Il vous aura difficilement échappé qu’aujourd’hui démarre la deuxième saison de Transparent sur Amazon ; la série n’a besoin, à vrai dire, d’aucune sorte de publicité à ce stade (chacun y allant de sa petite formule pour participer aux flot d’éloges), mais je me suis dit que ce ne serait pas plus mal que d’en profiter pour faire le point sur la saison 1, dont la mise en ligne paraît si loin déjà.
Transparent est uniquement de par son sujet de départ, c’est évident : la transition de Maura Pfefferman. Malgré cela, vous me voyez rarement m’épancher sur la série dans ces colonnes. Je m’apprête à vous expliquer pourquoi, malgré toute l’affection que je porte à la série et plusieurs de ses personnages, j’ai du mal à y voir une série d’une qualité affolante.
Non qu’elle soit mauvaise. Simplement cette première saison est d’une grande imperfection à mes yeux. A plusieurs reprises pendant ces 10 épisodes, j’ai eu l’impression de ne pas assez suivre le parcours de Maura, quand il aurait dû être central ; pire, la série ne m’a pas toujours semblé savoir où elle voulait aller avec les autres personnages, ce qui n’a rendu ma déception que plus cinglante.
« Peut-être que mon problème n’est pas tant avec Transparent qu’avec moi-même », me suis-je demandé à plusieurs reprises pendant le visionnage. J’avais ressenti un coup de cœur violent devant son pilote, et avais eu tout le temps, une fois la commande de la série annoncée, de m’imaginer ce à quoi la série allait ressembler ; une période dangereuse s’il en est, pendant laquelle la limite entre ce que l’on a vu, ce que l’on a ressenti, et ce que l’on espère, se brouille. La question est récurrente pour moi qui regarde tant de pilotes avec délice : entre déceler du potentiel, et prédéterminer la route que devra prendre la série par la suite, comment faire la part des choses ? Du coup, une fois cette première saison sous les yeux, j’avais du mal à parfois dire si j’étais déçue que les choses n’aillent pas du tout dans la direction espérée, ou si c’était vraiment la série qui se tâtait. Au fond c’est sûrement un peu de deux, ce qui n’arrange pas mon problème.
Pour vous donner un exemple concret, Ali et Josh Pfefferman étaient initialement deux personnages qui m’intriguaient. Tous les enfants Pfefferman étaient, de toute façon, initialement présentés comme des variations sur le thème de « devenir soi-même » (une thématique qui me séduisait comme rarement, et qui évidemment collaient à l’intrigue centrale de Maura), mais Ali et Josh semblaient plus emmêlés dans leurs contradictions que Sarah, et ils m’intriguaient à cet égard. Le fossé qui séparait la vie sexuelle « officielle » de Josh et celle qu’il menait en secret avec une femme, plus âgée, moins mince, moins évidente en somme, était fascinant, et j’avais envie de découvrir comment il s’expliquait cette dissonance entre ses désirs. Ali semblait vivre emmêlée dans une série de complexes, partagée entre un rapport au corps sans affection, et une envie de se penser comme créative mais qui n’aboutissait à rien professionnellement (là encore, music to my ears). Mais finalement aucun de ces deux personnages ne va avoir l’opportunité de délayer sur ces thèmes, passant d’un rebondissement à un autre pour finir la saison dans des problématiques différentes. Pas inintéressantes ! Mais fondamentalement différentes de ce que je voulais voir abordé et décortiqué.
Il en va ainsi de tous les personnages secondaires, ou presque (les développements autour d’Ed étaient ceux que j’avais anticipés), et c’est clairement le cœur de mon problème avec Transparent. C’est l’éternelle question, lorsque des changements se produisent dans une série qu’on regarde évoluer : comment concilier aimer et avoir aimé ? On se figure qu’on a généralement plusieurs saisons avant de se poser la question pour une série américaine, mais au bout de 10 épisodes, j’en étais déjà rendue à ce stade.
