De Séries Mania vous connaissez sans doute les canapés violets, la table ronde d’Allociné, les conférences publiques, les projections de séries, la remise des prix… et c’est à peu près tout. Mais pendant que vous courez d’une projection à l’autre, les professionnels de la télévision profitent du festival pour se livrer à toutes sortes de rencontres, qu’il s’agisse du Forum de Co-Production européen, des Assises européennes des Séries TV, ou encore des conférences organisées autour de thèmes précis.
Cette année, l’un de ces thèmes était celui des séries africaines. Je me suis donc glissée dans la salle pour vous faire un compte-rendu des interventions…
En préambule, une précision toutefois : il ne s’agissait pas de couvrir toutes les réalités de la télévision africaine. L’évènement s’est en effet déroulé principalement en français, avec des professionnels pour la plupart francophones (et très souvent européens). L’exercice a ses limites car certains marchés ont à peine été mentionnés (à l’instar de l’Afrique du Sud). Cependant, il s’agissait de la seule et unique séance de cette 7e édition à l’occasion de laquelle des séries du continent africain étaient évoquées, et il est donc hors de question de faire l’impasse dessus !
Le panel réunissait donc côte-à-côte : Cécile Gérardin, responsable production/fiction de Canal+ Overseas ; Alain Modot, directeur général de DIFFA ; Marie Lora-Mungai, présidente de Restless Global ; Andrew Osayemi, producteur de Meet the Adebanjos ; et enfin Hélène Bararuzunza et Will Duraffourg, scénaristes de C’est la vie.
Quelques précisions d’abord sur Canal+ Overseas : il s’agit de l’entité qui supervise les activités hors du groupe Canal+ en France métropolitaine, c’est-à-dire que sont concernés les départements d’Outre-Mer, l’Afrique, mais aussi la Pologne (Canal+ Overseas était présent dans plusieurs autres pays, dont l’Espagne, dont le groupe s’est depuis retiré). Cela concerne en tout 5 millions d’abonnés, dont 2 millions en Afrique… sachant qu’il y a 18 mois, il n’y avait qu’1 million d’abonnés africains ! Ce changement s’explique par une politique active en 2015 pour implanter la marque sur le territoire africain. Ainsi l’an dernier, les tarifs du bouquet Canal+ en Afrique (implanté depuis une vingtaine d’années) a été modifié, accompagnant la création d’une nouvelle chaîne a été créée, nommée A+ et dont le siège est à Abidjan, en Côte d’Ivoire.
Les programmes de Canal+ en Afrique, c’est à 80% une grille constituée d’émissions venant de Canal+ en France, avec quelques contenus originaux qui jusque là n’étaient pas des séries. A+ en revanche, se targue d’une politique entièrement tournée vers les contenus africains, tous genres confondus.
Les séries diffusées sur A+ sont pour le moment des acquisitions venant de plusieurs pays du continent (y compris des séries d’Afrique anglophones et doublées en Français, à l’instar de Skeem Saam ou An African City). En revanche, depuis juin 2015, A+ planche sur le développement de séries originales africaines, en particulier des séries de 26 épisodes de 26 minutes.
DIFFA est un distributeur regroupant 47 producteurs répartis dans 25 pays, et qui propose aux diffuseurs africains un catalogue de productions de tout le continent. En particulier, la société gère plus de 450 heures de fiction télévisée, aussi bien en français qu’en anglais voire en portugais (le catalogue inclut également des magazines, des documentaires, et même de l’animation). Parmi elles, on compte le drama médical C’est la vie, mais aussi la série historique Les Rois de Ségou, le drame de guerre Petit Sergent, ou le teen drama TEENAGER. Alain Modot précise que sur la vente d’un contenu par DIFFA, 70% est reversé au producteur.
