque aussi les premiers inconvénients de cette quête ; rapidement Jake et Sam (on devine sur l’idée de qui) se sont tournés vers les médicaments pour rester éveillés, mais ces médicaments ont évidemment leurs effets secondaires, et surtout, plus effrayant encore, l’accoutumance diminue peu à peu leurs effets. Sans parler de la problématique de l’approvisionnement. Et puis, que faire de toutes ces heures passées les yeux grands ouverts ? Comment envisager l’avenir quand il semble ne pas y en avoir au détour de la prochaine sieste ? Les deux héros naviguent à vue dans cet océan de problèmes, ce qui est rendu plus ardu encore par un petit détail : le manque de sommeil, pour la réflexion et la concentration, c’est pas vraiment ça. Le point d’orgue est atteint dans une scène de course-poursuite où ce qui envoie le plus d’adrénaline, ce n’est pas l’action à l’écran, mais la question de savoir si la personne qui conduit pourra rester éveillée ! C’est vous dire à quel point cette question du sommeil s’avère efficace.
En fait, au fur et à mesure que ces différents paramètres sont mis en place dans la série, le spectateur de Day 5 se retrouve involontairement à écarquiller les yeux. Entre l’effroi (la scène dans la maison familiale de Jake est assez dure), le rire (en quelques heures Sam et Jake sont devenus les meilleurs potes au monde), et les interrogations (sur ce que peut réserver pareil pitch, notamment), on finit par commencer à redouter le sommeil pour soi-même. Bâiller devient source d’une frayeur intense, alors que, rappel, de notre côté de l’écran, il n’y a pas de fin du monde ! Mais c’est un témoignage de l’efficacité de Day 5, qui rend le spectateur intensément vigilant aux moindres signes de fatigue, comme dans une variation apocalyptique du « Don’t blink » de Doctor Who…
Tout en faisant progresser l’inquiétude autour de la fatigue, Day 5 fait aussi un très bon travail pour créer des personnages très solides. Il apparaît qu’en Amérique du Nord, la mort s’est glissée dans les foyers aux environs de 3 heures du matin, et Day 5 s’attache à expliquer pourquoi Jake et Sam n’étaient pas endormis à ce moment-là, utilise cette information pour développer les personnages, leurs motivations, leurs émotions. On n’est pas dans un thriller plein de points d’interrogation genre The After, mais aussi dans un drama humain, sans parler de l’affectueuse complicité qui se tisse entre les deux héros, qui vivent ensemble leur Last Man on Earth plein de bêtises et de tentatives de positiver quand même. Leur connivence fonctionne merveilleusement, et il y a du génie dans le fait que les deux personnages principaux de cette série de survie seraient, dans toute autre fiction similaire, les premiers à mourir bêtement !
Face à un Jake qui essaye de tout dédramatiser, mais ne prend justement pas les choses assez au sérieux, Sam apparaît comme un ado intelligent, mais fragile. Les quelques personnages qu’ils vont progressivement rencontrer ne sont pas aussi épais, au moins pas au stade de ce premier épisode ; ils sont souvent là pour faire avancer l’intrigue, certains de façon un peu cosmétique, mais qu’importe puisque Day 5 a établi que Jake et Sam méritaient à eux seuls toute notre tendresse.
A la fin du premier épisode, la série a trouvé une orientation claire : puisqu’il est impossible de fermer l’œil, alors autant aller enquêter sur les raisons de l’étrange « épidémie »… sachant qu’à chaque heure qui passe, il faut ne surtout pas dormir, mais qu’au bout de quelques jours, le corps ne supportera plus d’être éveillé. Derrière son idée là encore classique (il y a un danger, essayons de le comprendre pour lui survivre), il ne fait nul doute que les bonnes idées de traitement de Day 5 lui donneront un cachet unique. A cela s’ajoute une excellente réalisation, et des acteurs méconnus mais d’une justesse impeccable, et ça donne vraiment une série pleine de promesses.
Evidemment, l’inconvénient, c’est que je ne suis pas certaine de réussir à dormir ce soir.