Petite préconisation aux exécutifs présentant leur prochaine série, et ça vaut pour tous types de diffuseurs inclus : ne clamez pas que votre série est profondément atypique et unique et tellement hors-normes que vous ne savez pas vraiment ce qu’elle tente de faire… si derrière, la série en question n’est pas capable de prouver sa particularité.
Plus tôt ce mois-ci encore, FX assurait devant la Television Critics Association que Baskets était une comédie à part, un peu incompréhensible, au processus créatif un peu chaotique, que seule une niche de spectateurs pourrait la comprendre et que c’était normal vu la série. Et vous voulez que je vous dise ? Je ne saurais juger du processus créatif derrière Baskets. Mais pour le reste, le résultat est bien moins décalé que ce que FX veut nous faire croire.
Chip Baskets est un Américain qui a tenté sa chance à Paris, dans la très prestigieuse Académie du Clown français, dans l’espoir lui aussi de faire rire, un jour. Manque de chance, il ne parle pas un mot de français, ses finances sont au plus bas, et sa scolarité est plus que menacée ; désargenté et désenchanté, il décide de proposer à sa petite amie française un rien vénale, Pénélope, de l’épouser, et de rentrer avec lui aux États-Unis, plus particulièrement dans son bled natal de Bakersfield en Californie. La jeune femme accepte à une condition : que si elle trouve mieux que lui sur place, elle le quittera. La chance est-elle enfin en train de tourner pour Chip ?
Une fois sur place, le rêve de celui-ci n’a d’ailleurs pas changé : il veut être clown. En fait, pour lui c’est clair, il EST un clown : Renoir. C’est avec cette unique compétence et sous ce nom de scène qu’il parvient à se faire engager dans un rodéo, où son travail est simplement de courir devant des bovidés pour les énerver… en espérant ne pas se faire encorner ou piétiner trop souvent. Par chance, son patron est sûrement la seule personne au monde à le considérer comme un clown (même s’il a décidé que Baskets était un bien meilleur nom de clown que Renoir) au sens professionnel du terme. Par contre, il gagne une misère et vit dans un hôtel miteux (Pénélope, elle, s’est installée dans un très bel hôtel avec piscine, bien-sûr ; on devine qu’elle n’y est pas seule). Pour ne rien arranger, Chip/Renoir/Baskets a une mère qui désapprouve sa carrière (surtout depuis qu’il a échoué à l’Académie), un frère jumeau qui a une « situation », comme on dit… et il a même réussi à abimer son scooter adoré, acheté en France. Rien ne va, donc.
On ne peut pas dire que l’histoire de Baskets soit particulièrement ébouriffante : des personnages de ratés dans les séries, ce n’est pas ça qui manque. Et certainement pas des ratés qui reviennent au bercail après avoir tenté leur chance ailleurs. Mais à la limite ce n’est pas a le problème.
Le problème, c’est que l’humour de Baskets n’est pas non plus farouchement révolutionnaire.
Très franchement, je l’aimais bien, ce concept de clown raté ; il me rendait curieuse. On peut faire plein de choses sur les clowns (moi-même je rêve depuis des années d’une série sur un cirque… ou j’adorerais réussir à voir Waltz !), et pas seulement un thriller fantastico-mystique à la Carnivàle), en exploitant leur univers de rêverie, leur étrange « éthique », en pervertissant leur supposée gentillesse (hello Crimi Clowns), ou encore en simplement jouant sur la peur qu’ils suscitent chez tant de monde (je regarde pas American Horror Story mais c’est typiquement ce que j’imagine la saison Freak Show faire ; ou évidemment la mini-série It). Je m’attendais à ce que Baskets soit l’occasion de faire des choses lunaires et étranges, mette en scène un personnage qui vit dans son monde et nous fasse partager ce regard mi-comique, mi-poétique, tout en nous faisant ignorer les gags habituels sur le ratage. Il ne les verrait pas vraiment, parce qu’il est clown ! Je vais être honnête avec vous, j’avais un peu en tête ce que Woodley avait fait sur un thème similaire (à plus forte raison parce que l’épisode au cirque était d’une perfection sans nom), tout en imaginant que, Baskets ayant atterri sur FX, ce soit moins grand public, voire carrément trash. J’en profite pour rappeler qu’il faut avoir tenté Woodley.
Il y avait donc plein de possibilités, or Baskets a choisi de jouer la facilité et de ne rien chercher à faire de nouveau ou de bizarre. A aucun moment Baskets ne fait d’effort vaguement similaire de créer quelque chose d’unique et de personnel, à aucun moment la série ne semble vouloir s’affranchir des tropes du genre pour tenter quelque chose côté réalisation, ou personnages. Il s’est passé deux, je dis bien deux moments où j’ai cru que ça allait se passer (pour ceux qui ont vu le pilote, je parle du gag de la carotte, puis le moment où Baskets « enterre une fleur pour pouvoir pousser à nouveau » sur la fin de l’épisode). Mais même ces instants qui auraient pu être porteurs de quelque chose d’unique à Baskets finissent par être gâchés. Chaque fois, ces passages sont fugaces et balayés par des gags plus classiques, une chute sans originalité. Non seulement je suis ouverte à ce qu’une série essaye de nous semer un peu avec des silences bizarres et inconfortables (comme la carotte), ou à ce qu’elle tente un truc un peu halluciné (le numéro de Baskets en fin de pilote), mais en plus je pense qu’une série qui a soi-disant carte blanche créativement et qui se targue d’être unique en son genre se doit de tenter ce genre de choses et d’expérimenter à longueur d’épisode. Quitte effectivement à laisser un grande partie du public désorienté.
Mais ce n’est pas du tout ce qui se passe ici, et en gros, Baskets nous fait surtout Louie avec du maquillage coloré (du coup je me permets quand même de ricaner une seconde quant au processus créatif erratique de Baskets). A la différence près que, Louie ayant plusieurs saisons d’expérience, elle s’est choisi depuis des thèmes de fond à aborder, alors que le premier épisode de Baskets, noyé sous l’exposition, n’a pas encore ce luxe et du coup sonne en plus un peu creux.
Et si l’idée de FX, c’est simplement d’avoir un Louie-bis pour quand CK va vraiment arrêter sa série et plus simplement prendre des hiatus de 712 mois, je peux le comprendre, mais dans ce cas, ce serait super sympa de ne pas nous vendre Baskets comme une série unique, là où elle est essentiellement conçue comme une méthadone pour les accros à Louie. Je sais que j’en demande beaucoup, mais un peu d’honnêteté intellectuelle de la part de FX, ça ne me dérangerait pas.
Si j’ai l’air d’être en colère, ce n’est pas un hasard : Baskets était supposé être l’un des pilotes que je me réjouissais le plus de découvrir. J’étais prête à être décontenancée, déçue ou même révulsée, mais uniquement parce que je me demandais si j’allais être suffisamment ouverte à la bizarrerie de la série. La perspective de se mettre devant le pilote de Baskets, pour moi, c’était une mise au défi téléphagique, et c’est toujours chouette, les défis ! On s’oblige à réévaluer la « normalité », on s’autorise à repousser les limites du connu, on accepte de voir nos certitudes et nos habitudes chamboulées. C’est quand même un peu pour ça que j’explore la télévision, après tout !
Je voulais vraiment être surprise, et il s’avère que la seule surprise, c’est que Baskets n’est pas une comédie surprenante du tout.