Séries Mania a toujours été un festival friand des thrillers d’espionnage ; c’est la série britannique London Spy qui en apporte une nouvelle preuve pendant ce premier weekend de projections.
Mais London Spy ne s’intéresse pas à une exploration de l’univers des espions depuis l’intérieur du système. C’est en fait un sacré défi que le premier épisode se lance là : l’exposition va faire mine d’ignorer totalement le nom-même de la série, pour nous offrir une romance mêlée de drame humain pendant l’essentiel de sa durée.
Danny Holt est un jeune Londonien comme il en existe tant, un peu désabusé, un peu fêtard, qui meuble ses nuits avec des sorties en boîte de nuit et des fêtes, et qui passe ses journées à… probablement pas grand’chose. Fumer et attendre que la nuit tombe, peut-être ? La nuit a l’air d’être vraiment sa scène. C’est ainsi qu’au sortir d’une nuit d’excès, au petit matin, il croise un jogger avec lequel, brièvement, il partage un moment intense. Il ne se passe pas grand’chose entre eux en définitive, mais Danny est envoûté immédiatement, et passe les jours suivants à essayer de retrouver le bel inconnu. Il n’est sûr de rien, mais il veut quand même tenter le coup.
Lorsqu’il le retrouve, l’inconnu se présente sous le nom de Joe et, ils commencent à apprendre à se connaître. Mais Joe est terriblement secret… à un tel point qu’il lui faudra du temps avant d’admettre que son véritable nom est Alex.
Même Alex ne raconte pas grand’chose sur qui il est, d’où il vient, ce qu’il fait. Il se contente de réponses rapides qui sont supposées couper court aux interrogations de Danny, mais qui semblent justement trop brèves, trop propres. Danny apprend à se contenter de certaines réponses, et à poser de nouvelles questions sur les sujets qui lui tiennent plus à cœur. Le premier épisode de London Spy est d’une perfection sans nom lorsqu’il s’agit de montrer comment les deux hommes s’apprivoisent tendrement. Alex s’ouvre progressivement aux demandes répétées d’ouverture émises par Danny, se forçant à lâcher de plus en plus de leste. La jeunesse impétueuse de Danny, d’ailleurs, est en partie forcée, car lui-même nourrit des choses plus lourdes qu’il met du temps à confesser.
Indubitablement, London Spy démarre comme une histoire s’intéressant avant tout à la façon dont deux personnes tentent d’entrer dans une relation et de créer une intimité nouvelle, qui m’a rappelé un mélange de mon épisode préféré de Looking et le fantastique webcomic 14 Nights (NSFW ; d’ailleurs Edward Holcroft ressemble même un peu physiquement à Lucian). L’épisode inaugural de London Spy superpose les scènes dans lesquelles Danny et Alex se parlent, se découvrent, se familiarisent, s’amadouent mutuellement. Ils sont dans leur bulle, non seulement parce que de plus en plus, il ne semble y avoir qu’eux au monde, mais aussi parce qu’elle est si fragile. Le reste du monde semblerait presque mis entre parenthèses.
C’est l’histoire que toutes les romcoms voudraient nous faire croire qu’elles racontent, et n’y parviennent presque jamais, certainement pas avec autant de finesse et de beauté qui plus est.
Invités à partager le point de vue de Danny sur la lente évolution de cette relation, nous pourrions presque louper… le reste. Il se passe peu de choses pour nous rappeler que la série s’appelle London Spy. Mais peu n’est pas rien. Alors qu’est-ce qui nous empêche de l’oublier ? C’est essentiellement là le travail de la réalisation qui souligne des regards qui s’attardent, faisant ainsi passer les silences pour des sous-entendus. L’obsession de la caméra pour les très gros plans et les plans serrés, comme si elle cherchait à attirer notre attention sur des détails à l’insu de l’intrigue elle-même, participe également à nous rappeler à plus de vigilance. On ne sait pas de quoi il faudrait vraiment se méfier. On ne sait pas vraiment à quoi il faudrait s’attendre. Par moments, on ne sait pas si ce n’est pas la paranoïa qui nous pousse à surinterpréter.
Après tout, il semble que London Spy souhaite procéder, en creux, au portrait d’un espion par les yeux de celui qui l’aime, bien que sans savoir qui il est. En nous interdisant d’oublier totalement que les choses se jouent au-delà de la seule relation entre Danny et Alex, le premier épisode attire aussi notre attention sur les sacrifices potentiels, sur les souffrances tues, sur les parcours déchirés de ceux qui servent leur pays dans l’ombre. Du moins, on peut l’imaginer. Beaucoup est laissé à notre seule interprétation, à ce stade, de toute façon.
Il faut attendre la toute fin de l’épisode pour que la romance cède la place. C’est un deuil difficile à faire, lorsque pour une fois on a trouvé une série qui le faisait de façon aussi précise et élégante. Mais c’est un deuil nécessaire pour acquérir une vision d’ensemble.
Ces quelques mois d’intimité bâtie maladroitement sont détruits en une révélation. Alex ne s’est jamais appelé Alex non plus. La belle parenthèse n’a jamais été qu’un mensonge. Qui est cet autre que Danny a aimé si puissamment ? Comment se relever de pareille trahison ? Comme Danny, le spectateur est prié d’abandonné son insouciance affectée, sa superficialité romantique, et ses idéaux personnels, pour prendre du recul et observer la situation dans son ensemble. Qu’a-t-on raté lorsque nous nous laissions embarquer dans l’histoire naissante entre Danny et Alex ? Quelles seront les conséquences de cette effroyable faiblesse, celle d’avoir mis les pieds dans un piège sans le savoir, sans avoir eu la présence d’esprit de se méfier assez ?
Le pire, c’est qu’il y a plus urgent. La parenthèse est refermée et il faut maintenant affronter la réalité. Et dans cette réalité, la confiance est devenue une denrée doublement plus rare…