L’objectif premier de DIFFA est de faciliter la circulation des programmes sur tout le continent, et de créer un marché international de la fiction africaine, lequel, jusque récemment, était quasi-inexistant. En parallèle, la compagnie accompagne les producteurs sur leurs nouveaux projets, sert d’interface avec les diffuseurs, et assure une partie de l’angle promotionnel notamment en festival. La problématique essentielle de DIFFA actuellement est d’augmenter la qualité des productions, une tâche difficile sans les financements adéquats, lesquels n’existent pas sans un marché international actif. Vous comprenez donc l’importance pour DIFFA de créer un cercle vertueux…
C’est un parcours atypique que celui d’Andrew Oyasemi : il est le producteur de la toute première série africaine produite au Royaume-Uni, Meet the Adebanjos. Basée à Londres, la société MTA Productions a été créée en 2010 et n’a pour le moment produit que deux séries anglo-nigérianes : celle-ci, et le sitcom Tboy Show.
…Et pour cause : le financement a dû se faire de façon totalement autonome. Une prise de risques énorme ! Le but de MTA est de produire un contenu africain essentiellement destiné aux Africains vivant hors du continent, mais la rentabilité d’un tel projet ne s’envisage pas sans une vente également à des chaînes africaines. Ce qui soulève forcément un dilemme : Meet the Adebanjos devait à la fois satisfaire la diaspora et le public africain, qui n’ont pas nécessairement les mêmes références télévisuelles ; il s’agit donc de produire une série dans un contexte particulier, mais qui doive être capable de voyager.
Restless Global, le studio fondé par Marie Lora-Mungai et Tendeka Matatu, s’oriente plutôt vers le développement de programmes. Le parcours de la Française Marie Lora-Mungai est atypique : d’abord journaliste TV, elle est arrivée au Kenya voilà 10 ans. Depuis sa reconversion, sa première « fiction » produite est en fait un équivalent local des Guignols de l’Info appelé The XYZ Show, à partir de 2009.
A l’époque, le fonctionnement des chaînes africaines était bien souvent le suivant : il fallait payer pour être diffusé ; cela impliquait pour les producteurs de financer eux-mêmes leurs projets, souvent avec l’aide de sponsors (par la biais de bartering notamment) ou d’organisations internationales. Depuis 2 à 3 ans, cette situation a évolué et un marché de la production originale a pu émerger ; si le bartering existe toujours sur certains marchés, comme par exemple le Nigeria, cette évolution a eu des effets favorables et a permis aux projets de bénéficier de véritables budgets de production, bien qu’encore faibles comparativement à d’autres régions. A l’heure actuelle, sur le marché panafricain, la plupart des séries sont produites avec 5000 à 20000 dollars US par épisode… Restless Global se tourne également hors de l’Afrique pour améliorer les budgets, et vise les co-productions internationales ; cela implique généralement de concevoir des fictions africaines qui répondent à des attentes de qualité différentes. Enfin, Restless Global inclut une agence artistique qui travaille à créer un vivier de talents (acteurs, mais aussi scénaristes et réalisateurs), avec lesquels la compagnie peut ensuite envisager de développer des concepts. La démarche essentiel de la société est à l’heure actuelle d’améliorer la qualité de production grâce à ces divers outils.
Les scénaristes de C’est la vie nous ont brièvement fait découvrir la série par le biais d’une bande-annonce, où l’on pouvait assister à la fois à des intrigues en milieu médical, et à des scènes se passant en milieu domestique. La série a en effet pour préoccupation centrale la santé des femmes et des enfants. Originalité : C’est la vie se déroule dans un quartier imaginaire d’un pays imaginaire ; bien que recherchant une forme d’authenticité, la série n’est donc pas spécifiquement pensée pour les Sénégalais.
Co-créatrice de la série voilà 3 ans et désormais co-scénariste, Hélène Bararuzunza n’est pas showrunner : ce poste est occupé par les deux producteurs de la série. Un système un peu particulier, mais assez logique étant donné le mode de production de la série : les arcs sont définis par les producteurs, et l’équipe d’auteurs se répartit ensuite l’écriture en plusieurs ateliers responsables de chacun 3 épisodes. Procédé nécessaire lorsqu’il faut livrer 26 épisodes en à peine 8 mois ! Pendant la première saison, l’écriture, le tournage et le montage pouvaient parfois se dérouler simultanément (l’équipe de C’est la vie a pour sa seconde saison revu ses ambitions à la baisse, diminuant par exemple le nombre de séquences par épisode ; en outre un véritable décor en studio est construit spécialement pour cette nouvelle salve d’épisodes, une sorte de « Dakarwood » pour reprend les termes de Hélène Bararuzunza).
