Tout avait commencé sur un coup de tête : après la rédaction d’un fun fact, j’avais revu le pilote d’Everwood et décidé dans la foulée de regarder la saison 1. A la fin de la saison 1, j’ai embrayé sur la saison 2, et il a bien fallu se rendre à l’évidence : j’étais partie pour me faire une intégrale. Une intégrale totalement imprévue, donc, et qui aura, pendant un peu moins de deux semaines, presqu’entièrement phagocyté le reste de mon menu téléphagique (pour simplifier je n’y ai fait de la place que pour quelques pilotes et à Crazy Ex-Girlfriend, clairement ma nouveauté préférée de la rentée).
Si je ne regrette aucun des 89 épisodes vus pendant ce court intervalle, je suis tout de même soulagée d’être arrivée au bout : Everwood est le genre de série à insister énormément sur la dimension sentimentale de ses intrigues, et ne se regarde jamais totalement avec détachement ; du coup, le marathon s’avère parfois un peu éprouvant. Et même si Everwood revendique d’être un feelgood drama, il s’avère qu’un feelgood drama m’est difficile à regarder par les temps qui courent, en particulier s’il est familial.
Se lancer dans le visionnage d’une série telle qu’Everwood m’a aussi fait réaliser que les amateurs de la petite ville du Colorado n’avaient rien à envier aux Browncoats en termes de fidélité à une série pourtant éteinte depuis des années : la plupart de mes tweets d’étape sur Twitter ont été reçus avec une surveillance qui m’a semblée accrue, et que je n’ai certainement pas ressentie quand je me suis envoyée des épisodes de Defiance (je dois d’ailleurs finir le bilan de la saison 2) quelques jours plus tôt, par exemple. Les fans d’Everwood ne se manifestent peut-être pas souvent et de façon aussi visibles que d’autres, mais qu’on ne s’y trompe pas, ils ne dorment que d’un oeil et le cri de ralliement « Foreverwood » n’est jamais très loin.
Ce visionnage paraissait donc chargé émotionnellement à bien des égards. Aussi, ce bilan des 4 saisons arrive à point nommé pour faire le point sur cet enchevêtrement d’enjeux, et tourner la page aussi sereinement que possible.
Comme je m’y attendais lorsque je vous parlais du pilote voilà deux semaines de ça, les histoires de cœur, dans Everwood, ne m’ont pas particulièrement fascinée. Ce qui est dommage parce que… les histoires de cœur, dans Everwood, ça ne manque pas ! Et de façon inéluctable, certaines sont inlassablement remises sur le tapis, ce qui ne joue pas toujours en ma faveur.
Vous le savez, la romance, ce n’est pas mon truc. Eh bien pas de chance, c’était vraiment beaucoup le truc d’Everwood, et parfois ça m’a demandé beaucoup de patience. Avec les saisons, je me suis rendue compte que j’étais, cependant, plus encline à pardonner certaines amourettes que d’autres. La valse hésitation d’Ephram et Amy ? Je pensais m’en lasser plus vite mais finalement, il y a eu des moments où elle m’était tolérable.
En revanche j’ai vécu, notamment sur la seconde moitié de mon visionnage, une expérience similaire à celle de Gilmore Girls.
Il faut dire que lorsque j’avais découvert Gilmore Girls sur France2, initialement, j’étais charmée par Lorelai Gilmore et, à vrai dire, étant sur la fin de mon adolescence, je l’admirais aussi d’une certaine façon. Mais lorsque je me suis fait, pour la première fois, l’intégrale de la série par un bel été voilà trois ans (à la faveur d’achats, certes tardifs, de tous les DVD… mais puisqu’on ne peut pas compter sur le service public !), j’avais découvert qu’en fait… je ne la supportais plus du tout ! Ses ballets amoureux m’ont alors très vite lassée ; reine de l’inconséquence et du coup de tête, Lorelai a passé son temps dans des relations sans issue, pour mieux se fâcher, se séparer, et ne jamais rien construire sur le long terme, ou alors tout bousiller sans autre raison que « mais sinon j’ai pas d’intrigue l’an prochain ».
Alors voilà, j’ai eu un peu la même réaction devant les tribulations du Dr Andy Brown : au début je l’adorais. J’ai passé à vue de nez une bonne saison et demie à apprécier ses réactions, vis-à-vis d’Ephram en particulier, et son sens de la repartie était délicieux même quand c’était pour parler de choses qui lui étaient difficiles. J’en ai versé, des larmes, devant ce père qui essayait de parler à son fils qui refusait d’entendre, à voir ces efforts de compréhension et de communication sur un coin de canapé, au coin du feu (car dans Everwood toutes les maisons ont une cheminée, et toutes les cheminées ont un feu allumé).
