Tout allait formidablement bien dans la vie d’Alice Lambert : une solide carrière dans la médecine hospitalière ; un mari aimant, Laurent ; un jeune bébé qui vient de fêter ses 6 mois, Tara ; une jolie maison… Donc forcément ça ne pouvait pas durer.
Le lendemain de la fête célébrant les 6 mois de Tara, Alice est la cible de coups de feu qui l’atteignent en plein torse, au beau milieu de son living. A son réveil, elle apprend que son mari est mort, et qu’elle était plongée dans le coma pendant plusieurs jours. Mais le pire, c’est que la petite Tara a été enlevée…
Pour ceux qui en avaient marre des séries dans lesquelles une adolescente ou un petit garçon a disparu, Une Chance de Trop se donne les moyens d’innover et met en scène l’enlèvement d’un nourrisson. Bonne chance pour trouver une victime encore plus tragique pour le prochain thriller ; à l’heure où nous parlons, quelque part (et les probabilités sont fortes pour que ce soit en Scandinavie), des scénaristes sont peut-être en train de plancher sur l’enlèvement surprise d’un fœtus. Vous riez maintenant mais quand ça sera diffusé, vous serez devant, bande d’hypocrites.
Blague à part, Une Chance de Trop démarre sans grande originalité, mais je dois reconnaître qu’initialement, ma réaction devant le pilote a été de me décrisper et de me dire que c’était pas aussi pire que ce que je m’étais figuré. C’est pas bon, si vous voulez, mais enfin je m’attendais à ce que ce soit franchement mauvais.
Il faut dire que dans le premier épisode en question, Alexandra Lamy fait vraiment son possible pour rester raisonnable. Quand elle a l’opportunité de rester clouée dans son lit d’hôpital et de rendre les paliers successifs de l’horreur par lesquels son personnage passe, eh bien elle s’en sort très bien, et sa voix rauque fait d’ailleurs une bonne partie du boulot (quand je pense que sa maman lui a sûrement déconseillé de fumer, eh bah comme quoi…). Bon, hélas, elle n’est pas tout le temps au fond de son lit, mais on la sent essayer de proposer une interprétation mesurée, et c’est tout à son honneur.
Je vais être honnête avec vous, je m’attendais à bien plus de crises d’hystérie, vous savez, ces scènes pendant lesquelles les personnages hurlent (et où toutes les phrases commencent par « mais », vous avez remarqué ça ? « Mais c’est pas possible ça ! », « Mais tu vas parler ! », « Mais où elle est ? », « Mais dis-moi ! », parfois si on a de la chance, ya « putain » devant encore, là on sait que quelqu’un va tout faire péter dans deux minutes), et les acteurs semblent raccourcir leur espérance de vie à force de s’énerver dans tous les sens même quand il ne se passe rien (« putain mais passe-moi le pain ! »). Certains semblent même à deux doigts de l’infarctus (« mais putain mais réponds ! »). Sérieusement, si ya bien une chose que je méprise par-dessus tout, dans les séries françaises (et pourtant les candidatures sont nombreuses), ce sont ces épisodes où tout le monde glapit sans arrêt pour montrer qu’il y a de la tension. Ça devient très rapidement le rendu par défaut de toute une gamme d’émotions : la surprise, l’horreur, la peur, la colère… Personne n’a jamais de Lexomil dans son sac, dans les séries françaises. Ça me manque souvent. Alors quand Une Chance de Trop a commencé de façon relativement digne, je me suis dit, ah tiens, cette fois on ne va pas avoir droit aux crises d’hystérie.
…Elles sont venues par la suite, je vous rassure. C’était une feinte. A partir du deuxième épisode, ça va aller crescendo, tout le monde va devenir très nerveux en permanence. En fait, à partir du deuxième épisode, Une Chance de Trop est un piège qui se referme sur le téléphage de bon goût avec violence. Non seulement ça s’énerve sans arrêt, mais en plus ça fait n’importe quoi.
Les personnages, présentés très brièvement dans l’épisode d’exposition parce qu’on est tout de suite passés au cœur du problème (l’enlèvement de Tara et la demande de rançon), s’avèrent en fait extrêmement limités. Sur le coup, dans l’urgence, ça passait, mais plus le temps passe plus ça devient problématique. C’est là que se commet le vrai crime d’Une Chance de Trop : les personnages n’existent que par leur fonction dans l’histoire. Ils ont été créés pour vivre ce drame, jouer leur rôle dans l’intrigue, et tout ce qu’ils ont expérimenté avant, pendant et après l’enlèvement de Tara n’est abordé qu’en lien avec celui-ci, soit parce qu’il s’agit d’une pièce du puzzle, soit, même, parce qu’on a besoin d’une fausse piste (et Une Chance de Trop adooooore mettre en place un truc uniquement pour nous dire qu’en fait c’était une fausse piste). Une fois qu’il s’avère que le sujet est une voie sans issue, il n’est plus jamais abordé, parce qu’apparemment rien ne touche les personnages si cela ne conduit pas à une résolution de l’enquête. Et du coup ça fait que chaque fois qu’un personnage semble orienter Alice vers une piste, il disparaît dés qu’il n’a plus de fonction ; parce qu’Alice, les gens, elle en a rien à péter. Du coup ya plein de personnages secondaires qui auraient pu enrichir son parcours, qui se voient kelleyrisés sans autre forme de procès parce qu’ils ont fait le job et sont bons à jeter.