Au-delà de ces présentations des différentes entités présentes, et des réalités qu’elles rencontrent sur le marché africain, les intervenants ont également échangé leurs expériences sur la réalité de la télévision africaine, et leurs points de vue sur des questions plus spécifiques.
L’équipe de C’est la vie précise que c’est désormais le développement de séries de niche qui permet de développer l’intérêt international autour des séries produites en Afrique. A ce titre, les scénaristes citent un projet de leur producteur Charles « Charly » Sow, qui développe un polar politique nigérien se déroulant pendant des élections, et traitant de corruption. Pour C’est la vie, précisent-ils, c’est avant tout la réalité de ce qui est montré (y compris dans un contexte imaginaire) qui fait la différence.
Pour Marie Lora-Mungai, il s’agit avant tout de répondre à une demande de qualité. A ce titre, l’accessibilité croissante de la HD à un prix abordable, et une amélioration des équipements, change tout ; les efforts doivent pouvoir être poursuivis. Il y a en outre une demande immense de la part des diffuseurs, qui ne demande qu’à être nourrie ; l’inconvénient est pour le moment que cela laisse peut de temps pour développer les projets et que la qualité de contenus produits trop rapidement en pâtit. Marie Lora-Mungai note que cet aspect est progressivement en train d’évoluer.
Marie Lora-Mungai résume les priorités locales à deux grandes attentes : d’une part une demande d’authenticité (parfois même indifféremment des production values), et d’autre part le souhait de voir émerger une fiction africaine qui soit équivalente aux fictions importées par exemple des USA (Marie Lora-Mungai citait Game of Thrones et Scandal comme modèles enthousiasmants).
Pour Andrew Osayemi, le défi qui se pose à MTA Productions est d’anticiper les comparaisons du public de la diaspora africaine en Grande-Bretagne, habitué aux standards de productions britanniques. Mais il faut en même temps penser à permettre à la série de voyager, et souvent pour des chaînes qui n’ont pas un grand budget et ne peuvent donc pas acheter une série trop chère. Le danger étant alors de dépenser plus dans la qualité mais d’être payé moins… voire pas assez. Il faut donc trouver un équilibre afin de faire plus que couvrir l’investissement initial.
A+ en Afrique a passé énormément de temps sur le développement d’une série policière de 20 épisodes de 26 minutes ; certains genres sont plus faciles (le policier) et d’autres beaucoup moins (la comédie). Beaucoup de temps a été investi dans l »amélioration du script, et les auteurs ont fait des recherches auprès de policiers ivoiriens. 50 producteurs ont été reçus par les responsables d’A+, tous expérimentés ; c’est ce qui a conduit à la commande de Ma Grande Famille, imaginée par la scénariste Akissi Delta, déjà créatrice de la série ivoirienne à succès Ma Famille. Afin de procéder à une montée en gamme des productions (une série pour A+ est une Création Originale du groupe Canal+ après tout), la chaîne a également organisé un gigantesque appel à projets en partenariat avec le CFI (l’agence française de coopération médias). Sur les 100 dossiers présentés, 12 projets ont été retenus ; un séminaire de formation a été organisé pour ces 12 équipes. 8 de ces séries vont désormais passer à la phase de pilote pour des formats humoristiques courts (l’une des influences étant le SAV des Émissions d’Omar et Fred). La recherche de talents et leur formation est donc essentielle.
