Si vous n’avez pas beaucoup d’idées pour une série et que vous voulez éviter un remake, le meilleur moyen reste encore d’adapter une œuvre littéraire. Un truc que tout le monde connaîtrait, dans l’idéal… mais aussi un truc que personne ne connaîtrait totalement. Genre un bouquin. C’est bien, ça, un bouquin, ça fait classe. Tiens, un roman de la littérature classique russe, par exemple, ça en jette ! Et puis au moins, même si tout le monde connaît, personne n’a lu. Personne ne s’en vante, remarquez bien.
Dans mon entourage actuel je ne connais personne qui se soit coltiné le millier de pages d’Anna Karenine (ce qui me permet d’être en paix avec le fait que je ne l’ai pas lu non plus). En-dehors de quelques têtes d’ampoules qui fréquentaient la même Terminale littéraire que moi (option russe, qui plus est !), et encore, tout le monde garde très respectueusement ses distances avec Tolstoï. Tolstoï est un grand écrivain, n’en doutons pas, mais soyons sincères, la majorité d’entre nous ne le lit pas. Alors l’adapter semble être la solution optimale pour que le péquin moyen, comme vous, comme moi (et à l’exception de quelques férus de lectures tragiques interminables, donc), puisse être touché par l’histoire d’Anna Karenine. C’est l’option choisie en ce printemps par la chaîne publique australienne ABC1, avec un avantage supplémentaire : The Beautiful Lie est une adaptation transposée à l’époque moderne. Probablement parce que les costumes coûtent cher, et aussi parce que la télévision australienne, peu friande de period drama, trouve problablement ça moins vendeur.
J’ai beau n’avoir jamais lu Anna Karenine, j’en connais les grandes lignes, et je dois dire que j’ai retrouvé tous les ingrédients-clé dans ce premier épisode. Il n’y a apparemment pas de personnage supprimé, ou grandement modifié (mis à part certains prénoms et les noms de famille) ; les situations maritales des parties en présence sont sensiblement conservées ; les dynamiques en place sont similaires. Bref, si ce n’est peut-être que par un menu détail les personnages prennent l’avion ou possèdent des téléphones portables, l’adaptation semble relativement fidèle, du mois pour l’essentiel.
C’est probablement la raison pour laquelle je me suis puissamment emmerdée. Soyons sincères, je ne suis pas la personne que vous devriez écouter lorsqu’une série tourne uniquement autour d’affaires de cœur, et The Beautiful Lie est précisément l’histoire d’une « romance » qui enflamme deux personnages, lesquels pourtant devraient continuer de se tenir l’un à une distance raisonnable de l’autre s’ils ont le moindre instinct de conservation (spoiler alert : ils n’en ont pas). Quand Anna s’éprend donc du fiancé d’une autre, alors qu’elle est très mariée (et qu’elle se croyait jusque là plutôt heureuse en ménage, si ce n’est un rien installée dans une routine confortable), son microcosme s’apprête à voler en éclats. Avant la fin de la première heure de The Beautiful Lie, Anna et Skeet vont consommer leur « amour » interdit (en fait dépeint uniquement comme du désir), et leur sort sera ainsi scellé ; les arbres généalogiques et les relations dessinées pendant le premier épisode sont posés avec suffisamment d’élégance et de nuances pour qu’on devine que la réaction en chaîne ne se fera pas attendre. Tout cela est aussi beau que bon, mais c’est, de toute évidence, un rien cliché. En outre, si vous espérez quelque commentaire social ou politique ici, vous serez très déçu.
On sait donc dans quoi on met les pieds, et pourvu d’être emballé par les histoires de coucheries et de tromperies, il n’y a pas de raison de bouder son plaisir. D’autant que deux performances sont exceptionnelles en particulier : celle de Sarah Snook (LA vraie raison pour laquelle j’ai regardé l’épisode ; et vous savez pourquoi si vous avez vu le film Prédestination), et dans une moindre mesure celle de Sophie Lowe (qui semble avoir pris son personnage de The Slap et avoir ajouté à sa naïveté un caractère capricieux ; j’aime les interprètes qui travaillent des nuances à partir de personnages similaires, c’est une belle revanche sur le typecasting). La réalisation est soignée si ce n’est un rien académique, la voix-off n’est pas si pire et se justifie par le fait qu’il s’agit d’une adaptation littéraire, et dans l’ensemble c’est bien fait. Nan vraiment, les couleurs dépassent à peine, c’est du travail propre.
C’est juste que ce genre d’intrigue m’assomme totalement. C’est pavlovien, quand il n’y a rien qu’une histoire « d’amour » à se mettre sous la dent, je pique du nez. J’arrive pas à faire semblant de m’y intéresser, même si on me dit que c’est un classique, quitte à passer pour une rustre. Vous qui, je n’en doute pas, êtes sûrement plus cultivés que moi, et qui n’êtes pas rebutés par ce genre d’intrigues, pourriez bien en revanche avoir envie de regarder les quelques épisodes de The Beautiful Lie. Et puis ça va toujours plus vite que lire le roman d’origine.