Ensemble, c’est (pas) tout

2 mai 2016 à 19:00

Depuis que j’ai découvert cette statistique (par le biais de Sahar Baghery, si je me souviens bien), je ne parviens pas à l’oublier : près d’un tiers des séries produites au Danemark seraient des comédies. Je ne m’en remets décidément pas. A une époque où pourtant nous sommes supposés être en position de nous goinfrer de séries scandinaves, combien de titres parmi ce tiers de séries danoises nous parviennent ?
Eh bien… au moins une pendant Séries Mania, en fait : Bedre skilt end aldrig s’est invitée dans le marathon comédies du tout dernier jour du festival. Adieu, meurtres, disparitions, overdoses, et autres joyeusetés : Bedre skilt end aldrig interroge le thème du divorce. Mais un divorce volontairement décrit comme moderne, loin des clichés du genre.

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Martin et Line vivent une mauvaise passe ; le problème c’est que cette mauvaise passe dure depuis des mois. Elle est devenue leur nouvelle normalité et, d’un commun accord, ils décident d’arrêter les frais.
La conversation a lieu sur un coin d’oreiller, mais elle est le contraire d’intime. Excitée, Line a une fois de plus essayé d’initier une partie de jambes en l’air avec son mari, mais Martin n’est pas intéressé, comme si souvent. Frustrée, dépitée, mais consciente aussi de son ras-le-bol plus général, Line lâche un « je pense qu’on doit se séparer » rencontré par un silence. Elle insiste et Martin, lui tournant le dos et avec une voix monocorde, lui répond qu’il l’a entendue la première fois. C’est toute l’émotion que suscite pareille annonce, preuve que le couple a vraiment atteint le bout du bout.

Je vous accorde que là, comme ça, tout de suite, Bedre skilt end aldrig donne moyennement envie de se taper sur les cuisses. C’est vrai pour la majorité de l’épisode, en fait, car la série n’a pas exactement envie de donner dans le gag. Au lieu de ça, elle va s’enfoncer dans une situation inconfortable et la rendre plus malaisante encore : Martin et Line décident d’organiser un grand déjeuner pendant lequel ils annonceront la nouvelle à leurs proches. Les parents et la sœur de Lisa, ainsi que la meilleure amie de celle-ci qui est mariée au meilleur pote de Martin, sont donc invités ; les parents de Martin habitent au loin et, qui plus est, les relations avec eux ne sont pas au beau fixe. Le jour dit, tout le monde se retrouve à table… mais avant que Line et Martin ne puissent annoncer la nouvelle, ils vont assister à toutes sortes de témoignages indirects tendant à leur prouver qu’ils font la pire erreur de leur vie en se séparant.
Ainsi leurs meilleurs amis forment un couple fusionnel qui passe son temps à témoigner de son amour (et sa vigueur sexuelle) en toutes circonstances, même en changeant la couche du petit dernier. Maja, la sœur de Line, est quant à elle une célibataire (pas par choix !) qui souffre de la solitude. Quant à Leif, le vieillard grabataire qui habitait jadis la maison de Martin et Line, il continue de débarquer sans prévenir pour apporter des fleurs à sa femme… qui est morte depuis des années. Chérissez ce que vous avez, scande implicitement tout l’entourage de nos deux héros, c’est trop précieux pour être gâché.

Tout l’enjeu de Bedre skilt end aldrig dans ce premier épisode est au contraire de réaffirmer la détermination de Line et Martin. Quelque part cette séparation est plus compliquée pour leur entourage que pour eux-mêmes.
Même après l’annonce, nos deux protagonistes continuent de réfléchir à ce qui se passe. Clairement, on n’est pas dans la mise en scène d’un coup de tête, ou d’un simple désamour : c’est tout un projet de vie que les héros de Bedre skilt end aldrig veulent s’autoriser à imaginer à nouveau. Même si ça fait peur. Même s’il n’y a pas de référent autour d’eux. Même si la transition sera chaotique.
Chaotique, elle ne peut l’être puisqu’en attendant de pouvoir vendre leur maison (pour l’instant l’expertise immobilière les met en position déficitaire), ils vont continuer à vivre ensemble. Une bonne occasion de continuer d’éduquer leurs enfants côte-à-côte. D’ailleurs ils ont trouvé un système parfait : une semaine sur deux, ils vont être en charge des enfants et occuper la chambre parentale ; pendant sa semaine de « repos », chaque conjoint pourra alors mener une vie de célibataire dans une pièce aménagée à la cave.

Non, Bedre skilt end aldrig n’est pas hilarante dans ce premier épisode. Elle est bien trop occupée à poser un contexte riche, des personnages multidimensionnels, et créer un réseau de relations et dynamiques qui lui serviront plus tard. Car l’air de rien, ces éléments regorgent de trouvailles en or pour la suite : quand j’avais ajouté Bedre skilt end aldrig au Pilot Watch, j’étais tombée sur une bande-annonce qui était en fait le début du 2e épisode, un extrait pendant lequel l’un des deux conjoints surprend l’autre en train de se masturber vigoureusement pendant sa semaine de « congés » à la cave ; et je vous assure que cette scène est géniale, et drôle, et tout ce qu’on veut qu’une comédie soit. Mais Bedre skilt end aldrig ne saurait commencer par là, parce qu’elle ne veut pas simplement faire rire, ni souligner l’absurde, ni créer des moments d’embarras : elle veut aussi parler de quelque chose de tangible, et de profondément humain. Vous savez comme moi que c’est la meilleure façon de me faire accrocher à une comédie/dramédie !
Bedre skilt end aldrig explore les différentes options qui s’offrent à nous, aujourd’hui, en matière de schémas sur la famille et les relations amoureuses : mariage, célibat, divorce… et toutes les nuances intermédiaires. Cela fait plus d’un demi-siècle que le divorce progresse dans les sociétés occidentales, et il semble parfois que nous n’avons toujours pas réussi à construire un palette de références diverses auxquelles identifier nos parcours lorsque tout flanche, ou lorsque tout ne marche pas comme prévu, ou pire, quand le mariage tient et qu’au final on n’a jamais pensé à ce dont il aurait l’air sur nos vieux jours. Face à toutes les séries si anxieuses à l’idée de trouver un partenaire amoureux à leur personnage central, Bedre skilt end aldrig me semble poser les bonnes questions, même si c’est dans un certain inconfort.

Près d’un tiers des séries danoises sont des comédies. Et pour l’instant, hors festival, aucune ne nous parvient. Espérons que l’acuité de Bedre skilt end aldrig lui permette de devenir l’exception qui confirme la règle, parce que j’ai vraiment aimé ce moment sincère passé avec Line et Martin…

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Et pour ceux qui manquent cruellement de lecture…

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