Bref, en tant que père et que veuf, j’adorais Andy Brown. Mais en tant que célibataire ? La plaie de mon existence ! Même quand tout allait bien, il fallait qu’il foute tout en l’air, ou au contraire qu’il se lance dans une relation sans queue ni tête… ou bien, tout d’un coup, sans raison apparente, qu’il se dise amoureux d’une nouvelle femme. Et alors très franchement, la plupart du temps, je ne voyais pas quelle mouche l’avait piqué. Là où encore, avec Ephram, bon, ok, ça restait cohérent dans l’ensemble, même quand c’était pas fascinant, eh bien avec Andy Brown j’avais juste envie de me trépaner avec mon disque dur. Et vous savez comme c’est douloureux, une trépanation au disque dur ? Non ? Bah je vous souhaite de ne jamais savoir.
A ce problème s’en est vite ajouté un autre : Andy Brown devient un père de plus en plus difficile à comprendre. Sa réaction dans « l’affaire Madison », la décision brutale et radicale qu’il prend, et son obstination idiote à s’y tenir sans raison valable, ont même fait du tort à Everwood à mes yeux. On parle d’une série qui mise sur la chaleur humaine, on l’a dit ; qui s’enorgueillit de rechercher l’authenticité dans ce qu’elle fait éprouver aux spectateurs… et qui se permet un retournement de situation des plus soapesques, totalement irréaliste. Dans quelle dimension un père cacherait-il à son fils que ce dernier a mis une femme enceinte ? Que l’enfant est peut-être dehors, ou peut-être pas, et ce pendant des mois ? Ça n’a simplement pas eu de sens à mes yeux (déjà que le coup du « c’est illégal mais je te laisse sortir avec une adulte » avait eu du mal à passer…). Plus tard, le Dr Brown fera machine arrière, admettra avoir eu tort, mais ce sera trop peu et trop tard à mes yeux ; Ephram lui a pardonné, moi jamais. Je ne comprends en fait pas que les scénaristes soient allés si loin dans une série qui pourtant semblait faire son possible, le reste du temps, pour rester « vraie ».
Fort heureusement, il n’y a pas que de la romance ou les décisions irrationnelles dans Everwood (…quand bien même son series finale ne semblait pas au courant de ce fait). Ce visionnage n’aura pas été une torture complète, je vous rassure, car je me suis prise d’affection pour ceux qui se plaçaient initialement dans la position d’outsiders : les Abbott.
Vous le savez comme moi, dans les ensemble dramas, on finit toujours par avoir « son préféré ». Le personnage qu’on se réjouit de retrouver quoiqu’il arrive, pour lequel on s’inquiète, pour lequel on a le cœur juste un peu plus réceptif que pour les autres. Pour moi, dans Everwood, ce personnage était celui du Dr Harold Abbott. En fait, je crois que je lui ai été sensible précisément parce qu’au départ il est traité comme un personnage de seconde zone, un clown blanc supposé donner la réplique à Andy Brown ; mais parce que Tom Amandes a un sens du timing épatant, peut-être, les scénaristes lui ont progressivement donné une place de plus en plus confortable dans laquelle s’épanouir complètement.
Le docteur Abbott n’est pas un simple négatif de son ennemi/collègue le docteur Brown, c’est un homme qui est conscient de ses limites, et ça le rend plus touchant que s’il n’était qu’un pur produit de cette ville de montagne. Ses valeurs conservatrices, sa foi catholique, son sens aiguisé de l’héritage et de la tradition, ne sont en fait que quelques unes des composantes de sa personnalité, et avec le temps et les intrigues, Everwood fait un travail délicieux pour en détailler toutes les nuances. Parfois au détriment d’autres personnages (l’infirmière Louise, qui elle ne dépassera jamais le statut de comic relief), mais devant les trésors déployés pour désembourber le personnage, il est difficile de retenir un juron d’admiration.
Et puis, parce que le personnage du Dr Abbott prend tant d’ampleur, c’est progressivement tout son univers qui prend de la valeur. Amy par exemple, n’existe plus simplement dans sa relation à Ephram (et/ou Colin), mais aussi en tant que fille. Après deux saisons un peu ternes, Bright trouvera également de l’épaisseur, une épaisseur d’autant plus difficile à introduire que le personnage avait longtemps été traité par-dessus la jambe, mais qui permettra une évolution sur plusieurs niveaux. Et la fin de la saison 3 comme l’essentiel de la saison 4 permettront aussi à Rose Abbott d’exister par elle-même, et non plus seulement dans l’ombre ou en opposition à Harold Abbott.
