Il m’arrive d’avoir tort. Pas souvent, assez rarement, très exceptionnellement, mais ça arrive. Je sais que vous avez cette image de moi comme d’une téléphage au goût sûr, et modestie mise à part, c’est vrai que j’ai mes bons jours, mais il n’empêche qu’une erreur de jugement n’est jamais totalement impossible. En fait c’est l’une des raisons pour lesquelles je me refais, de temps à autres, des pilotes. Certes il y a une part de plaisir non-négligeable à fouiller dans des archives pour en extirper le pilote d’une série à laquelle on n’a pas toujours donné plus d’une heure pour nous charmer, mais c’est aussi une forme d’hygiène. Suis-je certaine d’avoir la même opinion d’une série après plusieurs mois, voire plusieurs années ? Nos idées, nos valeurs, et bien-sûr nos goûts, évoluent, alors pourquoi pas notre point de vue sur une série ?
Cette année encore, mon programme téléphagique a été rempli de « retentatives » de ce type. Ce qui ne signifie pas que les conclusions ont forcément changé après ce revisionnage mais, enfin, on ne pourra pas m’accuser de ne pas avoir essayé.
You’re the worst a été l’une des séries qui ont eu une seconde chance avec moi en 2015. A force de tant entendre parler de ses efforts, en saison 2, pour parler de dépression, après avoir vu la quasi-totalité de ma timeline Twitter (française et étrangère) s’émouvoir devant les épisodes « coup de poing » que You’re the worst était apparemment en tain de proposer, j’ai remonté mes manches et admis qu’il était possible que You’re the worst ne soit pas qu’une comédie romantique comme cent autres, et que, peut-être, elle avait quelque chose dans le ventre. Peut-être m’étais-je trompée ? On ne pourra vraiment pas m’accuser de ne pas avoir essayé : je m’apprête à vous parler de mon visionnage secret, et un peu honteux, des DEUX saisons de You’re the worst à ce jour.
Alors j’ai attendu. J’ai revu le premier épisode ; je ne l’avais pas reviewé en détails ici parce que ça va vite : deux personnages exécrables se rencontrent et sont voués par les scénaristes (et la structure-même du genre) à être ensemble. La question « pour combien de temps » importe peu : le temps que durera la série, probablement, à quelques épisodes près. On ne peut pas dire qu’une comédie romantique ait énormément de marge de manœuvre sur ce point de toute façon. De suspense, point, donc.
You’re the worst part du principe que cette relation est différente parce que ses deux protagonistes le sont : ce ne sont pas des romantiques, ce ne sont pas des gentils, ce ne sont pas des politiquement corrects. Mais c’est en fait ce que se disent la plupart des couples qui démarrent : « nous, on n’est pas comme les autres ». Ils ont toujours une excuse pour être différents ; et ils finissent toujours par faire exactement la même chose que tous les autres couples.
Au-delà de son pilote très énergique mais donc plutôt banal, You’re the worst ne va pas vraiment au-delà de ce postulat de départ pendant sa saison 1. Comme dans la plupart des comédies romantiques, les intrigues donnent l’occasion à Jimmy et Gretchen de tester leurs propres limites, et celles de l’autre. La peur d’être envahi par une « relation » qu’ils ne veulent surtout pas qualifier comme telle, la terreur de voir l’autre s’installer dans le quotidien, les sentiments naître tout de même, malgré tous les efforts qu’on fait pour avoir l’air cynique et désabusé… Les obstacles rencontrés pendant la première saison de la série par ses deux héros sont, essentiellement grâce au ton grinçant et aux petites répliques qui claquent, un peu originaux sur le papier ; mais ils renvoient tout de même aux éternels questionnements sur l’engagement, la confiance, et la vulnérabilité.
C’est exactement la raison pour laquelle je ne regarde pas de comédies romantiques : ce genre de question ne me fascine pas. La romance en fiction, j’ai eu l’occasion de vous le dire, très peu pour moi. C’est d’autant plus rageant qu’à mesure que la série progresse, ses personnages s’assagissent énormément. Ils ne sont plus « the worst », ils ne sont plus méchants, ils ne sont plus spéciaux. Jimmy, en particulier, laisse rapidement tomber sa personnalité désagréable pour presqu’uniquement dévoiler son côté insécure et fragile. Il devient ce type finalement très dépendant et il apparaît qu’il est en recherche de repères rassurants en permanence. Il est d’ailleurs le premier à plonger dans la relation avec Gretchen, et bien qu’il tente de s’en défendre, à baisser sa garde. Du coup, la dynamique d’origine devient bien vite très banale.
Ce qui rend ces épisodes regardables à mes yeux, c’est en fait tout ce qui ne concerne pas, ou seulement de trèèès… pardon, je voulais dire trèèèèèèèèèèèèèèèèèèèèèèèèèèèèèès loin la relation des deux héros, par rebond, lorsqu’ils ont des échanges avec des tiers. Et en l’occurrence, You’re the worst doit énormément à Will & Grace : en découvrant son équivalent à Jack et Karen, la comédie a trouvé une pépite. Edgar et Lindsay sont la perfection incarnée pour une comédie : ils sont capables de jouer aussi bien les personnages de support, que de voler la vedette à la moindre occasion. Et les occasions sont nombreuses dans You’re the worst de les voir briller, dés la première saison.