Alain Modot remarque qu’il y a encore 5 ou 6 ans, les séries étaient encore bien souvent produites dans des conditions minimales (son en prise directe, image en 4/3, jeu outrancier dialogues parfois entièrement improvisés…) et que dans ce cas, même quand le sujet était bon, le résultat était médiocre sur un plan qualitatif. C’est bien souvent le cliché de la série africaine. En outre, les producteurs créaient des séries pour un marché uniquement national, sans envisager une commercialisation dans d’autres pays (le distributeur affirme avoir rencontré au moins un producteur qui avait tout simplement jeté la version internationale de sa série pensant qu’elle n’aurait aucune utilité). Il fallait donc à la fois créer un système de financement, et pousser à une professionnalisation des producteurs. L’objectif d’Alain Modot est de co-produire un projet avec une chaîne européenne ; un objectif d’autant plus pressant que désormais les Chinois entrent sur le marché africain, et qu’un grand nombre de soaps indiens sont fournis gratuitement aux chaînes les plus pauvres (grâce au recours à des sponsors).
Alain Modot observe qu’il y a encore un manque de véritables producteurs : historiquement, les réalisateurs africains ont tendance à s’improviser producteurs. Or le producteur est une pièce maîtresse de la chaîne de financement. Avec la professionnalisation des producteurs, le financement pourrait évoluer. Pour le moment, il dépend encore souvent de chaînes de l’hémisphère Nord, de fonds nationaux, et en très petite proportion, de certaines chaînes publiques telle que RTI en Côte d’Ivoire. La maîtrise du budget reste un élément essentiel pour qu’un projet arrive à son terme.
Aux yeux d’Andrew Osayemi, « la réputation fait tout ». C’est en se faisant connaître qu’on peut obtenir des financements ; c’est la raison pour laquelle la première saison de Meet the Adebanjos a été financée entièrement avant d’être proposée à la vente aux chaînes africaines. Ce n’est qu’ensuite que des diffuseurs (comme M-Net en Afrique du Sud, mais aussi Canal+ Afrique) ont investi. Il faut avoir une approche en tant que studio plutôt que série par série, et privilégier la création de relations professionnelles sur le long terme.
Marie Lora-Mungai remarque que pour chaque nouveau projet, le même casse-tête se pose à l’identique : où trouver les financements pour produire ? Une approche peut être de se pencher sur les investissements venus d’Europe : de nombreuses organisations cherchent à financer des projets pédagogiques, par exemple autour de la promotion de la démocratie, et un projet peut alors s’inscrire dans le cahier des charges.
De nouvelles expériences sont à l’horizon selon Marie Lora-Mungai, qui note que la distribution de contenus mobiles n’est plus très loin (elle existe déjà pour la distribution de sons et de textes ; Restless Global commercialise par exemple une version audio de The XYZ Show), et des opérateurs africains commencent des tests en matière de distribution video. Il n’existe pas encore de modèle, cependant, et le coût de la data reste un obstacle, mais ce peut être une piste future.
Alain Modot émet le souhait de pousser les chaînes publiques à mettre en commun leurs moyens pour travailler sur des co-productions (il cite l’exemple de mini-séries mais aussi pourquoi pas de documentaires). Il convient que l’exercice n’est pas toujours aisé en raison de questions politiques.
Alain Modot pense que l’une des pistes à suivre pour développer la fiction africaine est de s’intéresser à l’adaptation de romans écrits par des auteurs africains, et y travaille d’ailleurs.
Enfin, tous les intervenants insistent sur l’importance de mettre en avant des talents africains (même quand les producteurs, diffuseurs et/ou distributeurs sont européens), en particulier au niveau de l’écriture. C’est avant tout une question de légitimité aux yeux de Cécile Gérardin qui précise qu’elle est arrivée au sein de Canal+ Overseas en Afrique en juin 2015, et qu’auparavant elle n’avait aucune connaissance de l’Afrique ; elle estime cependant que ce regard extérieur lui permet d’aider les projets africains à se développer, car elle pose, je cite, « les bonnes questions ».
Espérons maintenant que cette discussion axée autour de l’intérêt des séries africaines pour les partenaires européens donnera des idées à des diffuseurs… ou à défaut, au moins un festival.