Ce petit clan m’aura, à vrai dire, bien plus passionnée que les histoires des Brown (à plus forte raison parce qu’il ne se passe rien dans la vie personnelle d’Andy Brown qui ne relève du domaine amoureux, là où les Abbott ont droit à des intrigues plus diversifiées).
Chez le Dr Abbott, on retrouve le dilemme qui semble fondateur dans l’existence de la série, là où personne ne confronte le Dr Brown, chez lui, à ses décisions ou ses valeurs.
C’est en fait ce dilemme qui m’aura vissée à mon siège pendant tout ce temps. Everwood est une série familiale, et derrière ce genre a priori réputé comme inoffensif se livre en fait une bataille ardue, avec d’un côté le désir d’incarner des « valeurs familiales » assez conservatrices, d’instaurer une ambiance small town chaleureuse mais traditionnelle, et des personnages rassurants… mais avec aussi, de l’autre, le souhait de se frotter à des thèmes actuels, modernes, complexes, sur un monde en mouvement. Même dans une petite ville logée au creux des montagnes du Colorado.
On m’avait avertie (et très franchement je n’en doutais pas vraiment), Everwood aborde énormément de sujets de société, aussi bien à travers la vie de ses personnages que par le biais des cas médicaux/sociaux traités par ses personnages médecins au long de ces 4 saisons
Quasiment chacun d’entre eux lève le voile sur un dilemme moral, confrontant un premier élan à un second : faire ce qui semble « moralement juste en général », ou plutôt faire ce qui semble « le mieux dans ce cas précis » ? Comment aborder le SIDA, l’avortement, les troubles du comportement alimentaire, l’intersexualité, la dépression, pour ne citer qu’eux, quand l’instinct serait d’agir comme dans une petite ville (en écartant ces sujets, en les cachant, en les condamnant même) alors même qu’on a envie d’être humain, compréhensif et tolérant envers des personnes qui arrivent dans toute leur complexité (en trouvant la meilleure solution, en parlant, en prenant le temps de réfléchir). Everwood incarne ce dilemme fondamental, intrigue après intrigue, et par le biais dynamiques variées.
La technique la plus exploitée est la confrontation entre les docteurs Brown et Abbott : le premier vient de New York et est plutôt libéral, le second a toujours vécu à Everwood et est définitivement conservateur. Mais même ces deux archétypes réserveront des surprises et apporteront des nuances, voire parfois des renversements de cette dynamique initiale, car eux-mêmes ne sont jamais autre chose que des personnages complexes, refusant de s’enfermer dans un rôle, chacune de leurs expériences nourrissant des opinions parfois en contradiction avec le cliché qu’ils sont supposés incarner.
Cela fait sans aucun doute la richesse de la série sur beaucoup de points. Ces deux pôles décrivent bien tout le mal qu’a la série à trouver le ton juste entre ses deux ambitions : être regardable par le plus grand nombre, et parler « vrai ». La plupart du temps Everwood s’en sort plutôt bien, mais ces élans contraires, ces positions antithétiques, sont palpables régulièrement, et rappellent qu’écrire une série familiale à une époque où un certain « impératif progressiste » plane sur la télévision américaine n’est pas une sinécure.
Everwood est consciente de marcher en permanence sur le fil ; ça la rend passionnante à bien des égards, mais aussi un peu fatigante, parfois, tant il peut lui arriver de se débattre avec ces tiraillements. Il lui serait sûrement plus simple de faire des choix plus définitifs, mais ce n’est pas dans son intérêt, non plus que dans celui du spectateur.
Les séries dites familiales, ce n’est pas ça qui manque, et elles ont toutes plus ou moins affaire à ce cas de conscience ; certaines choisissent d’emblée de ne pas livrer bataille, et se rangent d’un côté sans plus jamais regarder derrière leur épaule, d’autres, plus rares, comme Everwood, réévaluent en permanence la portée de leur message. Ce que j’ai vu au cours de ces 4 saisons m’est apparu comme un dilemme permanent, et j’en suis reconnaissante. Tout simplement parce que c’était important pour moi de ne pas regarder 7 à la Maison (quoique certains épisodes s’en soient approchés dangereusement).
