Une nouvelle Éire

10 janvier 2016 à 14:53

Dimanche dernier, la chaîne publique irlandaise rté lançait Rebellion, l’une des fictions les plus onéreuses de son histoire, avec un budget de 6 millions d’euros pour 5 épisodes. C’est sûr que ça impressionne moins qu’une adaptation de War and Peace par la BBC (qui débutait le même soir à quelques centaines de kilomètres de là), mais quand même.
En tous cas, cela permet aux téléphages les plus curieux de se pencher sur l’histoire irlandaise, puisque Rebellion s’intéresse à l’insurrection dite « de Pâques » de 1916, l’un des évènements marquants d’une Irlande alors en quête d’indépendance de l’Empire britannique dont il vous reste peut-être de vagues bribes de connaissances, restes d’une scolarité assidue en cours d’Histoire (et encore, c’est si vous avez de la chance). Alors dans ces conditions, il paraît difficile de refuser de découvrir une série historique à grand budget qui comble vos lacunes !

Et d’ailleurs c’est précisément ces premiers éléments que nous expliquent les panneaux qui ouvrent l’épisode, et qui rappellent qu’en 1914, la Première Guerre mondiale approche et que les Irlandais sont encore divisés autour de la « Home Rule ». L’Irlande peut-elle avoir son propre Parlement ? Quelle place pour l’Irlande au sein de l’Empire britannique ? Et si la guerre arrive, pour qui, et contre qui prendre les armes ?

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Dans ce contexte, trois jeunes femmes sont les héroïnes principales de Rebellion (je sais, il n’y paraît pas à voir la photo de promo…). Le 3 août 1914 au soir, à Dublin, elles sont réunies et s’amusent dans une production musicale côte-à-côte ; mais alors qu’elles célèbrent l’évènement à l’issue de leur prestation quelques minutes plus tard, les cloches retentissent dans toute la ville : c’est la guerre qui a commencé. Après cet épilogue, la série démarre vraiment le 18 avril 1916. Et leurs parcours ont alors déjà commencé à bien diverger.
Elizabeth Butler est la fille d’une riche famille de Dublin ; ses noces prochaines avec son fiancé bien sous tous rapports, Steven, sont loin de la réjouir. En outre, elle a commencé à fréquenter les milieux socialistes, dont les idées révolutionnaires la passionnent largement plus. C’est là qu’elle a rencontré Jimmy Mahon, un homme d’une condition bien plus pauvre mais très engagé.
Derrière une apparence sobre et calme, Frances O’Flaherty cache un engagement politique bien plus vif. Cette enseignante travaille en effet dans l’une des rares écoles du pays proposant une éducation en gaélique, et dans le même temps, elle est activement impliquée dans les actions du Sinn Féin. En fait, elle prépare d’ores et déjà des volontaires à prendre les armes prochainement.
May Lacy est encore hésitante. Elle travaille comme secrétaire pour un officiel anglais, Charles Hammond. Bien qu’il soit marié, elle vit une aventure avec lui et est convaincue qu’il s’agit du grand amour. Pour ces raisons ainsi qu’à cause de sa naïveté un rien enfantine, elle espère que l’indépendance de l’Irlande peut s’obtenir de façon pacifique, et s’imagine que son Anglais et elle pourront s’installer ensemble en Irlande.

Pourtant, leurs liens se sont desserrés avec les années, et elles ignorent l’essentiel des convictions des unes et des autres. Liza et et Frances, par exemple, pourrait découvrir qu’elles ont beaucoup en commun. Et même si Frances et May partagent une chambre chez une tante, elles partagent très peu d’informations sur leurs agissements en privé. Naturellement, tout s’apprête à changer quelques jours plus tard.
Ce premier épisode de Rebellion remplit pleinement son rôle introductif, et nous donne assez peu d’éléments au-delà, l’épisode s’achevant sur ce qu’il y a de plus proche d’un cliffhanger. Le concret sera plutôt pour les épisodes suivants. Pour autant, l’épisode n’en est pas moins captivant, avec de beaux portraits autour des nuances politiques du moment. Ainsi, même dans l’entourage aisé de Liza, la perspective d’un parlement irlandais est un idéal ; mais il est envisagé comme une concession obtenue auprès de la Couronne après avoir fidèlement servi le Roi, notamment pendant la guerre. A l’inverse, dans les milieux les plus pauvres, comme dans les quasi-bidonvilles où réside Jimmy, l’indépendance totale est envisagée comme la seule issue. Il ne fait aucun doute que l’Irlande est animée d’une volonté de prise en charge de sa vie politique, la seule question, c’est comment. Et ça, Rebellion a le temps de plutôt bien l’expliquer dans cet épisode d’exposition, tout en plaçant à divers endroits du spectre ses personnages. Il en découle que chacun a aussi une vision variable de ce que coûtera cette indépendance partielle ou totale, révérencieuse ou insurrectionnelle, reçue en récompense ou obtenue coûte que coûte.

Cette année, rté proposera tout un éventail de programmes pour commémorer les évènements de 1916 : on trouvera également, plus tard dans l’année, des documentaires, des films…
Mais plus qu’un évènement dans ce cadre, Rebellion témoigne d’une démarche plus ample de la chaîne. Longtemps grande oubliée des productions anglophones de la planète, la chaîne a ainsi décidé d’investir massivement dans ce pur produit irlandais… tout en réfléchissant à son exportation. Dans un premier temps, c’est la BBC qui a été démarchée, mais étrangement, le groupe public britannique n’a pas manifesté d’intérêt pour la série. Alors ce qui a bien aidé, c’est la participation financière de la chaîne américaine SundanceTV, qui en achetant les droits de diffusion de Rebellion en octobre dernier (la série était alors déjà en production de longue date) est devenu le co-producteur d’une potentielle saison 2. Vu l’écho que SundanceTV a permis à Deutschland 83 d’obtenir, on comprend que de plus en plus de productions de la planète lui fassent les yeux doux (on en parlait encore il y a deux semaines avec l’australienne Cleverman).
La saison 2 de Rebellion est donc d’ores et déjà en développement, toujours sous la plume de Colin Teevan (le scénariste déjà à l’origine de la mini-série Charlie), bien que la commande ne soit pas encore officialisée. Mais la participation financière permet de tout changer.
Et pour le moment il faut admettre que le pari est rempli, au moins pour le public irlandais : dimanche dernier, Rebellion a rassemblé 41% des parts de marché, en vissant 619 000 spectateurs devant leur siège (avec 45 000 de plus devant la rediffusion sur rté One +1, et 9 000 autres utilisant le service de catch-up rté Player ; rappelons qu’en Irlande, ce sont de bons chiffres). Si les affaires devaient continuer de bien tourner pour la nouvelle série-phare de la chaîne publique, Rebellion deviendrait alors une trilogie sur l’indépendance de l’Irlande, et ses prochaines saisons commémoreraient alors d’autres centenaires similaires… premiers pas d’une exposition plus grande des séries irlandaises.

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Et pour ceux qui manquent cruellement de lecture…

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