J’ai d’ailleurs une tendresse particulière pour Lindsay qui, de son rôle de « coincée contrariée » du premier épisode, se libère progressivement de la plupart de ses complexes avec le temps et devient un personnage solaire, énergique, assumant ses défaillances (sa garde-robe explicitant formidablement sa transition). Il ne gâche rien que l’actrice Kether Donohue soit l’un des êtres les plus magnifiques de la Création, c’est sûr.
Cela dit, Edgar suscite également une grande tendresse. Il est profondément dysfonctionnel, et pourtant il est sûrement le personnage le plus lucide et réaliste de toute la série. Les références récurrentes à son rôle domestique sont d’ailleurs une façon intelligente de rappeler son rôle essentiel, mais souvent sous-estimé, dans la façon dont s’huilent les relations entre les trois autres.
Regarder la première saison de You’re the worst, m’acharnant malgré tout à supporter les constantes beuveries (et le reste) alors que je devais regarder les atermoiements romantiques à jeun, allait vraiment à l’encontre de tout ce en quoi je crois téléphagiquement.
Vous savez, cette expérience si courante en matière de télévision, quand tout le monde vous dit « ça s’améliore ensuite… pendant la saison 4 » ? Quand on vous promet qu’après énormément de temps et de patience, il y aura une récompense à la clé ? Et pendant tout ce temps-là vous vous demandez sérieusement si votre temps ne serait pas mieux employé à glisser des échardes dans vos sous-vêtements ? Eh bien c’était ce que j’expérimentais ; je luttais de toutes mes forces pour poursuivre la série malgré tout et voir ce dont tout le monde parlait avec tant de bien. Alors que rien ne m’horripile plus que de voir une comédie romantique. Cela vous semblera sûrement ridicule, mais c’était un véritable conflit intime pour moi : la carotte qu’on me promet en saison 2 vaut-elle tous les coups de bâton d’ici-là ? Je crois que je n’ai jamais autant souffert devant un binge watch ; normalement on enfile les épisodes par appétit, moi c’était par dégoût, de la série mais surtout de moi-même. Qu’est-ce que je fous là, mais qu’est-ce que je fous là ?! Comment cette série sera-t-elle capable de me donner quelque chose de consistant sur le thème de la dépression dans une saison de ça ? Comment opère-t-elle pareil virage alors que pour le moment ses intrigues sont creuses (et qu’en plus ya même plus de scènes de sexe)… et finalement c’est devenu une motivation perverse pour poursuivre. Une fascination exercée par l’envie de voir comment You’re the worst allait relever ce défi.
Alors j’ai fini par atteindre la saison 2 au bout de 24 heures d’auto-flagellation. Et c’est là que le plus terrible, le plus absurde, en un mot, le pire s’est produit : j’ai fini par être déçue.
La dépression de Gretchen ne m’a pas du tout intéressée. Je l’attendais depuis que j’avais repris le visionnage du pilote, je guettais chaque épisode de la saison 2 pour déceler les signes avant-coureurs, et finalement, elle m’est apparue comme soudaine. Un cheveu sur la soupe de You’re the worst.
Pire encore, elle ne m’a pas émue. Malgré tout, malgré ce que je viens de vous dire des conditions de mon visionnage, je m’attendais pourtant à y trouver quelque chose de personnel, quelque chose à quoi m’identifier. C’était (pas si) secrètement la raison pour laquelle j’avais commencé le revisionnage : ok, si You’re the worst veut parler de dépression dans une romcom, alors qu’elle ravage tout sur son passage. Je sors d’une dépression sévère de deux ans, je n’attends que ça : un personnage qui me ravage et me permette d’exorciser le démon. Et puisque la romance est son domaine, alors qu’elle interroge la façon dont la dépression et une relation amoureuse encore jeune s’opposent et se combinent. Mais You’re the worst n’a rien réussi de tout cela. Peut-être que même mon appétit particulier de fiction grave ne pouvait pas lutter contre mon problème avec You’re the worst. Peut-être qu’il y a des choses qu’on ne peut pas sauver.
Peut-être qu’il y a des séries qu’on ne peut jamais aimer.
Ces deux saisons, bien que décevantes au final, de You’re the worst, n’auront pas été affrontées en pure perte, cependant. Au meilleur de sa forme, You’re the worst m’a ponctuellement rappelé Threesome (son sens du montage, son goût pour diverses substances, et jusqu’au timbre de voix de Chris Geere). Comme chacun sait, toute raison de me faire ressortir mon DVD de Threesome est une bonne raison.
Et puis, comme bien des papiers vous l’auront dit cet automne, les séries s’intéressant à la dépression et plus largement à la santé mentale de ses protagonistes sont légion en ce moment. On a l’embarras du choix. Je romps donc avec You’re the worst le coeur léger : une de perdue, dix de retrouvées.