Avec le démarrage de la deuxième saison d’Indian Summers ce dimanche sur les écrans britanniques, je me suis dit que j’allais quand même glisser un mot sur la première. Étant donné que j’ai eu la patience d’en venir à bout l’an dernier, autant que ce ne soit pas pour rien.
Certes le paragraphe précédent vous a dit à peu près tout ce que vous aviez besoin de savoir sur ce que je pense d’Indian Summers. Mais si vous vous vouliez lire des reviews brèves, vous ne seriez pas en train de me lire ! Alors direction la version longue.
Très franchement je soupçonne que ce soit le très affiché « plan quinquennal » d’Indian Summers qui soit à la source de mon problème. La série affichait avant même sa diffusion l’ambition de durer 5 saisons, chacune retraçant une phase différente de l’accession à l’indépendance de l’Inde, et il y a donc de fortes chances que la première salve d’épisodes n’ait été pensée que comme une longue exposition. Mais cette antichambre de la narration ressemble en réalité à un corridor interminable, certes formidablement bien décoré, mais où l’on s’use les pieds et la patience en essayant d’aller au bout, parce qu’il ne se passe tout simplement rien.
Évidemment j’exagère un peu. Il se passe des trucs. Ils sont juste totalement anecdotiques. Pire : certains sont, semble-t-il, d’importance à long terme, mais comme Indian Summers tient absolument à ménager ses effets, les choses piétinent sans vraiment créer beaucoup d’émotion. Et même si utiliser le terme « soapesque » de façon connotée négative semble être un cliché à ce stade, il faut quand même bien admettre que le terme qui s’impose, surtout quand on voit les atermoiements de la série à faire quelque chose de ses personnages centraux. En particulier, la romance qui a été mise en place dés le premier épisode entre Alice et Aafrin remplit tous les critères du genre, et elle va s’étirer interminablement avant de se concrétiser, parsemant ses épisodes d’hésitations, de pseudo-fausses pistes qui ne trompent personne, et d’obstacles se multipliant par l’opération du Saint Scénariste.
Or on le sait qu’elle va se concrétiser, cette romance ! On le sait, parce que sinon, quand les troubles politiques vont rendre l’atmosphère irrespirable pour les Britanniques de Simla, comment le couple biracial pourrait-il être cruellement déchiré par une tragédie qui le dépasse ? La prévisibilité de l’ensemble ne fait que rendre plus long le spectacle de ces hésitations.
Les objectifs d’Indian Summers sont établis de façon si claire qu’il est impossible de penser autrement. Tout pointe dans cette direction, notamment à travers les multiples démonstrations de racisme que la série met en scène, et qui nous préparent à l’impossibilité de la relation Alice/Aafrin dans le futur. J’ai dit « multiples » ? J’aurais pu dire « constantes ». Indian Summers fait dans un premier temps un plutôt bon travail lorsqu’il s’agit de montrer comment les Indiens sont pénalisés à tous les égards dans leur propre pays, mais à force de vouloir enfoncer le clou, la série finit par s’auto-caricaturer.
Elle a aussi une tendance très lourde à employer systématiquement les mêmes artifices pour répéter encore et encore la même démonstration : les Britanniques n’aiment pas les Indiens, même s’ils sont très contents de les exploiter à longueur de journée. Ce sera clarifié abondamment par certains outils. Un outil, en fait. Et cet outil, qui est incarné par Julie Walters, devient rapidement une « méchante » de soap caricaturale, toujours prête à faire la langue de vipère lorsqu’il s’agit de dire du mal d’un personnage de couleur (ou de figurants, ou simplement d’être raciste de façon « abstraite » sans raison apparente), et qui plus est répondant toujours présente dés lors qu’une opportunité se présente de faire du tort à quelqu’un (au besoin même à des blancs pourvu qu’ils soit considérés comme inférieurs). On ne sait même pas pourquoi elle le fait. On ne sait même pas ce que c’est supposé lui apporter. C’est juste la méchante, alors elle fait des trucs de méchante et elle dit des méchancetés. Et Walters semble péniblement consciente du rôle qui lui échoit, parce qu’elle est en pilote automatique pendant l’essentiel de la saison, et vas-y que je fais une moue vicieuse, et vas-y que je jette un regard noir en coin, et vas-y que je fais l’hypocrite devant tel ou tel puissant, et hop, retour dans la loge, on remet ça demain, même endroit, même heure, même chèque. C’est aussi pénible que c’est triste, d’autant que l’actrice figure en bonne place sur les posters promotionnels de la série et qu’au final son rôle est minimal aussi bien en termes de temps d’antenne que d’importance dans l’intrigue.