La seule exception à cette règle, ce sont les deux flics chargés de l’enquête sur l’enlèvement qui, n’ayant rien à faire (j’y reviens dans un instant), vont passer leur temps à balancer des petites réflexions sur tout et rien. Une initiative que j’aurais appréciée si les personnages avaient eu une autre fonction que faire perdre du temps à tout le monde, mais enfin notons-le quand même, ce sont paradoxalement les personnages les plus multidimensionnels de la série. C’est vous dire le marasme.
Plus largement la série ne parle d’absolument rien : elle est toute entière engloutie dans ce thriller supposément haletant (ouais oh ça va, moi aussi si je fais semblant d’introduire des trucs juste pour qu’il y ait de l’action mais qu’en fait ça serve à rien faire avancer, je peux écrire des trucs haletants). Une Chance de Trop existe dans un néant cosmique, hors du monde, elle est emballée sous vide. Tenez, par exemple dans le premier épisode, Alice a reçu une demande de rançon et tente de rejoindre le point de rendez-vous donné par les ravisseurs, qui lui délivrent des instructions par téléphone ; évidemment la police n’est pas cordialement invitée, donc des enquêteurs suivent l’intéressée à distance, mais ce qui est intéressant, c’est que leur supérieur est au Quai des Orfèvres en train de suivre tout cela sur des écrans de cameras de surveillance. ET TOUT PARIS EST VISIBLE COMME CA. Sérieusement, personne ne peut faire trois pas à Paris sans être vu par une camera de surveillance de la police, dans l’univers d’Une Chance de Trop (dans la réalité ce n’est pas aussi simple parce que beaucoup de cameras à Paris sont privées, genre magasins, etc., et du coup bonne chance aux flics pour y avoir accès en temps réel). Eh bien personne ne va s’en émouvoir un instant, genre par une petite phrase surprise, ou narquoise, ou même, on est sur TFHein, satisfaite. Non, le scénario dit qu’il y a besoin de cameras, donc ya des cameras, et c’est marre.
Et tout est à l’avenant ! On va parler dans Une Chance de Trop, par la suite, de petite délinquance, de trafic d’enfants, ou encore de co-parentalité, mais personne ne va vraiment EN parler ; ce sont juste des ressorts pour que le scénario puisse rebondir d’un retournement de situation à un autre, et justifier le fait que tout le monde court et crie à longueur de temps (et tire avec des flingues ; dans Une Chance de Trop il y a plus de flingues que de personnages kelleyrisés). A cause de cette paresse, dans Une Chance de Trop, la fin ne justifie que le très moyen.
Je sais bien qu’on a ici affaire à un thriller, mais notez qu’il n’est pas totalement interdit de bien écrire un thriller. Parfois, « même » un thriller peut être réussi. Disons que ça s’est déjà vu. Et accessoirement, un thriller qui s’inscrit dans le réel, avec des préoccupations réelles, des émotions réelles, des remarques réelles, eh bien figurez-vous que ça a plus d’impact sur le spectateur.
Encore une fois, j’ai bien conscience qu’on est sur TFHein, où, sorti d’un climat anxiogène, on n’est bon à rien. Ça ne m’oblige pas à cautionner le résultat.
Mais même dans sa poursuite effrénée du thriller qui fait transpirer à grosses gouttes sur son sofa, Une Chance de Trop n’est vraiment pas brillante. La cause ? Son obstination à ériger Alice Lambert en une victime perpétuelle. Car non seulement son mari a été tué, sa fille kidnappée, et quelques uns de ses organes perforés, mais en plus elle est rapidement soupçonnée par les deux enquêteurs qui planchent sur son affaire.
