Le 10 novembre, j’ai pris mon plus beau clavier pour essayer d’écrire sur le premier épisode d’Au Service de la France, que je venais de tester, et je vous avoue que sur le moment, je suis restée interdite. D’un côté, ma maman m’a toujours appris que si je n’avais rien gentil à dire, il valait mieux me taire. De l’autre ma maman a aussi épousé mon papa, alors ses conseils, elle peut se les garder.
Mais depuis le 10 novembre, il s’est passé évidemment beaucoup de choses qui m’ont coupée dans mon élan. Je n’étais pas certaine qu’il soit de bon goût de descendre, une fois de plus, une fiction française pour laquelle j’avais essentiellement du mépris. Et pourtant. Pourtant quelque chose dans mon embryon de review, ce matin-là (oui il était 3h du matin), a continué de me hanter. Alors si vous me pardonnez cette faute de goût, je vais vous déballer ce que j’ai sur le cœur depuis lors à propos de la fiction française.
Le visionnage de ce pilote m’a laissée pantoise parce que, très franchement, la « fiction française », on passe notre temps à en parler, généralement avec un mélange d’espoir de rémission et d’abandon las. Et c’est chiant.
Chaque fois qu’on voit UNE série française qui vaut le coup d’être vue, on se réjouit, on se dit que c’est le début, que cette fois c’est la bonne, qu’on va sortir de l’ornière… et patatras un truc du gabarit d’Au Service de la France arrive derrière et on retourne à la case départ sans toucher 20 000 anciens Francs, on râle et on râle et on voue les scénaristes, les acteurs et/ou les décideurs de chaînes aux pires supplices en repartant ruminer jusqu’à la prochaine proposition. Et on s’étonne que je prenne plus de plaisir à parler d’un thriller singapourien ou d’un mélodrame turc !
Paradoxalement, ce cycle est précisément ce qui me révulse en matière de séries françaises : on est dans une telle quête d’amélioration à tout crin, qu’on oscille en permanence entre applaudir à tout rompre ce qui est perçu comme un effort, et vilipender toute série perçue comme un nouvel échec. Chaque série devient tout d’un coup l’ambassadrice d’une supposée tendance vers l’amélioration (ou… la stagnation).
Ce n’est pas une façon saine d’aborder la fiction. Ce n’est pas là-dessus qu’on pose les bases d’une relation avec les productions d’un pays. Pour bien faire les choses, il faudrait ne pas, sans arrêt, être aux aguets pour vérifier si la prochaine série de fabrication française va avoir droit à un label de qualité, il ne faudrait pas attendre qu’une série sauve le reste de la production nationale, il ne faudrait pas décider que si la prochaine est pourrie, c’est qu’on a une « fiction française » en crise. Mais étrangement c’est ce que l’on fait, ce que j’observe dans mon entourage téléphagique, et ce que je fais moi-même soyons clairs. Alors que, comble de l’ironie, je ne le fais pour aucun pays, même quand je regarde ma première série pakistanaise.
Les séries françaises sont toujours trop petites : elles devraient fournir des épisodes pour quelques soirées d’une chaîne, on exige qu’elles échafaudent un plan de bataille à l’échelle nationale.
Attendre chaque série au tournant alors qu’elle est, dans le même temps, attendue comme le Messie, est une position intenable pour n’importe quelle fiction… mais plus encore dans un pays où l’industrie est fragile, pas du tout huilée, et où l’on sort si peu de productions originales par comparaison avec nos pays de référence (d’autant que nous n’avons vraiment pas des pays de référence raisonnables).
Et du coup, on en est là, à scier la branche sur laquelle est posé notre écran, et il n’y a aucune chance qu’il n’en découle pas de l’amertume régulièrement, a minima. En tous cas c’est mon impression chaque fois que j’essaye de me pencher sur la question.
Vous savez ce qui se passe ? C’est qu’une fois sur trois, quand je lis des reviews sur une série française, je lis des exclamations optimistes ou au contraire désespérées quant au futur de la « fiction française ». Et très franchement, je fais exactement pareil.
Sauf que personne ne fait ça sur la fiction américaine, pour reprendre les exemples que pourtant tout le monde emploie, consciemment ou non. Personne ne regarde, mettons, Life in Pieces, et décrète que ça y est, la télévision américaine est morte, elle n’a plus de sève, plus d’idées, plus rien. Non, ce qui se passe, c’est qu’on critique Life in Pieces, et la fois d’après on critique le dernier épisode de The Leftovers, et ça va tout de suite mieux. Au pire on établit des tendances sur une saison (mais en même temps, à chaque mi-saison, on finit par retrouver des séries en béton, alors tout va bien), ou sur des canaux (les networks recyclent ? Pas grave, on a le câble, ou la SVOD, franchement c’est pas les anti-généralités qui manquent). Je ne vois jamais personne décréter que les séries américaines n’ont plus rien à offrir juste parce qu’on s’est cogné quelques nouveautés piteuses en septembre. Le lendemain, on est tous sur Twitter à se boucher les oreilles en criant « lalalala je ne vois pas vos spoilers » comme si, c’est fou, le monde téléphagique continuait de tourner malgré tout, même après un échec critique et/ou public.
Mais avec la « fiction française », ya rien à faire. On en revient toujours au débat de fond au lieu de prendre chaque série pour ce qu’elle est : une série. Juste une série. Pas une graine plantée dans l’espoir qu’un arbre nous abrite à l’ombre de ses branches dans quelques années.
Je regarde Au Service de la France et tout de suite je suis prête à pontifier sur… vous savez quoi ? Non : plus j’avançais dans cette review le mois dernier, plus je refusais de l’écrire. Tout ce qu’il y a à dire sur Au Service de la France, c’est que son humour est plouc, qu’elle n’a aucun recul sur ce qu’elle dépeint de sexiste, de raciste et de franchouillard, et qu’elle est parvenue à produire un premier épisode tellement vide qu’on n’a aucune idée de ce qu’on est supposés attendre des suivants. Voilà, et c’est marre.
C’est sa responsabilité. Ça ne porte pas préjudice aux quelques bonnes séries françaises qui l’ont précédée cette année, et ça ne veut pas dire quoi que ce soit sur l’éventuelle évolution de la « fiction française » au-delà. C’est juste une série.
Je pensais pas dire ça un jour, mais : c’est juste une série. Pourrie. Mais qui n’entache en rien ce qui a été accompli par Le Bureau des Légendes, ou Dix Pour Cent, ou Virage nord, ou encore Versailles. Ce qui ne relève en rien le niveau d’Une Chance de Trop, de Nina ou de Péplum. J’en profite pour rappeler que toutes les critiques faites sur les épisodes de ce petit monde se trouvent via les tags au bas de cette page. Ce qui ne change rien aux efforts qui sont actuellement menés pour nous livrer Trepalium ou… que sais-je. Précisément : pour le moment, je sais pas. On verra bien quand les séries se présenteront.
Vous savez quoi ? Je suis contente de l’avoir publié le 31 décembre, ce coup de gueule sur la tristement fameuse « fiction française ». Ça me servira de bonne résolution pour mes reviews en 2016.