Bonum vinum laetificat cor telephagis

23 avril 2016 à 21:00

Chose promise, chose due : parlons de Weinberg ! La série allemande est en effet proposée à Séries Mania à une poignée d’élus dotés d’une accréditation, et j’avais dit qu’on en parlerait histoire de changer un peu des séries allemandes historiques, qui me semble surreprésentées sur nos écrans (en festival ou en diffusion française).
Weinberg, pourtant, aurait eu sa place pendant cette 7e édition de Séries Mania : la série s’inscrit parfaitement dans la vague de thrillers de cette année ; elle fait plutôt bien la paire avec The Kettering Incident, car toutes les deux partagent un sens de l’ambiance aiguisé (la forêt moite de l’Australienne étant remplacée par les vignes brumeuses de l’Allemande), et reposent sur les failles cognitives de leurs héros respectifs.

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John Fox s’est réveillé dans les vignes de Kaltenzell an der Ahr, une bourgade à flanc de colline, au bord des vignes. Le réveil est pour le moins angoissant, puisqu’au-dessus de lui pend, accroché aux fils de fer qui maintiennent les cèpes, le cadavre d’une jeune femme exsangue, dotée d’une couronne. Paniqué, il se rue donc à la recherche d’un peu d’aide, et trouve dans une auberge quelques locaux qui tentent une battue pour aller chercher le cadavre ; hélas, de cadavre il n’y a point. Ou plus.
Et d’ailleurs, John Fox n’est pas vraiment John Fox : c’est un homme qui a perdu la mémoire, et qui dans l’urgence, au moment de se présenter à l’aubergiste, s’est bricolé un nom à la va-vite. Cela ne fait qu’ajouter à sa confusion.
Complètement déboussolé après avoir vu une jeune femme morte, puis l’avoir perdue (!), John Fox décide de rester à Kaltenzell pour tenter de comprendre ce qui lui arrive, et, d’une façon générale, ce qui est en train de se passer.

Les évènements et rencontres étranges vont se succéder. Il va par exemple découvrir que quelqu’un semble le connaître : l’épouse de l’aubergiste se glisse dans sa chambre à la nuit tombée, et passe la nuit avec lui (John n’a pas trop les moyens de lui poser des questions pendant ce temps, et le mystère reste entier). Il s’aperçoit également que la jeune femme qu’il a vue dans la vigne n’est autre que la fille d’un agriculteur viticole local sur le point de revendre son exploitation, ce qui attise les convoitises ; la jeune femme répond au nom de Sophia et cette année, elle a été choisie pour devenir la 111e « Reine du Vin ». Un titre assorti… d’une couronne. Au moins John n’a-t-il pas tout imaginé, mais cela n’a pour le moment pas beaucoup de sens quand même puisqu’elle est bien vivante.
Alors que les surprises continuent de le décontenancer, John Fox décide de ne pas avancer seul dans le brouillard de sa tête : il s’adresse à une psy à la retraite, le Dr Wieland, avec laquelle il espère comprendre où sont passés ses souvenirs, et faire sens de ce dont il croit avec été le témoin.

Weinberg possède de grandes qualités dans ce premier épisode. Son ambiance et son esthétisme jouent vraiment en sa faveur ; en outre, le village de Kaltenzell offre des prises de vue assez rafraîchissantes, avec ses petites ruelles presqu’entièrement couvertes de pierre et ses vallons viticoles brumeux. On sent que même si la tendance scandinave n’est pas loin, quelque chose d’unique, de presque « typiquement » allemand, j’ai envie de dire, a présidé aux choix visuels. Et ça fonctionne pleinement.

Il y a aussi le fait que progressivement, le premier épisode de Weinberg élargisse ses portraits : au-delà de John Fox, on découvre l’envahissant aubergiste et sa femme, la riche famille Donatius et leur fils Adrian qui s’est enfermé dans le mutisme, les Finck qui semblent sans cesse pris à la gorge, et même un curé qui essaye de s’acclimater à la ville (j’ai cru comprendre qu’il était vietnamien, en tous cas il est clairement étranger et ça n’a échappé à absolument personne, on le traite vraiment comme tel). Ces portraits font que l’intrigue de Weinberg, bien que vécue en grande partie du point de vue de John, prend des airs d’ensemble drama ; on a, en outre, la possibilité d’atteindre un certain degré d’omniscience (relatif, certes : il faut préserver le mystère !) qui évite d’être autant dans le flou que le héros, et de gagner une vue d’ensemble des dynamiques, qu’il n’a pas encore saisies.
Il existe, en outre, dans cette collection de profils, du potentiel pour des intrigues intéressantes et originales ; en particulier, le curé m’est apparu comme un personnage intéressant. Il est clairement en position de faiblesse à la fois de part son arrivée récente (il connaît mal l’Allemand et du coup, pendant des séquences de confession, on le voit utiliser un traducteur automatique pour comprendre certains mots), mais aussi parce qu’en tant qu’unique étranger de Kaltenzell, il est clairement un outsider (toute une scène est dédiée à voir un groupe de jeunes cons se moquer de lui). Cela ne l’empêche nullement d’être d’une grande intelligence, bien-sûr, et son intuition sera démontrée. Il lit très bien ses interlocuteurs, et plus qu’une qualité nécessaire à sa survie dans le village, cela en fait un personnage capable de raconter des histoires à plusieurs niveaux. Sans compter que si John Fox avait la bonne idée de s’en rapprocher, cela aiderait un peu.
Outre ce racisme désinvolte, notre padre occupe aussi une place essentielle dans un bled paumé où la communauté est très fervente, et où l’imagerie catholique occupe une grande place… mais où la foi est considérée comme obsolète par au moins une partie de la nouvelle génération de villageois. C’est d’ailleurs ce qu’une scène du premier épisode s’ingénie à décrire (avec le concours du toujours fascinant acteur Maximilian Mauff, vu dans Sense8), et finalement on sent bien qu’il y a un discours de fond qui ne demande qu’à être développé au fil de Weinberg.