Au-delà de cette frustration, Transparent a le mérite d’aller, généralement, là où il m’a semblé qu’elle le « devait » concernant le personnage de Maura. Certes j’aurais voulu que la transition de Maura occupe plus d’espace dans les épisodes, mais c’est plutôt un témoignage de mon intérêt envers elle, plutôt qu’une critique de la série à proprement parler. C’est le genre de concessions qu’il faut savoir faire devant un ensemble show, et, ma foi, peut-être que j’aurais préféré que Transparent ne soit pas un ensemble show à tout prendre, mais on ne va pas changer l’histoire.
Il y a pourtant eu un gros bémol : là encore la trajectoire de Maura a été tracée avec une certaine inconstance qui m’a parfois déstabilisée. Pour prendre un autre exemple concret : les « flashbacks » (qui n’en sont pas exactement, au sens où ils servent d’outils de narration mais ne semblent revenir à la mémoire d’aucun personnage en particulier au moment où ils sont montrés). Pour commencer, leur apparition est très irrégulière : ils peuvent parfois ouvrir un épisode, ou en constituer la totalité. Leur précision varie donc, passant d’un simple instantané à une véritable radiographie de plusieurs heures consécutive de la vie de Morty en train de devenir Maura… ou de ses enfants (ce qui là encore j’ai ressenti comme une nouvelle désorientation). Ce qui ne veut pas dire que je regrette d’en avoir vu un seul ! En fait, ils accomplissent souvent bien plus pour décrire Maura et ses préoccupations que certaines scènes contemporaines. Mais leur forme m’a désarçonnée.
Et évidemment, la forme de ces flashbacks (for a lack of better term) est au cœur d’une autre problématique téléphagique, née de la culture des séries de SVOD et de leur terraforming de nos habitudes sérielles : en redéfinissant la valeur d’un épisode, les Amazon, Netflix, Hulu et autres Crackle nous obligent à revoir nos exigences à court terme. Non, un flashback n’est pas obligé de tenir le même rôle structurel (et un peu gimmick) d’un épisode à l’autre, en ouvrant systématiquement une nouvelle demi-heure… une nouvelle demi-heure n’ayant pas réellement de sens.
La question dépasse donc largement les seuls défauts et qualités de Transparent ; reste que lorsque je me trouve devant cette série, que je consomme, ou non, en binge watch (et j’aimerais énormément que les séries de ces plateformes ne tentent pas de me forcer la main comme ça peut être le cas si souvent), je ne prends pas toujours autant mes aises que je le souhaiterais. J’ai l’impression d’être sans cesse sortie de mon immersion, et je dois me forcer à accepter ces nouvelles données comme étant en fait partie intégrante de l’ADN de la série. Je n’ai pourtant pas l’impression de ne pas être flexible dans la façon dont j’aborde une série, sa structure ou son ton ! Mais rien à faire dans le cas présent.
Il m’est donc un peu difficile de me sentir à l’aise devant une telle série. Je me dis que parfois, ne pas révolutionner la télévision a du bon, quand on s’attaque déjà à un thème totalement inédit en soi. Ce n’est pas comme si j’avais le choix entre 10 Maura différentes à la télévision. Si Transparent ne me satisfait pas, me force à être totalement sur le qui-vive alors que j’aurais voulu m’absorber toute entière dans l’affection que je porte à ses personnages (y compris ceux qui y tiennent un rôle trop secondaire à mon goût, comme Shelly), ou m’imprégner de l’ambiance familiale si vivante des Pfefferman (j’ai une adoration pour leurs trop rares scènes de groupe, à l’instar du dîner final de la saison), eh bien… il n’existe aucun équivalent chez la concurrence qui me contentera un peu mieux. Pas avec ces personnages et nombre de leurs situations, de toute évidence.
Je ne me fais aucune illusion. Je vais regarder la saison 2 de Transparent ; mais je vais prier pour qu’elle oscille moins (et qu’elle me pousse à osciller moins, aussi), afin de pouvoir apprécier un peu plus le parcours de Maura, ainsi que les innombrables thématiques corollaire de ce petit clan sur la religion juive (qui tient ici, comme rarement dans une série US, une place centrale) ou la vieillesse. Peut-être que si la forme de Transparent parvient à lui faire prendre le temps de faire plus qu’effleurer ces sujets à mes yeux, je m’adapterai mieux à ses coups de tête.