Alors je sais pas pour vous mais ce nettoyage de mes archives me fait le plus grand bien ! C’est mon 5e pilote aujourd’hui et je suis motivée comme rarement pour regarder des trucs qui prenaient la poussière depuis des lustres sur mon disque dur, et ça donne des résultats étonnants : même une série que je repoussais depuis des années, je me mets à la regarder !
Cette série, en l’occurrence est Krøniken, LA série historique danoise du 21e siècle, celle qui a battu tous les records et qui reste la référence absolue en matière d’audiences. Jusqu’à aujourd’hui, chaque fois que je tentais de me mettre devant, j’avais toujours une bonne excuse (« j’aime pas les period dramas » étant, honnêtement, le plus récurrente ; « j’ai vu trop d’extraits pour l’apprécier » étant par contre la plus ridicule), mais puisqu’en cette belle journée de novembre, j’explore les tréfonds de mes archives, c’était un peu le moment où jamais.
Pour ceux qui dans le fond roupillaient les fois précédentes où j’en ai parlé, rappelons que Krøniken est une gigantesque fresque sur l’Histoire du Danemark vue par différents personnages vivant dans l’après-Guerre. Le plus important d’entre eux est Ida Nørregaard, une jeune femme venue de Province qui est pleine d’ambition : elle a décroché une bourse scolaire, et entend bien mener de front un cursus traditionnel en économie domestique et la poursuite d’un certificat d’études avancé. Hélas la série commence en 1949 et si son entourage n’a aucun problème avec le fait qu’elle apprenne à se servir d’un four, elle rencontre quelques résistances quant à son projet de poursuivre ses études. Ni une, ni deux, elle décide de plaquer l’économie domestique, de prendre un travail en journée pour suivre ses cours à l’université le soir, et d’emménager dans une colocation. Le revirement est donc total.
Ida est une femme intelligente et volontaire, c’est un fait, mais elle est également plutôt veinarde : elle décroche en effet un travail de secrétaire-comptable au sein de l’entreprise Bella, un fabricant de radios. Vu les dates, vous l’aurez compris, elle va être ici dans une position privilégiée pour assister à l’émergence de la télévision au Danemark.
Autour d’Ida se créent toutes sortes de portraits : du patron de Bella, le sévère M. Nielsen, à Karen Jensen, la mère célibataire communiste avec qui elle partage un appartement, Krøniken propose toutes sortes d’angles à partir desquels observer les mutations de la société danoise, côté pauvres comme côté riches, côté hommes puissants comme côté femmes en quête d’indépendance.
On ne peut pas dire que la démarche de Krøniken soit unique, mais il faut préciser que bon nombre de séries à s’être frottées à une ambition similaire (utiliser l’évolution d’un média pour retracer l’évolution d’une société) lui ont généralement emboîté le pas ; Krøniken pourrait presque être qualifiée de prédécessrisse de séries comme The Hour, Goedenavond Dames en Heren, ou bien, alleeeeez, tant qu’on en est là, Mad Men. « Presque » parce que, si je soupçonne les Néerlandais d’avoir connaissance de la série danoise, je nourris beaucoup plus de doutes quant à l’ami Weiner. Mais qu’importe : vous saisissez l’idée. Et la démarche reste plus ou moins la même, celle de faire quelque chose qui semble à la fois fidèle à une époque, et suffisamment moderne pour en parler au spectateur d’aujourd’hui ; une forme de réécriture de l’Histoire qui permet d’aborder les décennies passées en les présentant sous la forme d’un progrès, alors même que l’époque est loin d’être rose.
Krøniken trouve plutôt bien le ton nécessaire à cet exercice, en présentant des personnages généralement positifs voire simplistes, et en enfilant des scènes généralement faciles à regarder (à l’exception d’une seule, très brutale, sur la fin de ce premier épisode). Bref, en cultivant un côté suffisamment grand public pour ne froisser personne tout en ayant l’air d’avoir quelque chose à dire.
De ce fait, cet épisode d’ouverture de Krøniken se laisse regarder gentillement, mais manque parfois de passion, et surtout de profondeur. Au terme de cette première heure de télévision danoise, on a un peu l’impression de voir où tout cela est supposé nous mener, aucun personnage n’étant d’une subtilité ravageuse, et aucune intrigue ne recelant plusieurs niveaux de lecture ; en outre, la façon dont progressivement, tous les personnages semblent voués à être liés les uns aux autres par le plus grand des hasards, n’aide pas vraiment à prendre tout cela très au sérieux.
Mais qu’importe : la vocation de Krøniken n’est pas nécessairement de faire de la télévision d’exigence, mais plutôt de la télévision publique de qualité. C’est précisément dans le recoin où se loge la nuance, qu’on trouve l’explication à ses audiences et sa réputation. Ce n’est pas une série qu’il faut avoir vue pour une autre raison que cela. Mais je suis tout de même contente de m’y être attelée. Pour les épisodes suivants, par contre, il me faudra peut-être une autre journée d’archivage.