Peu de séries françaises ont la chance d’avoir un timing aussi parfait que Trepalium : sa diffusion commence au moment où les minima sociaux font les gros titres. Mais Trepalium ne veut pas interroger nos gros titres frontalement, et s’inquiète plutôt de ce qu’ils augurent du futur de la France si nous gardons ce même cap en tant que société. Sa question est clairement : quand il n’y a pas de travail et qu’on ne produit rien pour la société, que vaut-on ? Dans le futur de la série, la société a trouvé sa réponse. Ce qui ne veut pas dire qu’elle soit la bonne.
Séparés par un mur construit voilà 30 ans, deux populations s’affrontent en France : ceux qui travaillent, et ceux qui ne travaillent pas. Or, ces derniers forment désormais l’immense majorité des citoyens, sauf que de citoyens ils n’ont que le nom : traités comme des bons à rien, ils ont à peine droit à une distribution de rations de nourriture et d’eau, vivent dans des bidonville, et n’ont aucun droit si ce n’est celui de participer à une loterie pour remporter, ponctuellement, un travail. Passer de l’autre côté du mur, c’est leur rêve…
…Un rêve qui ressemble à un étouffant cauchemar quand on sait à quoi ressemble la vie des travailleurs, surveillés en permanence, poussés au maximum de leur rendement comme des machines interchangeables, et vivant sous la menace de perdre leur statut si convoité, bien qu’insupportable.
Des deux côtés du mur, angoisse partout, bonheur nulle part. Et même si Trepalium ne pose pas exactement la question du bonheur (ou pas encore ?), le premier épisode fait en tous cas un plutôt bon travail pour nous forcer à nous demander où commence et où s’arrête la dignité. Dans l’univers de Trepalium, on fait comme si les chômeurs étaient le problème, on craint d’en devenir un soi-même et on s’enferme dans des vies détestables parce qu’au moins on n’est pas chômeur, on n’a plus aucune liberté de choix (pas même dans ce que l’on consomme et comment), et finalement tout le monde a oublié de se dire : mais au fait, cette histoire d’économie, ça ne marche pour personne.
Au stade du premier épisode, qui démarre dans quelques minutes sur arte, la conversation démarrée par Trepalium ne va pas beaucoup plus loin. Il faudra voir sur le long terme (qui, certes, n’est que de 6 épisodes) si son intrigue arrive à pousser ces interrogations plus loin. Étant donné l’introduction d’une intrigue moins politique, ce n’est pas garanti. Mais ce premier volet met en place des éléments intéressants, pourvu que le spectateur arrive à dépasser la réalisation parfois lente, et surtout, les quelques acteurs qui persistent à réciter leur texte comme un écolier ses tables de multiplication.
Mais plus encore, Trepalium s’inscrit dans la vague de séries récentes remettant en question l’idéologie capitaliste, quelque chose de rare à la télévision occidentale (et de rien moins que miraculeux vu que cette industrie est fondamentalement capitaliste). Entre Mr. Robot, The Expanse et Trepalium, j’ai l’impression qu’un discours est en train de trouver sa place dans la fiction pour critiquer ouvertement les limites de nos sociétés actuelles, un discours que je n’ai pas l’impression qu’on ait entendu depuis les premières saisons de Roseanne, et encore, certainement pas avec cette précision d’orfèvre pour détailler les mécanismes à l’œuvre à grande échelle. Il n’est sûrement pas un hasard que deux de ces fictions soient des séries futuristes, la science-fiction étant le genre métaphorique par excellence pour ce type d’objectif. Toutes les expérimentations en la matière ne se valent pas nécessairement, mais ce n’est pas tant une question de valeur que d’effort : proposer aux spectateurs ce type de sujets relève d’une ambition rare, qui à elle seule mérite d’être suivie.