L’an dernier, Deutschland 83 insistait sur la fracture entre l’Est et l’Ouest dans l’Allemagne des années 80 ; cette année une bonne partie de l’intrigue de Mitten in Deutschland: NSU est ancrée dans les nuances complexes de la Réunification… et je dois à la vérité de dire que cette proximité thématique m’avait un peu agacée initialement, parce que la télévision allemande (comme toutes les télévisions) a plus à offrir que ce rabâchage, encore et toujours, d’une certaine portion de l’Histoire allemande.
La téléphage curieuse en moi aimerait qu’on parle aussi de l’Allemagne au présent sur nos écrans, qu’on laisse nos propres voisins nous parler d’eux, tels qu’ils sont maintenant (ou tels qu’au moins leur télévision les perçoit, disons). C’était quand la dernière fois que vous avez vu une série allemande se déroulant au 21e siècle ? Celles que j’ai vues par mes propres moyens n’ont, à ma connaissance, jamais été sous-titrées. Et il y a la liste (l’interminaaaable liste) des séries allemandes que j’ai vraiment envie de découvrir. Elles permettraient de regarder des séries comme de la télévision, et non de la télévision allemande.
Voilà ce qui m’animait aussi quand j’ai réservé mon billet pour la projection de Mitten in Deutschland: NSU. Cependant, son visionnage m’a fait réfléchir à nouveau à tout cela, et j’en ai tiré la conclusion que je ne veux surtout pas qu’on s’intéresse aux séries policières, dramatiques, comiques, et ainsi de suite, de l’Allemagne, au détriment de sa fiction historique.
Parce que nous sommes profondément ignorants de beaucoup de ses évènements, dynamiques et nuances, et que la fiction colmate une partie des brèches laissées par une éducation scolaire trop franco-centrée. C’est, après tout, aussi à cela que sert la fiction, non ? Adopter le point de vue des spectateurs d’ailleurs lorsqu’ils tentent de digérer leur histoire et leurs traumatismes, et essayer d’en apprendre de l’intérieur sur le vécu d’une autre contrée. Voilà une vocation que ne se donne jamais l’éducation à l’Histoire qu’on nous donne et que la fiction, par sa dimension divertissante, parvient en partie à faire. Alors : de façon partielle, partiale, faillible et limitée ; bien-sûr. Mais ça reste mieux avec que sans.
Mitten in Deutschland: NSU m’a donc convaincue que nous avons besoin de voir des séries comme Mitten in Deutschland, et bien plus. D’accord : regardons Mitten in Deutschland: NSU. Regardons Deutschland 83. Regardons Unsere Mütter, unsere Väter (alias Generation War). Importons aussi Familie Braun dans la foulée. Quand elle sera prête, importons Bonn à son tour. Et laissons TFHein mettre ses billes dans la mini-série Hitler (mais juste cette fois parce que vraiment on est conciliants).
Ils sont nos amis aujourd’hui, écoutons-les parler dans leurs propres mots des jours passés : nous en savons trop peu pour laisser ces occasions passer d’explorer l’Histoire de nos voisins.
Malgré cette épiphanie, je persiste toutefois à penser qu’on devrait aussi laisser des séries allemandes nous parler d’histoires actuelles ; pas forcément liées au National Socialisme, pas forcément liées à la séparation Est/Ouest, pas forcément liées au Néo-nazisme.
Laissons les Allemands qui apparaissent sur nos écrans être, et pas seulement avoir été.
En fait comme toujours, je veux tout. Je veux avoir du choix (…et me réserver la possibilité de ne pas avoir à choisir !). Je veux embrasser la fiction de tout un pays. J’ai envie qu’on soit suffisamment curieux pour tenter ses séries les plus originales (Altes Geld, combien je te désire !) et ses séries un peu plus conventionnelles (mettons… Morgen ‘hör ich auf). Je souhaite qu’on soit capables de regarder ses drames sociaux (j’ai toujours à ce jour à une pensée émue à l’idée que je ne verrai jamais Alles muss raus), ses period dramas plus « innocents » (Ku’damm 56 !), ou ses remakes de séries (pourquoi pas Block B vu que, pour autant que je sache, Wentworth n’est pas diffusée chez nous de toute façon ?). Puisqu’il ne nous est plus possible d’ignorer que la fiction allemande est de qualité, alors n’ignorons pas sa diversité !
L’an dernier j’étais par exemple si heureuse devant Schuld. Vous vous rappelez de la review de Schuld ? Pourquoi personne n’a acheté Schuld ! Cette année j’espère avoir le temps de regarder, en coulisses, le pilote de Weinberg proposé aux professionnels et journalistes. Dés que j’aurai réussi, je viendrai au rapport : l’opportunité est trop rare.
C’est un problème plus large qui m’est propre, non seulement dans la situation particulière d’un festival mais aussi par ailleurs. J’aimerais qu’on importe autant de séries de chaque pays, qu’on en importe des États-Unis ; pour qu’on ait le même choix des possibles. Pour qu’on puisse effleurer la diversité des expériences et réalités. Et aussi, comme dans le cas de l’Allemagne, pour qu’on cesse d’attendre une sorte de repentance implicite. N’enfermons pas les Allemands dans une période de leur longue histoire, toute terrible soit-elle.
Il me semble infiniment dangereux de restreindre nos possibilités ; elles limitent, implicitement, notre perception. C’est de cela qu’il s’agit : c’est cette perception bridée par les rares séries historiques qui nous parviennent que je crains le plus. La fiction d’un pays ne devrait jamais conforter les stéréotypes, mais au contraire toujours nous enjoindre à les dépasser, disséquer les entrailles de leur complexité, fouiller les entrailles de ses diverses réalités. Nous enrichir de thèmes, d’idées, et d’opinions.
Ne vous méprenez pas : je sais que c’est compliqué. Je sais que ça peut même sembler effrayant, dans une certaine mesure. Mais j’ai depuis longtemps dépassé le stade où ce genre de considération entre encore en ligne de compte. Et j’espère faire de mon mieux pour en convaincre quiconque voudra bien m’écouter.