Au départ, Colony ne devait pas être une série de science-fiction, mais une série historique se déroulant en France sous l’Occupation, voire à Varsovie dans le ghetto. Pas de chance, les exécutifs américains sont assez peu fascinés par la perspective d’une série qui déroulant au début des années 40, a fortiori avec tout un tas de gens qui parlent des langues moches comme le Polonais ou, pire, le Français. Pas. Du tout. Vendeur. Du coup, le script de Colony subit un « replace all » et resitue la même histoire à Los Angeles cette fois, dans un futur proche mais indéterminé, où les Allemands sont remplacés à toutes fins utiles par des aliens. Mais comme on ne les voit pas, personne ne fait la différence. Encore une affaire rondement menée.
Voilà, que ce processus soit véridique ou non, un excellent résumé de ce qui se passe dans Colony, étant donné que le premier épisode, mis à disposition par USA Network avant son lancement officiel le mois prochain, ne fait aucun effort pour essayer de camoufler son inspiration historique. Ça ne l’intéresse absolument pas de faire mine d’avoir ses propres idées. On retrouve exactement les mêmes éléments que dans une série historique sur la période : entre rationnement, couvre-feu, collabos et résistants, la panoplie est totale. A voir les vêtements des protagonistes ou les observer se déplacer essentiellement à vélo, la référence est même omniprésente à dessein.
Et puis alors, quand on regarde du côté du matériel promotionnel de la série… je vous laisse juge.
…Mais le fait est que, lorsque je me trouve devant son premier épisode, je n’arrive pas à m’enthousiasmer. Peut-être parce que son introduction est très maladroite : en faisant le choix de ne rien contextualiser, il perd son spectateur. Je ne pense pas que la métaphore de l’Occupation perdrait de son sens ni de sa force si on savait, à un moment ou à un autre pendant cette première heure de la série, depuis combien de temps les extraterrestres sont là, par exemple. Mais on parle d’une série qui a toutes les peines du monde à ne serait-ce qu’admettre qu’il est question d’extraterrestres, et qui ne le fait que du bout des doigts en fin d’épisode. Le fait que lesdits extraterrestres n’apparaissent absolument pas aurait dû être une force pour la série, une occasion de mettre l’accent sur le mal fait non pas par l’Occupant, mais par ses collaborateurs en territoire occupé, une chance de coller aux références de la Seconde Guerre mondiale (ce qui, encore une fois, est un choix valide). Mais de ne pas même pas avouer ouvertement qu’il s’agit d’aliens pendant l’essentiel de l’épisode ? C’est vraiment se compliquer la vie, et la compliquer au spectateur, sans réel gain. D’autant qu’il me semble qu’à l’heure actuelle, il n’existe pas un seul internaute qui aille sur le site d’USA Network pour regarder le pilote de Colony et qui ignore qu’il s’agisse d’une série de SF ! Cette façon de tourner autour du pot n’a donc pas vraiment de sens.
Mais c’est assez caractéristique de ce que tente de faire Colony dans ce premier épisode : essayer de nous surprendre, de nous la faire à l’envers, de nous mettre un cliffhanger dans la figure pour le plaisir de surprendre… mais sans la moindre contrepartie. Voilà qui devrait me ravir (j’ai suivi 5 saisons d’une autre série d’USA Network qui reposait sur le même genre de pratiques), mais rien à faire. Le procédé me laisse de marbre. Peut-être parce que Colony se prend tellement au sérieux que c’est un contrat qu’en tant que spectatrice, je n’ai pas envie de signer, tandis qu’au moins, Falling Skies assumait son côté rocambolesque.
Tout dans Colony transpire le « oui, mais » de cette façon : entre un concept de départ pas idiot mais dénué de tripes, une mythologie épurée mais sur laquelle on devine trop bien comment bien des choses pourraient facilement se construire (je pense à la fameuse « Usine »), une exécution reposant sur des surprises mais qui naissent uniquement de l’ignorance forcée dans laquelle on plonge le public, ou encore la situation cliché mais intéressante de personnages simplistes voire caricaturaux (et leur interprétation assez pénible et monochrome), la série ne fait rien vraiment bien. Elle ne fait juste rien totalement mal. Et vous admettrez que voir ça dans un pilote, ça ne donne pas envie de se ruer sur le reste de la saison avec appétit.
Mais de toute façon, à ce stade, il n’est même pas certain que le premier épisode soit représentatif de ce que nous allons observer par la suite, vu que le personnage central de la série vient d’accepter un job qui a un fort potentiel procédural. Colony peut très bien décider de ne même pas bâtir sur tous ces éléments de départ comme on serait en droit de l’espérer, et de nous offrir à la place, épisode après épisode, l’exploration des mêmes dynamiques intrafamiliales, supposées rejouer les dynamiques de tout l’univers de la série. Le secret de tel personnage sera-t-il découvert ? Ouf, non, pas cette fois. Saura-t-on enfin ce qui est arrivé à tel autre dont on parle tant ? Rha, presque, on a failli obtenir du concret. Ce protagoniste pourra-t-il concilier ses idéaux politiques avec la nécessité pour lui et sa famille de survivre ? Et ainsi de suite. A la science-fiction peuvent ainsi se mêler encore le procedural (et donc potentiellement l’action), l’espionnage et le contre-espionnage, ainsi que le soapesque, soit autant de raisons de retarder les explications sur la façon dont ce monde fonctionne, ce vers quoi il tend et ce qu’il a à dire, pour en échange gagner (ou perdre, selon le point de vue) du temps.
Ça peut durer très longtemps. Vu la paresse de beaucoup d’autres ingrédients de Colony, je ne suis pas certaine qu’on puisse totalement écarter cette éventualité. Ce qui m’effraie.
En tous cas il est certain qu’après avoir eu du très bon (The Expanse) comme du mauvais (Childhood’s End) cet hiver, l’arrivée de Colony offre une chance d’obtenir un juste milieu : une série de science-fiction regardable par le grand public, pas nécessairement ébouriffante, mais enfin, bon, qui fait le boulot, et qui le fait plutôt proprement.
Ce n’est pas comme ça que naît une passion pour une série ; en revanche, c’est probablement ainsi qu’on ajoute à ses grilles une fiction dite « de genre » qui a des chances de durer un peu. Faut savoir choisir son camp dans la vie, eh bien USA Network a choisi.