On sera tous d’accord pour dire que le mois de novembre 2015, personne ne va le regretter quand il va disparaître dans quelques heures.
Les quinze derniers jours ont été difficiles pour nous tous, et chacun d’entre nous aura eu sa part d’expériences communes, d’anecdotes personnelles et de questions intimes, provoquée par les évènements de ces deux dernières semaines.
Je vous épargne donc les miennes ; mais je voulais dire quelques mots sur les répercussions téléphagiques de tout cela, telles que je les ai vécues, en corollaire.
Une chose est sûre : comme chaque fois lorsqu’un évènement majeur se produit et que les enjeux émotionnels sont élevés, il m’a fallu adapter mon rapport aux séries, parfois même le repenser. Tout simplement parce que la télévision n’est pas seulement ce qui meuble mes journées (comme d’aucuns pourraient le penser), mais aussi alimente ma réflexion ou m’aide à gérer mes émotions.
Se pose, dans de telles circonstances, la question de savoir tout simplement comment réapprendre à réfléchir ou ressentir sans se laisser submerger parce ce qui se produit. Comment prendre du recul… alors que les émotions sont si intenses ? Comment réfléchir posément aux dominos… alors même qu’ils sont en train de se pousser les uns les autres en l’espace de quelques heures ? Comment même se changer les idées… alors qu’on se sent obsédé par les nouvelles qui affluent ?
Il me semble souvent dans ces cas-là que la télévision devrait m’apporter des réponses comme en d’autres temps de crise précédents (certes différents factuellement, mais pas toujours émotionnellement).
En théorie, je crois fermement que la télévision, a fortiori la télévision internationale, est précisément l’outil tout désigné pour répondre à un peu toutes ces questions ; pas forcément à la fois, mais (avec un peu de recherche et quelques heures de visionnage de séries différentes) en une même journée voire une même semaine. Peut-être peut-on à la fois posément essayer de reprendre le contrôle des émotions ET essayer d’acquérir une vue en plan un peu plus large de ce qui nous tourmente ; peut-être même peut-on trouver le moyen de s’échapper pendant quelques minutes dans un autre monde, si vraiment on a trouvé pile la bonne série pour cela.
Ce n’est pourtant que la théorie. Car dans les faits, il en va autrement : il y a des évènements pendant lesquels on n’arrive pas à opérer toutes ces manœuvres pourtant salvatrices.
Les jours, qui paraissaient encore plus longs qu’à l’ordinaire, ont été constitués de plusieurs phases. D’abord celle pendant laquelle j’avais du mal à décoller mon nez des informations (et de ma timeline Twitter) et lors de laquelle je n’ai réussi qu’à achever de regarder Flesh and Bone pour sa noirceur complexe. Tout le reste a été abandonné ; par exemple j’avais commencé deux jours plus tôt à préparer plusieurs articles autour de la fiction française, dont un billet d’humeur sur celle-ci, une point de vue narquois sur le premier épisode d’Au Service de la France, ou une review de la saison intégrale d’Une Chance de Trop, mais je n’ai plus eu la force. De toute façon je crois que ç’aurait certainement été de mauvais goût. En fait à ce stade, toute volonté d’esprit critique m’avait abandonnée et je n’arrivais de toute façon plus à avoir envie de publier du tout. J’avais besoin de vivre ma téléphagie pour moi, ça semblait déjà assez difficile comme ça.
Ensuite est venue, plus longue, la phase pendant laquelle il m’a été strictement impossible de regarder quoi que ce soit ; je suis restée en boucle sur Flesh and Bone, parce que je me sentais perdue pour aborder un autre produit de fiction tandis que la réalité me touchait autant. C’était un choix semi-conscient, mais qui m’a fait interrompre mon visionnage d’autres séries (dont les comédies Crazy Ex-Girlfriend et Boomerang, que j’espère reprendre prochainement, mais dont le ton était trop éloigné du présent), et m’a finalement laissée sans rien à regarder. Je me suis alors tournée vers la recherche et la documentation, modifiant le planning des fun facts afin d’y parler de séries internationales reflétant mes préoccupations. Il ne s’agissait pas vraiment regarder des séries, mais c’était une façon d’utiliser tout de même la fiction sérielle pour essayer de répondre à mes angoisses personnelles (et, si j’en crois les retours en commentaire et surtout sur Twitter, quelques unes des vôtres).