Le problème secondaire de ce personnage de « méchante » est qu’il a tendance à minimiser la façon dont le racisme est dépeint dans la série. D’un period drama attentif à parler d’un système colonial nocif, Indian Summers finit par devenir une série sur une femme raciste qui manipule son entourage blanc, avec des conséquences dramatiques pour les personnages de couleur. Dans 99% des cas, le mépris de race (et de classe, dans un second temps) devient son fait à elle, et par ricochet seulement celui des autres. Il semble difficile à croire qu’à elle seule, la gérante du Royal Simla Club ait réussi à instaurer un système raciste dans une colonie britannique, mais vous seriez quand même tentés de le penser à voir la série et ses simplifications fumeuses.
Tout n’est pas uniquement de sa faute, je vous rassure : Indian Summers se saborde d’autres façons, par exemple en se montrant très irrégulière dans ses intrigues.
Certaines, présentées dans le premier épisode comme importantes (si ce n’est quasiment aussi centrales que Alice/Aafrin), vont ainsi piétiner lamentablement en répétant, encore et encore, les éléments de l’exposition sans jamais construire dessus. D’autres vont tout simplement être écartées pendant plusieurs épisodes, sans aucune explication rationnelle si ce n’est que les scénaristes s’étaient lassés d’en parler. A la place, régulièrement, Indian Summers nous sort une intrigue comme un prestidigitateur tire un lapin de son chapeau, et décrète que c’est de ça qu’on va parler maintenant. Comme cette histoire avec Ramu Sood, une intrigue pas inintéressante en soi, mais qui fait totalement dévier les autres intrigues de leur course. Pour finir, il y a encore un autre type d’intrigue désagréable : la storyline sans avenir. C’est le cas de la préparation des noces de Madeleine avec Ralph, dont tout le monde sait depuis le premier jour (et le premier épisode) que c’est sans avenir, mais que la série persiste à nous présenter comme très importante. Personne n’est dupe. On en reste devant l’écran, les yeux arrondis par l’ébahissement, devant ce qui est sûrement la plus grosse perte de temps de la saison.
Ce qui parachève la sensation d’agacement, c’est que ces intrigues sont en plus, pour l’essentiel, ponctuées de scènes où il ne se dit rien. Les personnages se parlent, mais leurs mots sont vides ; il n’arrive presque jamais qu’un personnage se livre à un autre, où lui dise ses quatre vérités. Il n’arrive presque jamais qu’on ait l’opportunité de savoir ce qui se passe dans le for intérieur d’un protagoniste, si ce n’est lorsqu’il indique brièvement son agacement et sa frustration à cause du carcan dans lequel il évolue.
Tout le monde est coincé par l’obligation de politesse et d’apparence lisse, et au lieu de nous inviter dans l’intimité des personnages pour découvrir ce qui se passe derrière ce masque imposé, Indian Summers se contente de mettre en scène des rencontres stériles entre personnages qui ne peuvent pas se parler et bien souvent n’essayent même pas. Ils continuent de dire les mêmes mensonges, ou disons, les demi-vérités polies qui sont attendues d’eux, pendant l’essentiel de la saison. Ça n’aide vraiment pas à passer le temps.
Tout n’est pas à jeter dans Indian Summers. Et sûrement que, dans la tête de ceux qui l’ont imaginée, beaucoup de ces intrigues passagères et de ce qui m’apparaît comme une perte de temps est, en fait, supposé être une multitudes de petits ruisseaux devant plus tard former le Gange de la série. C’est le cas pour beaucoup de fictions feuilletonantes conçues pour durer plusieurs années, après tout : les choses doivent prendre leur sens plus tard. Mais j’ai un problème avec cette façon de procéder lorsque la « récompense » du visionnage est supposée apparaître dans quelques années, et que dans l’intervalle la série se contente de facilités, de clichés et de détours sans intérêt.
Encore une fois, Indian Summers n’est pas une mauvaise série. Elle est très léchée esthétiquement et son cast est excellent pour la plupart (bien que souvent sous-employé). Son sujet, rarissime à la télévision, est extrêmement intéressant. Et important. Mais il est tellement difficile de se plonger dedans à corps perdu, comme j’espérais le faire lorsqu’elle a débuté. Toute occupée qu’elle est à regarder les choses par le petit (très petit) bout de la lorgnette, la série peine à s’imposer comme une fresque sur l’évolution d’un pays, ou des mentalités d’un pays, ou les idées politiques d’un pays, à une période cruciale de son histoire
Peut-être que la patience paiera au bout de 5 années de visionnage, et pour être sincère je n’en doute pas forcément. Je suis peut-être psychorigide, mais quand je regarde une série maintenant, j’aime bien en tirer autre chose à court terme que de l’agacement et de la frustration.