Alors que Vinyl démarre sur HBO, il me faut me rendre à l’évidence : je n’ai aucune idée sur la façon dont je vais en parler.
Une solution serait de ne pas en parler du tout, et de m’épancher à la place sur cette série canadienne à laquelle je repensais la semaine passée, ou sur cette découverte tchèque toute récente. Ce serait la solution de facilité pour botter en touche sans en avoir l’air ; après tout je l’ai fait pour d’autres séries qui me laissaient coite, et je le ferai d’ailleurs encore pour d’autres. Faire mine de n’avoir pas remarqué que Vinyl démarrait sur HBO, une rustine qui ferait illusion.
Mais dans le fond j’ai envie de parler de Vinyl, justement parce que « devoir » écrire à son propos me pousse à réfléchir à plein de choses. A des choses qui ne sont pas nécessairement Vinyl mais qu’importe.
A commencer par ceci : à quel moment n’est-on pas légitime à parler d’une série ? Prenez quelqu’un au hasard : disons, moi. Je n’ai pas vraiment de culture musicale (et surtout pas en matière de rock des années 70), pas vraiment de culture cinématographique non plus (j’ai dû voir deux Scorsese en entier dans toute mon existence, plus le pilote de Boardwalk Empire), d’où je vais aller parler de Vinyl ? Quel genre de critique je peux faire sur le fond comme la forme dans ces conditions ? Bien-sûr, je peux décider d’aborder Vinyl pour et par elle-même, en m’extrayant de ce contexte ; mais en faisant ce choix, est-ce qu’alors je ne me donne pas carte blanche pour tout simplement dire de la merde ? Peut-être qu’il faudrait laisser les critiques de Vinyl aux mélomanes, aux amateurs de rock, aux cinéphiles : ceux-là sont concernés au premier chef par la série, et sauront en parler mieux que quiconque.
Je ne suis pas donc forcément très crédible dans le rôle de la « critique » lorsqu’il s’agit de Vinyl : il me manque des outils. Au point que ne pas apprécier certaines choses dans le premier (double) épisode de Vinyl me renvoie sans cesse à cette absence d’outils : lorsque le pilote me semble échouer dans une storyline ou une scène particulière, est-ce mon ignorance sur le style de Scorsese, sont-ce mes lacunes sur la musique américaine des seventies, qui motivent mon opinion ? Est-ce le manque de repères cinématographiques qui me pousse à dresser des comparaisons régulièrement avec Mad Men pendant ces deux premières heures ? Quand je regarde Vinyl et que je trouve son démarrage faible sur le plan thématique, son personnage central trop peu original, et sa réalisation riche mais parfois un peu cache-misère, peut-être que je vois ces ingrédients sous cet angle… parce qu’il me manque les connaissances qui me permettraient d’aborder l’épisode sous un autre angle. C’est possible. Et je n’en serai jamais vraiment certaine.
Une chose est sûre : mon avis sur Vinyl vaut peut-être mille fois moins que celui des mélomanes capables de comprendre la moindre référence à la scène musicale des années 70, ou ceux qui connaissent l’œuvre de Scorsese sur le bout des doigts. Mais j’en ai quand même un. Alors le voici.
Je n’ai pas eu l’impression que Vinyl avait conscience de l’existence de dizaines d’autres séries à la télévision mettant en scène des hommes blancs intérieurement torturés et se réfugiant dans le cynisme en même temps que dans la boisson et/ou la drogue, à commencer par, oui, Mad Men, dont un visionnage aurait immédiatement éclairé Scorsese, Jagger et compagnie.
Sans remettre en question leur concept de base, je crois qu’il aurait été intéressant d’insister sur d’autres éléments que ceux sur lesquels le pilote s’épanche pendant deux heures : le tiraillement du héros entre sa vie de producteur musical au cœur de New York (drogue, rock’n’roll, éventuellement sexe), et son espoir de se ranger quelque peu et trouver un équilibre dans le Connecticut (avec sa femme, ses deux enfants, sa maison) ; cela n’entravait en rien la possibilité de conflits (et de rechutes) dans les deux sphères, mais ça permettait d’articuler ça différemment. Là on a affaire à un Don Draper qui boit beaucoup, qui fume beaucoup, qui se targue de se faire du pognon sur le dos des artistes, qui se ronge les sangs à l’idée de perdre ce qu’il a créé, mais qui une fois toutes les demi-heures rentre auprès de bobonne pour lui promettre qu’il est sérieux maintenant. Je suis désolée mais pour moi ça n’a rien de nouveau ; ce qui serait nouveau, c’est de montrer le travail derrière cette promesse.
Outre cela, un coup d’œil à quelques épisodes de Mad Men au hasard auraient permis de prendre conscience d’une réalité : ce n’est pas parce qu’on a la musique, les costumes et les décors, que la série historique a pris vie. Et même si Vinyl ne semble nourrir aucune envie de parler de la société américaine à travers la musique, comme Mad Men le faisait pour la publicité, il faut quand même admettre qu’on a là une version très idyllique de 1973, une version des années 70 où le Vietnam n’existe pas, où la contraception va de soi, où les questions raciales ont toutes été résolues, où l’économie va bien… Bref, le genre de 1973 que percevaient sûrement des artistes masculins et blancs déconnectés de tout, partageant leur temps uniquement entre des concerts et des afters, mais qu’une série devrait a priori être capable de dépasser, au moins ponctuellement. Et puis, la série n’est pas racontée du point de vue d’artistes masculins et blancs déconnectés de tout, par-dessus le marché, même s’il y en a un à la co-création de Vinyl.
Personnellement, quand une série historique veut me prouver qu’elle a tout compris juste parce qu’elle a truffé ses scènes de musiques totalement d’époque, de maquillages rigoureusement d’époque, de vêtements parfaitement d’époque, et de technologie absolument d’époque, j’ai tendance à m’agacer plutôt qu’autre chose. Et ce manquement est d’autant plus grave que Vinyl inclut des personnages (peu, et pas assez longtemps selon moi ; mais ils sont là) qui devraient être touchés au premier chef par ces questions, lesquelles sont au contraire balayées de la main ou réduites à un plan, histoire de dire. C’est un peu court et il aurait fallu dire bien des choses en somme. Des choses que personne ne peut entièrement détailler dans un pilote, mais qu’en deux heures on devrait trouver quand même un peu plus souvent que de façon vaguement allusive.
Alors en un mot, Vinyl ne m’est pas apparue comme une mauvaise série. Mais il lui manque quelque chose.
Dans le fond j’ai le sentiment que ce qui lui fait défaut est peut-être, précisément, logé dans mon absence de connaissance musicale ou cinématographique : est-ce que Vinyl est capable de parler aux téléphages qui ne sont pas spécialement connaisseurs en matière de rock’n’roll ou de la filmographie de Scorsese ? A-t-elle les tripes d’aller au-delà de cette cible toute acquise, et de raconter une histoire fondamentalement intéressante et unique ? Pour le moment, ma réponse (pour ce qu’elle vaut) est non.