Le plus difficile a finalement été la seconde semaine. Quand tout le monde autour de moi semblait avoir repris (parfois depuis plusieurs jours, parfois plus fraîchement) le train-train quotidien. Voir les téléphages de mon entourage discuter d’audiences, de renouvellements, d’annulations, de projets et des commandes, se chicaner sur le dernier Doctor Who ou s’agacer d’un épisode mou de The Good Wife, avait quelque chose à la fois de réconfortant… et de profondément dérangeant dans l’état où je me trouvais. Je lisais des tonnes de choses et je n’avais envie de m’intéresser qu’à une seule.
A ce stade-là je ne regardais plus rien du tout ; j’ai fini par combler le vide avec le visionnage de films d’animation (généralement déjà vus dans mon enfance, notamment), et je suis entrée dans une phase d’escapisme qui ma finalement permis de m’isoler dans ma bulle pendant que le monde tentait de tourner à peu près rond à nouveau.
Depuis quelques jours, j’essaye de me remettre le pied à l’étrier et je crois que j’ai abordé là une phase transitoire vers un retour à la « normale ». Ce weekend j’ai regardé des sitcoms que je n’affectionne pas plus que ça, dont la formule ou les ressorts humoristiques n’ont rien de renversant mais qui, comme on dit, « font le boulot » (en l’occurrence un revisionnage des 2 premières saisons de Mom, et quelques épisodes de la saison 8 de The Big Bang Theory, inédite pour moi). Dimanche pour la première fois, j’ai ressorti ma documentation, mes liens, mes outils de traduction, et mon clavier, pour écrire un article ; ce que j’avais soigneusement évité de tenter depuis quinze jours. Je crois que je suis prête à faire semblant que « la vie continue » à nouveau. Vous lirez cet article demain matin.
Tel a été mon périple téléphagique au cœur de cette quinzaine insoutenable. Je ne doute pas, chers lecteurs, que vous ayez eu le vôtre ; si vous le souhaitez, vous pouvez tout-à-fait le partager ci-dessous en commentaire. Les quinze jours m’auront aussi rappelé combien il est important d’être entourés par ceux qui nous comprennent, même pour les « petites choses » comme la télévision (tant de choses semblent plus petites en ce moment).
Parfois je me sens encore un peu indigne à parler de séries alors que tout semble tellement différent autour de nous. Parfois cela semble nécessaire pour parler de problèmes du moment tout en se réfugiant derrière une abstraction que seule la fiction peut fournir. Et parfois ça fait juste un bien de malade d’avoir une série dans laquelle se réfugier, pour quelque motif que ce soit.
Il y a, il y a eu, et il y aura toujours une série pour nous aider à faire ce travail sans forcément nous plonger trop profondément dans nos angoisses ; je me rappelle qu’en janvier, ça m’avait fait énormément bien d’avoir tout juste achevé un binge watch de la saison 1 de The Leftovers et d’écrire à son sujet ; il y a 5 ans, lorsque freescully est décédée, c’étaient Gravity, Rude Awakening et In Treatment qui m’avait fait tenir le coup.
Il y aura encore des moments pendant lesquels nos peurs, nos tristesses, nos colères et nos incompréhensions vont jalonner nos visionnages, et teinter notre regard sur les séries. C’est aussi totalement humain de parfois reporter un visionnage, ou au contraire l’avancer, pour gérer au mieux ce qui nous passe devant les yeux au nom du divertissement ou de la réflexion, quand déjà l’actualité nous inflige des émotions complexes.
Mais il y aura, aussi, de plus en plus de moments pendant lesquels on ne regardera pas un sitcom pour oublier la réalité pendant 20 minutes, mais parce qu’il est sincèrement drôle ; où l’on ne se renseignera sur une série pakistanaise parce qu’elle parle de terrorisme, mais par pure et délicieuse curiosité ; où l’on ne repensera pas à une série de guerre parce qu’elle parle de guerre, mais parce qu’on l’aime depuis qu’on a 14 ans. Et petit-à-petit, nous autoriserons à nouveau la télévision à remplir ses nombreuses missions, qui font partie de notre slalom dans le labyrinthe de « l’après ».