Il y a tout de même quelques mauvaises nouvelles : d’abord, quelques facilités et incohérences, qui sans être totalement insupportables, retirent quand même de la subtilité au premier épisode. Par exemple lorsque John Fox consulte pour la première fois le Dr Wieland, celle-ci lui propose, en bonne professionnelle, d’aller tout de suite à l’hôpital pour se faire examiner : une perte de mémoire ne peut être anodin, sans compter qu’il s’est réveillé avec une plaie à la tête. Mais John refuse car, je cite presque mot pour mot, il veut « découvrir ce qui se passe ici ». Pas très cohérent, même pour un type qui s’est pris un méchant coup sur le crâne. Est-il vraiment si important de comprendre ce qui se trame dans un patelin inconnu peuplé de gens rarement accueillants ? La motivation est fragile…
Ensuite, je suis un peu gênée le fait que quelque chose dans Weinberg m’a donné l’impression d’être moins dans une série, et plutôt dans une version live de Silent Hill. Ce n’est pas tellement un inconvénient dans l’absolu, mais le fait que les scènes se succèdent sur un modèle récurrent (John Fox parle à quelqu’un, tire autant de renseignements qu’il le peut sans trahir ses propres lacunes, repart explorer le coin, et ainsi de suite) m’a donné l’impression que j’étais simplement en train d’appuyer sur le bouton le bouton A pour parler à un NPC, puis un autre, puis un autre.

Quant à la conclusion du premier épisode, je pense qu’elle voulait être un cliffhanger haletant, et au lieu de ça, je me suis juste dit que je n’avais pas tout compris. Une nuance de taille qui prouve que la démarche de Weinberg n’est pas toujours très claire, notamment sur la place potentielle du fantastique dans son univers.
Pour être fixée, il serait évidemment plus simple d’être en mesure de voir la suite de Weinberg ; le 2e épisode est disponible pour les accrédités, seulement je n’ai pas du tout de temps à lui consacrer si je veux regarder un maximum de séries différentes pendant le festival. Seule une diffusion française semble pouvoir me tirer de ce mauvais pas ! [insérer ici un clin d’œil appuyé à toute chaîne bien intentionnée] En l’absence il faudra probablement que je me fasse violence, et que je regarde la suite de la série sans sous-titres…

Une chose est claire, en tous cas : le niveau de production de Weinberg est largement supérieur à celui d’Add a Friend, première série de la chaîne payante allemande TNT (…et première série produite par la télévision payante allemande, tout court). L’effort est visible et ça augure de plein de bonnes choses pour la suite (en l’occurrence le projet Vier Blocks, prévu pour 2017 et qui s’intéressera à une famille immigrée vivant à Neukölln, le quartier de Berlin surnommé « petit Istambul »). D’ailleurs ce n’est pas pour rien que Weinberg a reçu un prix spécial lors du Grimme-Preis le mois dernier.
Tout cela fait hautement plaisir à observer, dans un paysage allemand où jusque récemment, c’était la télévision « hertzienne » (bon le terme est obsolète à l’heure du numérique, mais vous voyez l’idée) traditionnelle qui produisait l’essentiel de la fiction, avec quasiment aucune concurrence. Ce qui me rappelle que récemment, Sky Deutschland a également annoncé un investissement massif dans la fiction originale (s’inscrivant dans la même démarche que Sky Italia, donc). On assiste à un éveil plein de promesses outre-Rhin !

Vous comprendrez donc que je redouble de vigueur à exhorter les festivals, diffuseurs et distributeurs français divers, sans parler des spectateurs eux-mêmes, à s’ouvrir à la diversité de la fiction allemande

par

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Et pour ceux qui manquent cruellement de lecture…

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