Et, il faut le dire, cette obstination à faire porter le chapeau à Alice Lambert est l’exemple le plus révoltant de contre-deus ex machina qu’il m’ait été permis de voir. A l’encontre de toute logique, à chaque fois que les résultats de l’enquête tendent à dire « bleu », les enquêteurs vont se regarder et deviser de la raison pour laquelle l’enquête est « rouge ». Rasoir d’Ockham, connaît pas ! Oui, absolument, Alice s’est elle-même tiré dans le dos pour faire croire qu’elle avait été prise pour victime, c’est finement joué ! Elle a passé dix/quinze jours dans le coma, pendant lesquels on a eu tout le temps du monde de fouiller sa maison, de retracer ses faits et gestes (avec les cameras dans tout Paris, hin hin) et d’interroger ses proches, mais Alice a probablement toujours eu Tara avec elle ! Sa machination pour faire croire à un rapt est le fait de sa cupidité, elle voulait de l’argent qu’elle a utilisé à ne rien du tout changer dans les deux années qui suivent l’enlèvement. Et la raison pour laquelle elle passe son temps à supplier la police de fournir plus d’efforts pour retrouver Tara ? Une preuve accablante de sa culpabilité je suppose…
J’ai très envie de vous montrer l’encoche que j’ai faite dans mon bureau à force de me taper la tête dessus, mais c’est trop gore. Dans Une Chance de Trop, on se retrouve dans la situation absurde où ya 3 personnages de flics en fonction au générique, plus 3 ou 4 autres personnages secondaires, et où on trouve le moyen de n’en avoir AUCUN qui réfléchisse à la corrélation entre les éléments sous ses yeux et les conclusions qui en sont tirées. Ça ne les choque pas du tout de partir dans des grandes théories à la con que rien ne soutient, et de systématiquement ignorer toutes les pistes qu’Alice tente de leur apporter. Ah ça par contre, pour se jeter un regard complice et demander « et toi, avec tes beaux-parents, tu t’entends bien ? », là ya du monde. Punaise, si même TFHein n’arrive pas à produire une série qui fasse l’apologie de la compétence des flics, notre société est au bout du bout.
Fort heureusement, il y a un autre flic dans l’entourage d’Alice : son ex, Richard. Enfin, non, c’est compliqué : Richard est flic, mais en fait il est pas flic, mais de toute façon il est mis à pied. Et puis il brise les règles, il vole de l’argent, il est prêt à tirer sur des gens… bref c’est un bad boy avec un bon fonds, et surtout une super expertise. Ça permet à Alice de continuer de jouer les victimes ; il ne manquerait plus que l’héroïne de la série soit capable de résoudre ses propres problèmes ! Et comme, par chance, le mari d’Alice a cané dans le premier épisode, vous vous doutez bien qu’Alice et Richard vont tôt ou tard remettre le couvert. Comme c’est pratique. Et romantique aussi, surtout quand il s’avère que Richard suivait Alice sur son lieu de travail et appelait chez elle et tout. La France s’émeut. La love story parfaite pour un navet parfait.
Ce n’est d’ailleurs pas la seule histoire d’amour : les deux « méchants » de la série, qui ont enlevé Tara pour de vrai et qui ne sont pas inquiétés un quart de seconde par les flics pendant 90% de la saison, s’avèrent être des amants passionnés. Tellement passionnés que quand ils doivent envisager de peut-être être séparés, monsieur tape madame pour lui laisser des bleus pour faire croire à la police qu’elle était maltraitée et forcée à une vie de crime. De toutes les scènes inutiles et gratuites d’Une Chance de Trop, celle-là a d’ailleurs été la scène qui m’a fait vomir sur l’encoche de mon bureau. Ils s’aiment tellement qu’il doit la battre, c’est superbe, j’en ai regretté que ce ne soit pas monté sur une chanson de Bertrand Cantat. Adding injury to insult.
A la fin de ses 28 épisodes… non, quoi ? Seulement 6 ? Ah bon, il ne paraissait pas. Au temps pour moi. Donc : à la fin de ses 6 épisodes, Une Chance de Trop est ainsi passée de « série pas spécialement bonne mais que je peux imaginer supporter pour quelques heures de plus » à « fléau de mon existence ». Je n’avais plus ressenti une telle haine pour une série française depuis longtemps. La seule façon de rendre cette mini-série plus indigeste aurait été d’y insérer une apparition de l’insupportable Lorànt Deutsch.
Le pire, c’est que plus les épisodes passaient, plus je me raccrochais à des détails pour tenir : « allez, ça fait hyper longtemps que t’as pas regardé une série de TFHein en entier ! », « oh non mais quand même, elle donne tout ce qu’elle a, Lamy, même dans ce contexte », « mais ils sont très bien les rideaux des criminels, quel est le problème ? », « oh la couleur du générique change à chaque épisode, c’est… euh, une idée ? ». Je n’ai jamais vécu une telle expérience du désespoir téléphagique, et pourtant j’avais regardé le premier épisode de Work It en entier.
Cette année, l’air de rien, j’aurais testé pas mal de séries françaises, certaines avec une forme de joie, même. Mais une série de TFHein écrite par le maître du thriller de gare ? Jamais, vous m’entendez ? Plus jamais. C’est bon, j’ai donné.