Il y a eu une époque pendant laquelle je regardais 7 à la Maison (environ les 5 premières saisons lorsqu’elles ont été diffusées sur TFHein, en fait), mais j’étais alors dans une démarche différente et je ne pense pas pouvoir réitérer pareille expérience aujourd’hui, mes convictions ayant changé. A ce moment-là j’avais besoin qu’une série me prenne par la main, me simplifie le monde et me montre une image d’Épinal d’une famille idéale, gentille, propre, parfaitement anodine. Quand j’avais conscience du côté éminemment moralisateur, je ne le prenais jamais mal, je ne le vivais jamais comme une forme d’endoctrinement : je la décris souvent comme « ma science-fiction », car au contraire j’étais ravie de ces messages extrêmement policés et utopiques autour du rôle que chacun se devait de tenir dans la famille/série. Ça me faisait du bien, vu mon propre contexte familial, qu’on tente de m’inoculer le virus d’une certaine vision de la « normalité » face à l’anormalité totale de ma vie familiale. Par ailleurs, il y avait plein de choses sur lesquelles j’étais infiniment moins informée qu’aujourd’hui, et les propos parfois violemment sexistes, par exemple, ne me heurtaient pas.
A l’inverse, avec le temps, regarder des séries présumées familiales m’était devenu douloureux. Depuis quelques années, et alors que certaines de mes plaies personnelles se sont rouvertes, béantes, voir une famille à la télévision est une blessure réitérée. J’ai de plus en plus de mal à croire à ces familles, à leur plaisir d’être ensemble, et même à leurs engueulade parce qu’elles finissent toujours bien. J’ai du mal à assister à ce qui me sera toujours si terriblement étranger, quand bien même j’ai passé tant d’années à regarder de la fiction sur ce sujet jadis. Même quand une série trouve le ton juste, ça reste douloureux ; c’est par exemple la raison pour laquelle j’ai dû rapidement arrêter The Fosters, en dépit de débuts prometteurs.
C’est toute la difficulté de regarder Everwood en tant qu’adulte, aujourd’hui : quand bien même j’ai envie de la chaleur humaine d’un drama familial, il y a certaines choses qui ne passeraient plus, certains messages que je ne tolèrerais plus, certains mensonges que je refuserais d’écouter. Mais parce qu’Everwood se débat autant avec cette position difficilement tenable de la « série familiale », et tente en permanence de parler de choses complexes en gardant le ton simple d’un feelgood drama, j’ai eu l’impression d’avoir droit à un juste milieu, trouvé à tâtons, mais trouvé quand même.
Ce dilemme sur des affaires médicales/sociales, rencontré dans le cabinet des docteurs de la série, se retrouvait aussi dans certaines affaires plus personnelles, et encore une fois, c’est le Dr Abbott qui m’a semblé se heurter le plus souvent à ces questionnements, avec d’autant plus de violence que l’opposition venait souvent des propres membres de son foyers, chacun ayant des arguments (et pas seulement des portes qui claquent comme lorsqu’Ephram s’oppose à son père). Everwood trouve souvent une sortie « par le haut » à ces situations sans issue, dans laquelle on est d’accord sur le fait de ne pas être d’accord (cela s’illustrera aussi, en fin de série, entre Amy et Hannah, notamment parce que la première entre à la fac et découvre les women’s studies, et que la seconde est une épiscopalienne très fervente), et c’est là que je trouve mon compte : à laisser tout le monde parler.
Parfois j’aimerais que la conclusion d’une intrigue soit plus fermement ancrée dans mes convictions, mais j’apprécie que toutes ces fois-là, Everwood préfère ne pas déterminer quoi que ce soit, ne donner la « victoire » à personne, et juste insister sur la complexité des choses. Ce n’est pas aussi rassurant qu’un drama familial ordinaire, mais c’est plus honnête, finalement. Et s’il y a bien une chose à reconnaître, c’est qu’Everwood se donne vraiment à fond pour être honnête. Pas toujours courageuse (son refus incroyable à parler de racisme même en ayant toutes les cartes sur la table, par exemple, est irritant), mais honnête.
Peut-être que c’est aussi la raison pour laquelle je suis un peu fatiguée au terme de ces deux semaines. Un feelgood drama typique, une série familiale plus classique, seraient plus réconfortants, plus faciles à suivre, plus propices au marathon. Mais l’exigence émotionnelle permanente d’Everwood (même avec ses défauts), sa sollicitation intellectuelle constante, son dilemme permanent entre ce que les choses devraient être et ce que les gens sont vraiment, en font un visionnage à la fois plus éprouvant… et plus stimulant.
C’étaient deux semaines intenses. Je ne suis pas du tout fâchée de les avoir ainsi passées, mais je suis aussi contente de passer à autre chose. Et pour être honnête, puisque c’est un peu le moment propice à cela… je n’y aurais pas forcément passé quatre ans.